Yasmina Baddou Yasmina Baddou n'a pas froid aux yeux. Elle s'élève contre l'inégalité faite à la femme marocaine, quitte à soulever le courroux du patriarche M'hamed Boucetta qu'elle n'hésite pas à égratiner au passage. La Secrétaire d'Etat chargée de la Famille, de la Solidarité et de l'Action sociale évoque également l'action de son département, et comment elle fait pour concilier sa fonction gouvernementale avec sa vie familiale. Entretien. La Gazette du Maroc : vous vous êtes mariée très jeune, à l'âge de 17 ans. Vous avez trois filles. Malgré cela, vous avez autant réussi votre vie personnelle que professionnelle. Ce n'était pas trop dur ? Yasmina Baddou : quand j'ai voulu me marier à 17 ans, mes parents ont refusé au début. J'ai dû pleurer, hurler pour qu'ils acceptent. J'étais très amoureuse de mon mari qui était alors à l'étranger. Et il est vrai que dans la famille, on a dit "oui, elle va se marier, elle va laisser tomber ses études…". Quand mon père a finalement accepté, la seule condition qu'il avait posée à mon mari, c'était de me laisser poursuivre mes études. Je voulais prouver à tout le monde que je pouvais très bien concilier mon mariage et mes études. Maintenant, avec du recul, je trouve qu'il est beaucoup plus facile de concilier la vie d'étudiante avec la vie de famille, plutôt qu'après quand on s'investit dans la vie purement professionnelle. Parce qu'il est plus facile d'élever des enfants en allant à la faculté que de le faire en allant travailler. Vos filles s'intéressent-elles à la politique autant que vous ? Forcément, elles s'intéressent à la politique, parce que nous, nous ne parlons que politique à la maison. Mais elles sont à un âge où l'on critique beaucoup ce que font les parents : "y en a marre de ce parti", "y en a marre de parler que de politique, que du gouvernement"… Parce que chez vous, vous ne parlez que de cela ? Oui, chez moi, on ne parle que de politique… Et vous avez pu assurer un équilibre entre vos deux vies personnelle et professionnelle ? Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question, mais à mon entourage. Mais je crois que oui, parce que tout est question d'organisation. Et puis, je pense que ce qu'on donne à ses enfants, à son couple et à son entourage, c'est en termes de qualité dont il est question. Il y a peut-être des femmes qui ne travaillent pas, qui restent chez elles, mais qui peuvent donner beaucoup moins que ce que je donne qualitativement. Et tout cela se fait au détriment des enfants…? Je ne crois pas que mes enfants soient malheureux. Ils sont très fiers de leurs parents. Mais il faut dire qu'ils font tout pour nous culpabiliser. Alors quand je dis : "bon, je vais démissionner", là ils réagissent: "non, il ne faut pas, tu ne vas pas faire marche arrière…". Mais franchement, je ne pense pas que mes enfants en pâtissent. Et les clients de l'avocate, ils sont orphelins maintenant ? Non, pas du tout. Je n'étais pas seule au cabinet. J'ai une petite équipe, mon bras droit qui suivait avec moi toutes mes affaires et en qui j'ai une totale confiance. Bien sûr il m'arrive, parfois le samedi ou le dimanche, quand j'ai du temps, de passer voir un peu ce qui se passe au cabinet. C'est quand même quelque chose que j'ai construite, c'est mon bébé. Et puis il faut bien se dire qu'un gouvernement ne dure pas toute la vie… C'est à l'âge de 25 ans que vous avez commencé votre parcours de militante au sein du parti de l'Istiqlal…? J'ai eu ma carte du parti en 1987, mais ce n'est qu'en 1989, lors du deuxième congrès du parti, que j'ai vraiment fait mon entrée. Et vous aviez toutes les chances pour réussir. Vous êtes la fille de Abderrahmane Baddou, ancien ténor du parti de l'Istiqlal, la femme de Ali Fassi Fihri, directeur de l'ONEP. Votre beau-frère, c'est Taïeb Fassi Fihri dont l'oncle n'est autre que Abbes El Fassi … vous êtes vraiment "blindée".? Oui, je suis blindée, mais personne ne m'a fait de cadeau. J'ai toujours milité et travaillé pour m'imposer et même si mon père était un ancien du parti, je ne suis jamais passée sur la liste du secrétaire général pour être membre du Conseil national, par exemple. On est élu par la base, et pour cela, il faut vraiment s'impliquer. Et même pour être députée, on ne m'a pas fait de cadeau. On ne m'a pas mise sur la liste nationale et placée en bonne position. Vous ne l'avez pas non plus cherché, c'était un choix. Oui, c'était un choix. Mais je ne l'ai pas fait parce que j'étais blindée, mais parce que je ne voulais pas la facilité. D'ailleurs, on ne m'a pas non plus fait de cadeau en me nommant dans ce gouvernement. Le choix de ses membres a été fait sur la base de leurs compétences. J'ai beaucoup travaillé et j'ai fait beaucoup de terrain. Le gouvernement était la conséquence normale de mon parcours. Dans ses entretiens avec la presse, M'hamed Boucetta ne cesse de répéter qu'il n'est pas question qu'on abolisse la polygamie, qu'il faut simplement la rendre impossible, mais que dans certains cas, il faudrait la tolérer. Je ne suis pas d'accord avec lui. Moi je suis pour l'égalité dans les droits. Dans ce cas, je mets à part ma féminité et mes spécificités que l'on peut tolérer dans la vie sociale de tous les jours. Mais une chose que je n'accepte pas, c'est l'inégalité. La polygamie ne m'aurait pas dérangée si moi-même, en tant que femme, j'avais pu être polygame. Maintenant je ne suis pas d'accord avec Si M'hamed, simplement parce que je suis Istiqlalienne pure et dure, et je m'inscris complètement dans la philosophie de Allal El Fassi, qui a été très clair dans "Nakd addati", où il a très bien analysé ce point dans le cadre de la Chariaâ, en abolissant la polygamie. Alors pourquoi revenir sur quelque chose que notre père spirituel, avait réglée. En plus de cela, je ne veux pas qu'on adopte des positions ambiguës. Soit qu'on interdit la polygamie soit qu'on ne l'interdit pas. Pourquoi autant de détours et dire que "je ne vais pas interdire la polygamie, mais je vais la rendre impossible". Abolissons-la tout simplement. Passons à votre fonction. Quelle est donc la véritable place qu'occupe votre département dans le gouvernement ? Il est vrai que quand on dit Secrétariat d'Etat, ça fait toujours petit, mais l'action de mon département est énorme et fait partie des priorités du gouvernement. Rien que dans le chantier de l'action sociale, cela englobe l'habitat insalubre, les disparités sociales et toute l'œuvre caritative. Normalement, cela devrait être un ministère à part entière avec de gros moyens. Il est certain que nous sommes adossés, quand même, à un ministère qui est important, celui de l'Education nationale. Au sein du gouvernement, nous occupons bien sûr, une place importante et presque tous les autres ministères sont nos partenaires. Concrètement, quelles sont les actions que vous faites en commun ? Avec le ministère de l'Education nationale, nous sommes en train de travailler ensemble pour les prêts scolaires. Nous continuons un projet qui existait déjà, c'est celui des classes intégrées pour les handicapés dans les écoles de l'éducation nationale. Il y a quelque jours, par exemple, je suis allée voir le ministre de la Santé pour régler quelques problèmes en rapport avec les handicapés. Avec le ministère de la Santé, nous avons certainement beaucoup de projets en commun, puisque tout dépend de la prévention, de la mère d'abord, surtout pendant l'accouchement. On devrait également octroyer des cartes aux handicapés. Un projet qui n'a pas encore vu le jour faute de moyens. Avec le ministère de l'Alphabétisation aussi, nous avons des partenariats, puisque la population ciblée par Mme Tay Tay est la même que celle qui est visée par mon département. Quel programme établissez-vous, surtout que votre action ne se limite plus à la seule circonscription de Casa-Anfa, mais intéresse tout le Maroc ? Nous avons en fait, beaucoup de projets. En matière de handicapés, tout d'abord, nous visons leur intégration sociale. Nous voulons qu'ils aient le statut d'un citoyen à part entière, et pourquoi pas, qu'ils apportent un plus à la société. C'est un projet qui avait commencé il y a bien longtemps, aujourd'hui nous sommes en train de mobiliser des fonds. Nous avons planifié à l'horizon de l'année 2010 un programme entièrement généralisé sur l'ensemble du territoire et qui est le seul moyen d'intégrer les handicapés socialement. Dans ce domaine, justement, vous voulez interdire le travail des enfants, mais en voyant le taux de scolarité au Maroc, que comptez -vous en faire? Ne vaudrait-il pas mieux favoriser l'apprentissage du travail que de l'interdire ? L'apprentissage répond à des règles et des normes, on ne peut pas faire travailler un enfant et dire qu'on lui apprend à travailler. Ensuite le travail des enfants englobe plusieurs catégories. De ce fait, nous ne pouvons pas adopter la même stratégie avec la fille domestique qu'avec un enfant qui travaille dans une usine. Maintenant, nous sommes en train de travailler sur un code de protection de l'enfant qui englobe toute l'enfance, que ce soit les orphelins, les handicapés, les enfants maltraités ou autres, il englobe toutes les catégories d'enfants. Or, les petites filles domestiques, contrairement aux enfants qui travaillent dans des usines, ne rentrent pas dormir chez elles, et pour s'épanouir, un enfant a besoin de vivre au sein de sa famille. 99% de ces petites filles vivent dans des conditions déplorables. Que comptez-vous faire pour éviter cela? Justement, nous sommes en train de faire beaucoup de choses. Je vous ai parlé du code de protection de l'enfance, mais ce code tout seul ne suffit pas. Il faut aussi des mesures d' accompagnement pour le rendre efficace. On prévoit, par exemple, un centre d'accueil pour petites filles en provenance de tout le Maroc. Ainsi si on a une petite fille perdue, les parents sauront où la retrouver. Qu'est-ce qui vous manque le plus dans votre action ? L'argent ? Ce n'est pas l'argent qui manque. Il y a la coopération internationale qui est prête à nous aider, et même au niveau du gouvernement, tout le monde est prêt à nous aider dans tous les dossiers que nous traitons. Entretien réalisé par Lamia Bouzbouz, et Mar Bassine Ndyae