Dans un site marocain voué à l'humour, on peut lire cette blague : «Pourquoi a-t-on accordé le droit de vote aux femmes ? Pour que les voix des hommes mariés comptent double !» Et si, chez nous, cette blague n'était pas qu'une réminiscence misogyne ? En fait, l'investissement du champ politique national par la femme dépendra longtemps de l'évolution des mentalités. Le droit ne suffit pas. Autre blague puisée dans le même site : «Comment fait-on pour épouser une femme jeune, belle, riche et intelligente ? On se marie avec quatre femmes !». C'est dire le degré d'enracinement du machisme, du patriarcat et de la misogynie dans le mental marocain. Là-dessus, le droit, s'il peut, au moyen de la «discrimination positive» imposer des quotas à moult étages de la pratique démocratique, ne peut vaincre aisément les conservatismes. En témoignent les résultats des législatives de 2002. Même si on y a enregistré un saut qualitatif notable, on ne peut que regretter la carence quantitative au sein du Parlement. En effet, par rapport aux élections législatives de 1997, le scrutin de 2002 avait enregistré un nombre de candidates plus de douze fois supérieur, et le nombre de femmes présentes au Parlement était passé de 4 (0,7 pour cent) à 35 (10,8 pour cent). Un petit 11% pour une population qui compte plus de femmes que d'hommes. Quant aux élections locales, elles n'ont pas connu une ruée féminine. En effet, bien que le nombre de femmes candidates aux élections locales ait quadruplé entre 1997 et 2003, les femmes ne représentent encore que 0,34% et 0,54% des conseils communaux. Les résistances sont donc là et bien là. Selon les chiffres fournis par l'Enquête Nationale de 2004 sur les Valeurs, plus de 60% des Marocains pensent que les hommes font de meilleurs responsables politiques que les femmes. Un problème éminemment culturel Même pour les 40% restants, le hiatus entre la parole et l'acte demeure impressionnant. Il n'est que de constater les difficultés rencontrées par les femmes quant à l'application du Code de la famille pour mesurer l'ampleur du conservatisme dès qu'il s'agit des droits égalitaires expressément consentis par la constitution. «Le problème est éminemment culturel. C'est une question de pouvoir. Même au sein des couches supérieures de la société, on hésite à concéder à la femme le rang qui lui revient selon sa formation, ses aptitudes et ses compétences. Quand on détient un pouvoir, on se refuse à le lâcher», affirme le sociologue Mohamed Mofakkir. En réalité, le dévoiement des valeurs qui ont engendré la grandeur de la civilisation musulmane en d'autres temps contribue plus que jamais à conforter les forces de la régression. Ces forces rétrogrades se sont élevées naguère contre le projet de Saïd Saâdi relatif à l'émancipation de la femme marocaine. Elles travaillent au corps notre société à moitié analphabète dans le sens du blocage de l'épanouissement de nos moitiés. Plus concrètement, la conquête des droits politiques par la femme marocaine ne se heurte pas uniquement à ce type de salafisme qui fait son marché dans les rigorismes wahhabite ou néofondamentaliste. En face de l'aspiration démocratique féminine marocaine, se dresse également un système partisan qui se complait allègrement dans ses certitudes. On se rappellera des innombrables injonctions musclées du Souverain contre les empêcheurs d'évoluer en rond au chapitre de l'égalité des sexes. Mais, comme dans beaucoup d'autres domaines, le Roi apparaît comme étant plus volontariste, pour ne pas dire progressiste, que notre sommeilleuse classe politique. L'article 8 de la constitution est pourtant clair : «L'homme et la femme jouissent de droits politiques égaux. Sont électeurs tous les citoyens majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits civils et politiques». Dinatre ! Qu'attendent-ils, les professionnels de la chose politique, pour s'exécuter ? Hasna et Latifa : «Elections? Ne connaissons pas et ne voulons rien savoir!» Nos trois questions à Hasna sont courtes et concises. Les réponses le sont tout autant. Quelle est votre opinion sur les élections prochaines ? «Aucune». Allez-vous voter ? «Non». Un doute nous assaille et nous changeons la question initiale par : êtes-vous inscrite sur les listes électorales ? «Non». Hasna a une trentaine d'années et elle est «bonne de luxe» comme elle dit chez une famille française. «Ma mère était déjà chez les parents et moi je continue chez la fille». Elle parle plutôt bien français, mais n'a fait aucune étude. Les élections ? «Je m'en fous en fait, je ne vois pas l'intérêt de voter. Ils sont tous pareils». Nos arguments en faveur de l'engagement citoyen et de la nécessité du vote tombent complètement à plat. Fin de la discussion. Latifa est docteur en économie. Directrice marketing dans une grande multinationale, elle voyage beaucoup pour son travail. Etudes brillantes en Suisse et en Angleterre. Aux deux premières mêmes questions que précédemment, la réponse est aussi rapide que semblable… Alors forcément, nous posons la même troisième question. Réponse identique à celle de Hasna. Et surtout mêmes commentaires désabusés. Les mots sont plus choisis, plus précis, mais l'idée est la même.