La question nucléaire au Maroc Un peu partout dans le monde, la tendance est au retour à l'industrie nucléaire. Aux Etats-Unis, par exemple, les pannes d'électricité dans l'Etat de Californie ont fait réfléchir plus d'un. Pour le D.G. de l'Agence internationale de l'énergie nucléaire (AIEA) c'est “le début d'une évolution des attitudes”. Qu'en est-il de la situation au Maroc ? “L'Espace marocain”, magazine scientifique trimestriel édité par les Forces Royales Air, consacre son dernier numéro à la question du nucléaire au Maroc. Il donne notamment la parole à Khalid El Mediouri, Directeur général du Centre national de l'energie, des sciences et des techniques nucléaires pour faire l'état des lieux du nucléaire et de ses différentes applications au service du développement au Maroc. L'Espace marocain : Quelles sont les grandes dates qui marquent l'évolution du secteur du nucléaire dans notre pays ? Khalid El Mediouri En réalité, l'intérêt porté par le Maroc à l'énergie nucléaire est ancien. Dès son accession à l'indépendance, le Maroc s'est préoccupé de tout ce qui pouvait contribuer à son développement économique. Or, l'une des priorités était, sinon d'assurer notre autonomie énergétique, du moins de réduire notre dépendance vis-à-vis de l'étranger dans ce domaine. L'énergie nucléaire a paru constituer une alternative, certes parcellaire, mais plausible au manque de ressources fossiles. Le choc pétrolier du début des années soixante-dix allait renforcer cette conviction des pouvoirs publics et mener à la mise en place de structures opérationnelles, notamment la création en 1986 du Centre national de l'energie, des sciences et des techniques nucléaires (CNESTEN), principal opérateur de l'Etat dans ce secteur. L'une des missions du CNESTEN est d'ailleurs, explicitement, de constituer la base technologique devant servir au développement de l'énergie nucléaire dans notre pays. Parallèlement à cette option, qui demeure donc ouverte, l'intérêt des autorités a également concerné les applications nucléaires dans d'autres secteurs-clés de développement. C'est ainsi que les techniques nucléaires sont apparues dès les années soixante dans les secteurs de la santé, de l'enseignement ou encore de la recherche scientifique. A ce niveau, les réalisations ont connu un saut quantitatif et qualitatif avec la création du CNESTEN et, en particulier, le démarrage en 1998 des Laboratoires d'études et de recherche de Madinat Al-Irfane. Aujourd'hui, ceci a conduit de nombreux secteurs vitaux à utiliser les technologies nucléaires. Justement, où en est-on au niveau des applications nucléaires dans ces secteurs ? Conformément à la mission que lui ont dévolue les pouvoirs publics, le CNESTEN œuvre au développement et à la promotion des techniques nucléaires dans différents secteurs socio-économiques. J'ai déjà évoqué le secteur de la santé, mais d'autres activités stratégiques utilisent ces techniques, comme l'industrie, la préservation de l'environnement ou encore la gestion des ressources hydriques pour ne citer que les plus importantes. Dans ces secteurs, le CNESTEN a développé depuis 1998 de nombreux projets, en partenariat avec les opérateurs économiques mais aussi les centres de recherche universitaire, avec l'appui de la coopération internationale. Le démarrage effectif du centre d'études nucléaires (CEN) de la Maâmora, depuis le début de cette année, devrait impulser une nouvelle dynamique à l'ensemble de ces activités. Le CEN de la Maâmora est une réalisation importante, qui va permettre de traduire les ambitions que nourrit notre pays, à des fins de développement dans le domaine de l'usage pacifique des technologies nucléaires. Le Centre s'apprête à abriter en 2004, le premier réacteur de recherche national, une plate-forme technologique, de tout premier plan, pour le renforcement du positionnement scientifique du CNESTEN mais, aussi, du rôle du Maroc en tant qu'acteur régional primordial dans ce domaine. Notre ambition est ainsi de faire du CEN un centre de compétences reconnu en recherches et applications nucléaires. Pourriez-vous nous parler de la valeur ajoutée produite par le CNESTEN dans ce domaine? Les applications des technologies nucléaires sont multiples et diversifiées. Ainsi, en médecine, ces technologies interviennent à tous les niveaux : prévention, diagnostic et thérapie avec la mise au point des radio pharmaceutiques. En industrie, comme en matière de connaissance et de préservation de l'environnement et des ressources naturelles, le nucléaire permet de grandes avancées grâce notamment à la mise au point de traceurs de plus en plus fiables. Je pense que les articles qui composent ce dossier permettront d'éclairer plus précisément vos lecteurs sur l'ensemble de ces applications et de l'apport des équipes de chercheurs du Centre et d'ailleurs dans ce domaine. Je souhaite insister à cet égard, sur le savoir-faire des équipes marocaines en matière de techniques nucléaires. Nous disposons de compétences capables d'exercer à tous les niveaux des applications nucléaires civiles et, très franchement, il y a lieu d'en être fiers. A ce sujet, pourriez-vous nous dire un mot sur la politique de formation des ressources humaines du CNESTEN ? L'effort consenti par les pouvoirs publics depuis de nombreuses années pour la mise en place des infrastructures, s'est accompagné d'un effort tout aussi important de formation et de préparation des compétences nationales en matière de techniques nucléaires. De ce fait, la communauté scientifique nationale compte de nombreux chercheurs hautement qualifiés. En étroite collaboration avec les équipes du CNESTEN, ces chercheurs mènent à bien de nombreux projets dans tous les secteurs évoqués tout à l'heure. Concernant le CNESTEN, l'effort de formation est en constante progression lors des cinq dernières années. Grâce aux liens que nous avons noués avec des Centres à vocation analogue, à travers le monde, mais aussi grâce à la confiance que nous avons gagnée auprès de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, nos chercheurs suivent régulièrement des formations sur les techniques nucléaires les plus avancées. La mise à niveau de nos ressources humaines constitue pour nous une priorité, et la condition pour valoriser un centre de recherche comme le CEN de la Maâmora. Plus encore, le CNESTEN est devenu en quelques années prestataire de services en matière de formation. A cet effet, l'AIEA, nous confie, régulièrement, l'organisation de sessions de formation destinées aux cadres de nombreux pays africains. C'est ainsi que nous organisons, en partenariat avec l'Institut national des sciences et des techniques nucléaires de France, et l'Ecole Mohammédia d'Ingénieurs, un cours post-universitaire de radioprotection. L'ambition pour nous est de devenir un centre de formation à vocation régionale, particulièrement dans le domaine-clé de la sûreté radiologique. Dans l'esprit du public, le nucléaire est souvent associé au danger. Que faut-il faire pour dissiper ces craintes ? C'est vrai que le nucléaire a mauvaise presse. On l'associe invariablement à l'explosion d'Hiroshima ou à l'accident de Tchernobyl. En réalité, toutes les activités humaines faisant intervenir des technologies comportent des risques mais, il est essentiel de comprendre que le nucléaires est une technologie maîtrisée et sûrement la plus encadrée de toutes. Les normes et la réglementation nucléaire sont très contraignantes et le Maroc constitue un exemple en la matière. Nous avons toujours veillé à encadrer nos activités par la mise en place d'une réglementation nationale très précise, et à adhérer aux textes internationaux régissant le secteur. Le fruit de cette démarche, et de cette volonté de transparence, se mesure à la crédibilité dont nous bénéficions auprès de nos partenaires tant nationaux qu'étrangers. Le respect des normes édictées pour la protection de l'environnement me permet aussi d'affirmer que l'énergie nucléaires est certainement une énergie propre. A partir de là, comment remédier à cette image négative et rassurer le public ? En réalité, c'est un travail de longue haleine de sensibilisation et de pédagogie. Nous comptons engager des actions à ce sujet auprès des jeunes dans les collèges et lycées du Royaume. Un dossier comme celui-ci constitue assurément une initiative très importante pour informer le public et je tiens à vous en remercier. Propos recueillis par le Cdt M.Miftah et A/C M.El Haddad Source : L'espace Marocain