Que se passe-t-il chez les Islamistes ? Ce n'est pas la première démission qui a marqué la vie du PJD ces derniers temps. Le 10 juin, Ahmed Rissouni, figure de proue de la mouvance islamiste, a démissionné de la présidence du Mouvement Unité et Réforme. La démission de Ramid de la présidence du groupe parlementaire du parti repose au grand jour la question des rapports entre les diverses composantes du champ politique islamiste et les pouvoirs publics. Il n'y avait pas grand monde aux alentours de la villa d'Abdelkrim Khatib, mardi 21 octobre, en ce début d'après-midi pluvieux. Ceux qui ont l'habitude de longer la route des Zaërs, aux environs du kilomètre trois, auraient pourtant été étonnés de voir le déploiement des forces de l'ordre, avec un nombre remarquable de véhicules de CMI entre autres. L'entrée de la ruelle menant au domicile du Dr Khatib sent le roussi. Deux policiers civils se chargent d'annoncer la nouvelle : la conférence est annulée, désolés Monsieur… De quoi s'agissait-il au juste ? La maison de Khatib, président du PJD (Parti de la Justice et du développement) devait abriter une conférence de presse des avocats de Hassan Kettani et Hassan Rafiki, deux théologiens incarcérés et condamnés dans le cadre du procès de la Salafiya Jihadiya. La conférence avait pour but de dire “ce qui a entaché le procès et plaider pour la libération des deux condamnés”. La wilaya de Rabat a justifié l'interdiction de la conférence par “la non-conformité aux règlements en vigueur”. Au fait, il est clair que plus que jamais, le bras de fer entre PJD et autorités est sur la place publique. C'est dans la même villa du Dr Khatib que se trouvait le même Kettani avant son arrestation. On se rappelle le refus du chef du PJD de livrer le recherché. Jusqu'à ce que des garanties lui aient été données. C'était dans un convoi impressionnant de voitures que le bon vieux docteur avait accompagné Kettani à la wilaya de la police. Le fait n'est pas anodin et a marqué les rapports entre autorités et PJD alors même que Kettani n'en fait pas partie. Président du groupe parlementaire PJD à la première chambre, pendant la dernière année législative, Ramid a été reconduit cette année à l'unanimité. Le journal Attajdid a publié l'information comme il se doit à la Une. Coup de théâtre vingt-quatre heures après, le même journal annonce, encore une fois à la Une le choix de Abdallah Baha à la tête du groupe. Que se passe-t-il donc ? Tout le monde parle de pressions exercées par les autorités sur la direction du parti pour que Ramid ne reste pas à la tête du groupe parlementaire. C'est ce qui ressort du communiqué envoyé mardi par le même Ramid à la presse. Il écrit qu'il était touché par la confiance que lui ont témoignée ses frères du parti l'ayant élu à l'unanimité chef du groupe. Mais, pour éviter que le parti ne subisse des mesures menaçant son existence même, à cause de cette réélection, il annonce sa démission de son poste. Une démission qu'il a remise à la présidence de la chambre et que Khatib n'aurait pas encore validée. Contacté par nos soins, ce dernier réservé, n'a pas souhaité faire de commentaires à ce sujet : "je suis en voyage maintenant", nous a-t-il annoncé... Que reproche-t-on à Ramid ? Un membre de la direction du PJD nous a déclaré que "le problème n'est pas lié à Ramid. Loin de là et d'ailleurs la démission de ce dernier de la présidence du groupe est largement suffisante pour calmer les ardeurs de nos adversaires". Quand on lui pose la question sur les reproches faits à Ramid, notamment ses liens avec les Islamistes algériens, il répond sans ambages que c'est un faux procès. "Ramid est un avocat et il plaide pour que les règles du droit soient appliquées. Et pour que ses clients jouissent d'un procès équitable, conformément aux lois en vigueur. Il ne peut être pris pour complice", dit-il. Et sa rencontre avec Kamar Eddine Kharbane, dirigeant du Front islamique du salut actuellement détenu en Algérie ? "Je peux vous dire que Ramid a rencontré Kharbane dans un lieu public, à l'arrivée de ce dernier au Maroc avec visa marocain et l'a raccompagné à Casablanca considérant que cela ne pose pas de problème puisque le dirigeant du FIS est entré au Maroc de la façon la plus légale qui soit. Pourquoi cherche-t-on à trouver des problèmes là où il n'en existe pas", conclut notre interlocuteur. Le fond du problème, selon lui, c'est la force du PJD qui commence à déranger sérieusement plus d'un. "On voulait minimiser le poids du PJD dès les premiers résultats des dernières législatives, pour placer le parti à la troisième place. Puis il y avait les discussions pour que le parti limite ses candidatures pour les communales. Et pourtant, sur à peine 40% de circonscriptions couvertes par le PJD, nous avons pu avoir de bons résultats. Il fallait déstabiliser le parti et Ramid était en quelque sorte la victime expiatoire." Il faut dire que c'est justement le groupe parlementaire qui constitue la vitrine du PJD. Et que Ramid s'est largement distingué en tant que président de ce groupe.. On parle d'intervention du ministère de l'Intérieur pour contrer l'avancée sur le terrain du PJD. On parle d'une altercation téléphonique entre le ministre de l'Intérieur et le président du PJD. De menaces de dissolution... Mais une chose est sûre maintenant : les rapports du mouvement islamiste dans son intégralité avec les pouvoirs publics sont en train d'être redéfinis. L'équation est plutôt simple: accepter de façon claire et sans équivoque, preuves à l'appui, les règles du jeu démocratique ou faire les frais d'un engagement non honoré. De façon radicale. D'ailleurs, le cas Ramid n'est pas le seul dans ce contexte. Il faut rappeler une autre démission non moins retentissante, celle d'Ahmed Rissouni de la présidence du Mouvement Unité et Réforme, une des composantes du PJD. Sa démission le 10 juin dernier a fait suite à des déclarations concernant Imarat Al Mouminine où il aurait insinué son désaccord avec le principe communément admis de cette notion de gouvernance islamique. Malgré son démenti publié dans les journaux, on a considéré que Rissouni a dépassé les lignes à ne pas franchir. L'élection dimanche 19 octobre de Mohamed El Hamdaoui à la tête de ce mouvement marque la fin d'une situation d'exception qui a duré trois mois. Et au cours de laquelle Hamdaoui a assuré la présidence par intérim. Un fait à relever dans ce cadre: aussi bien Rissouni que Ramid sont issus du même groupe islamiste, celui de Rabitat Al Moustakbal Al Islami (Alliance de l'avenir islamique) et ce, avant de rejoindre le PJD. Est-ce une simple coïncidence ou est-ce que les originaires de ladite alliance sont visés ? Rien n'est encore clair mais les deux démissions restent troublantes. Tout aussi troublant que la non reconduction de Saâd Eddine El Othmani à la direction du mouvement. A quoi tout cela rime-t-il? Autre fait marquant la nébuleuse islamiste et concernant le même mouvement que préside Hamdaoui : le 17 octobre, le journal du mouvement, Attajdid, a publié un document qui constitue une forme de charte et de ligne de conduite, sous le titre «Nos choix». Ce document, qui date du 28 septembre, insiste sur le respect de la chariaa comme base de législation, mais - et c'est la nouveauté - sans exclusive. Le but, selon le document, est d'établir une société juste et équitable... Ce repositionnement du mouvement s'accompagne d'une insistance sur son rôle prédicateur et de prêche. Un repositionnement qui s'inscrit aussi dans cette nouvelle dynamique de la mouvance islamique, voulant éviter toute forme de confrontation avec les pouvoirs publics dans un contexte toujours marqué par les attentats du 16 mai. Les procès relatifs à ces actes sont toujours en cours et les arrestations se poursuivent. Quelle issue pour un tel bras de fer? Personne ne peut s'aventurer à avancer une quelconque réponse.