Affaire des "Adorateurs de Satan", Ils ne sont pas innocents. Ils sont jeunes et aiment la musique Hard Rock, il leur arrive de s'habiller en noir, collectionnent des CD et sont appréciés par leur entourage. A nos yeux ils ne sont pas innocents parce qu'ils ne sont pas coupables d'exercer leurs droits d'individus. Qui sont ces accusés ? Quels sont les faits marquants de ce procès, son dénouement ? Appels au Sit-in… à la grève. La société civile se mobilise et soutient les parents. Parcours des familles et associations livré en bref. Top chrono. Dimanche 16 février : arrestation collective Entre 11h00 et 20h00, la Brigade nationale de la police judiciaire (BNJP) procède à l'arrestation de 14 jeunes personne, la majorité dans leurs lieux de résidence, sauf pour l'Egyptien au café. A priori, il s'agit d'une "routine" et qu'ils seront libérés le même jour, assurent certains agents. La majorité des parents n'était pas présente lors de l'arrestation. C'est la panique générale chez les familles. Ils ne savaient pas où étaient leurs enfants, ni les actes qu'on leur reproche. Ils arpenteront les commissariats de Casablanca sans réponse. "Al Itihad Al Ichtiraki" du mercredi 19 février signalera que certaine famille méconnaissait encore le sort de ses enfants. Ils sont en garde à vue durant 48 heures (elle sera prolongée). Nous apprendrons par nos sources (le soir du lundi 17 février) qu'il s'agirait de délits graves portant atteinte à la foi musulmane et que la BNJP détient des preuves tangibles de leurs actes sataniques, notamment des cassettes vidéo. Pour les familles, la situation reste opaque. Silence radio. Ils pourront voir leurs parents quand ils comparaîtront devant le Procureur général du Roi. Ils ont alors le droit de contacter leurs familles et de rallumer leurs portables. Un autre procès verbal sera rédigé. Ils sont accusés et à divers degrés de tentatives d'ébranler la foi musulmane, de détention d'objets contraires aux mœurs, de perversion sexuelle, de pratiques sataniques… A l'issue de ce procès, ils seront présentés au juge en situation de détention préventive. Mardi 25 février : l'inquisition moderne Une pléthore d'avocats, de journalistes et des parents des détenus emplit la chambre 4 de la cour de première instance. Le procès est prévu à 15h00. Il commencera aux environs de 16h15. Le juge Abdelouahed Majidi interrogera à tour de rôle les détenus. Le même refrain se répète : sans antécédent. Vierges ! Le PV signale le flagrant délit. Or, les accusés ont été arrêtés chez eux. Sur quels faits la police s'est-elle basée pour les accuser de satanisme, de perversion sexuelle, sans preuves tangibles et concrètes. Les lacunes sont grandes. Le juge se chargera alors de cerner la vérité. Il connaît les criminels. Les questions posées susciteront bien des éclats de rire: " Pourquoi portes-tu le noir ? Que représente pour toi cette musique ? Pourquoi celle-là et pas une autre ?. Les pièces à conviction, emballées seront solennellement présentées : 3 bagues, 5 T-shirts noirs, 13 cassettes audio, un roman, 90 CD, une statue bariolée de peinture rouge…. Le ridicule est long ! La séance se prolongera jusqu'aux environs de minuit. N.B : On n'a pas su le contenu des cassettes et CD. Nous avons droit à la confession musulmane de tous les détenus, insuffisante pour leur accorder la liberté provisoire. La séance est reportée au vendredi. Vendredi 28 février : procès creux Les agents de la sécurité exécutent bien les ordres. Se munir d'une carte de presse ou d'une preuve de parenté pour accéder à la salle. Les amis des détenus sont tout aussi nombreux que la dernière fois. Ils démontrent leur soutien. Cette affaire les implique de près, touche à leur liberté. La séance est prévue à 15h00, elle sera reportée jusqu'aux environs de 17h00. La patience paye. Les présents auront droit à une " mascarade " de première. D'abord, le procureur qui nous présente au bout d'une heure et quelques la secte satanique en général : " ils égorgent des chats, s'abreuvent de leur sang, tuent les enfants… dansent sur les cadavres… ce groupe est satanique ". Il faut bien prendre les dires du procureur pour du sacré pour ne pas en rire. Présentera-t-il par la suite ces affiches et CD comme sacrilèges ? D'ailleurs aux yeux et à l'esprit du procureur : " la chambre à coucher des accusés où l'on a perquisitionné les objets est un lieu d'exposition susceptible d'ébranler la foi musulmane. OK ! C'est tiré par le nez ! Mais le procureur s'entête à les traiter de "satanistes", même s'il avait eu droit aux récitations d'un détenu, appartenant à la zawiya Boutchichia. L'accusation se base sur les articles 220 du code pénal (pour avoir ébranlé la foi musulmane), 59 et 60 du code de la presse (détention et diffusion de la musique contraire aux mœurs).. Pendant des heures, bien réparties (le juge accorde aux avocats un laps de temps pour toute intervention), les avocats se tueront à expliquer et à plaider l'innocence de leurs clients. Ils sont Musulmans et ils commencent alors à le justifier en citant le nombre de fois que tel prie ou sa connaissance de la foi… Ils n'ont pas ébranlé la foi de quelqu'un d'autre, puisque l'acte en lui-même suppose l'existence d'une victime. Où est-elle ? Ils écoutent et jouent de la musique non-prohibée, puisqu'ils se sont produits sur des scènes publiques, ont eu un encouragement de la part de Mohamed Achaâri en sa qualité de ministre et un prix du Doyen de l'université de Aïn Chock. Ils s'approvisionnent des marchés locaux… Où est le mal ? La plaidoirie continuera jusqu'à 1h30 du matin. Les familles seront déçues. La liberté provisoire n'est pas autorisée. Parents et détenus protesteront, crieront des noms, se rassureront et basta. Le verdict sera prononcé le lundi. Le samedi 1er mars, l'AMDH organise une conférence de presse où elle exprime son indignation et son soutien aux familles. 15 autres associations adhèrent à ce mouvement. Deux parents des familles des détenus seront là. Ils ne sont pas vraiment convaincus et demandent du concret. Ils attendront le verdict le lundi sans donner grand espoir aux journalistes. Pour les familles, la presse est coupable et ne veulent pas hypothéquer la liberté de leurs enfants en se prononçant hâtivement. La méfiance plane toujours. Jeudi 6 mars : verdict assommant Eh oui, le verdict ne sera pas prononcé le lundi 3 mars. Le juge a annoncé rapidement le report de cette affaire. Les familles déçues rebrousseront chemin sans comprendre. Elles ont l'esprit brouillé ce jeudi. Tiraillées entre l'espoir de les voir libres et l'incertitude d'un éventuel report. Le juge récitera rapidement et d'une voix intelligible le jugement. On ne comprend rien dans la salle. La phrase "innocenté d'avoir ébranlé la foi musulmane" dupe bien du monde ! Le jugement est sévère : entre un mois et un an de prison ferme sans justifier pour autant les accusations retenues. Les familles atterrées par cette injustice, le crient. Le mal est fait et la folie se généralise : mères, frères et sœurs se bercent de larmes et de gémissements. Ils sont effondrés. Si aucun d'eux n'a eu de crise cardiaque, ils survivront longtemps ! Cette injustice les frappe de plein fouet. Une bonne partie des enfants préparait des examens. Non seulement, une année scolaire de perdue, mais comment pourront-ils les réhabiliter. Aux yeux de l'homme de la rue, ils sont coupables. Tiendront-ils le coup ? Referont-ils confiance à leur pays ? Niet. Ils sont détruits. Vendredi 7 mars : lutte organisée Les familles se mobilisent, forment une synergie et défendent les intérêts des enfants. Elles seront présentes à partir de 19h00 à la conférence de presse qui a eu lieu au siège du syndicat de la presse. Différentes notoriétés dans le domaine journalistique, culturel et artistique témoigneront leur soutien. Les jeunes prennent conscience de leur liberté, de l'importance de la défendre et ils témoignent. Tout le monde mettra du sien. Un comité de soutien est orchestré par Khadija Rouissi, militante dans le forum de la justice et la vérité. Toutes les suggestions sont les bienvenues. Les familles sont appelées à se réunir seules. Elles ne sont plus livrées à leur sort. Il est question d'améliorer la situation des enfants, de les regrouper dans la même cellule, d'organiser une pression médiatique, de contacter des médias étrangers, de lancer des pétitions, d'organiser un concert de Hard Rock, de faire un Sit-in en noir, de consolider le rang des avocats en faisant appel à Abderrahim Berrada et Abderrahim Jamaï. Au programme aussi, une rencontre avec des journalistes de RFI et de Reporters sans frontières. Ces projets seront finiolés la matinée du samedi 8 mars à l'AMDH et la soirée à partir de 19h00 à la résidence Maréchal. Quatre comités sont créés. Ils se départageront les tâches : l'organisation du Sit-in, prévu le mercredi 12 mars devant la cour de première instance à partir de 18h30. La programmation d'un concert Hard Rock le jeudi 13 mars au complexe du Maarif à partir de 18h30. La commission presse chargée des contacts et la commission des pétitions et du site web. Des lettres seront adressées aux ministres des Droits de l'Homme, de la Justice, au Secrétaire d'Etat à la Jeunesse. En espérant que les deux derniers répondront à nos fax. L'appel est lancé et vous êtes, nous sommes tous concernés.