Le pouvoir est décidément un sujet passionnant. Ainsi l'œuvre de Shakespeare est extraordinaire non seulement de par ses qualités littéraires mais aussi parce qu'elle est habitée en long et en large par le pouvoir et l'amour. Dans les deux thèmes, en effet, on retrouve tant de communs ingrédients : la densité du lien, l'attachement, la servitude, la passion, la fidélité et la félonie. Ils ont aussi en partage la main sanglante du bourreau dont l'ombre pesante est prête à s'abattre sur les têtes mûres, pour reprendre l'expression fameuse et terriblement éloquente du tyran de Bagdad, Al-Hajjaj, dont la langue fut aussi tranchante que l'épée. L'espèce courtisane qui hante les alentours des palais, a, du fait même de son assiduité, une palette riche des vertus et des vilenies que suppose le rapport au prince convoité. De son observation ressortent les hauts et les bas d'une vocation dont la servilité n'est pas le moindre des traits comme le soulignait Jâhiz de son temps, jugeant les gens de négoce eu égard aux gens de cour. Scruter les dits et non dits de cette catégorie ne manque pas d'intérêt dans l'approche du pouvoir et de ses mystères. Le courtisan se nourrit en effet de sa vocation et de sa proximité avec le prince, ou de la nostalgie de celle-ci quand elle vient à lui faire défaut, et la monnaye tant qu'il peut, en soutirant bénéfices et avantages de toutes sortes. Ainsi dans les dîners mondains, entre le dernier verre et la tasse de café, à l'instant propice aux échanges de bouche à oreille avec le journaliste ou le diplomate, le courtisan se fait bavard et livre en « off » des informations « de première main » et des « jugements personnels » pleins de perspicacité sur les cours des choses. Autant de preuves attestant qu'il a toujours voix au chapitre. C'est là où il semble prendre des libertés et de la distance par rapport au maître, se prévalant du même coup d'une stature à sa mesure. Les « off » deviennent alors les espaces d'entretien réglés pour accueillir de tels propos et font le délice de leurs récipiendaires. Le courtisan se laisse aller à aviser, se taillant ainsi de son propre fait, une place de choix dans la chaîne entre l'autorité et les médias. Il prétend de la sorte, en sa qualité de source proche du sérail, à un statut de haut personnage en désaccord sur l'heure avec les errements de l'autorité ; pour être plus clair, avec ceux de son maître qu'il entend ramener ainsi, indirectement, sur la bonne voie. C'est un des moyens dont il use encore pour prétendre exister. En fait nous sommes à un moment où les cercles secondaires, ou ceux plus éloignés encore du pouvoir, cherchent à défendre ou à reconquérir une place que l'évolution du régime n'est pas prête à leur consentir. Loin d'être motivée par un souci de redresser la barre, leur agitation médiatique traduit surtout leurs craintes et leur nervosité. Les « off » sont, sous cet angle, un régal pour le lecteur gourmand des variations du lien entre maître et serviteur. Ils sont à contre courant des déclarations et entretiens donnés par les concernés en pleine lumière du jour. Loin de constituer un vrai discours critique, les reproches et révélations que véhiculent les « off », sont en réalité le fait d'une catégorie de courtisans ou d'hommes du pouvoir soucieux de rejoindre les cercles rapprochés, de regagner la faveur du Roi et celle indispensable du premier cercle. Ils dénotent, la plupart du temps, l'éloignement et non la proximité, même si les déclamateurs semblent persuadés de tirer leur légitimité de celle-ci. Il est vrai qu'à l'avènement du Roi Mohammed VI, en raison des incertitudes et des attentes concernant les places et les rôles à distribuer autour du Souverain, des langues du genre, convaincues de détenir les clés de l'avenir, se sont discrètement mais imprudemment déliées, donnant cours « ingénument » à des sermons sur la dérive du navire. En fait l'obsession d'un privilège légitime de proximité habite le courtisan, lui jouant des tours et le privant de lucidité dans la démarche de reconquête de son statut. Le vertige des hauteurs dont il fut coutumier et qu'il hume sans cesse, mu qu'il est par le besoin de s'en enivrer, l'accule inconsciemment au délire autour du paradis perdu. L'accoutumance n'est pas que le fait de la drogue mais plus encore du pouvoir. En se laissant aller aux « off » qui lui procurent une impression de puissance, il se révèle impuissant à percevoir l'engrenage dont sa langue le rend prisonnier. Les « off » sont le signe du courtisan en ballottage, en voie de disgrâce ou définitivement à la dérive. Ils sont révélateurs des propres représentations de leurs auteurs, de leurs propres fantasmes quant à la relation au souverain. Et cela quand la force de l'autorité réside dans le secret, quand les puissants et les proches, si on y regarde de près, ne commettent pas, quant à eux, de « off ». Ils sont, il est vrai, la voix officielle ou officieuse de leur maître et n'ont de message à transmettre que validé en haut lieu. L'entourage des rois est un univers en continuel mouvement. Une dynamique d'attraction/répulsion sans arrêt l'anime. Il recueille de nouveaux venus sur ses marges et rejette de ses anciens familiers lors des marées hautes. Grâces soient rendues à l'étymologie qui nous en apprend sur la genèse de la Hashiya. Celle-ci engrange aussi pour nous le souvenir des batailles féroces opposant les cercles successifs qui se pressent autour des rois. Les « off » sont, dans ce cadre, un cri de la nuit naissant de la crainte rageuse de perdre des privilèges ayant comblé un temps l'intéressé sous les feux de la rampe. Ils proviennent des couches du pouvoir en desquamation et ne sont révélateurs que de la détresse que cause la disgrâce consommée ou à venir. L'intelligence de l'autorité appelle dès lors une autre logique d'approche et la patience qu'il faut pour en saisir les fondements en privilégiant d'abord l'espace de décision qui est le cœur du pouvoir et non pas sa sous périphérie. ■