Il est fréquent que des textes et même des vies soient caviardés ou tronqués. Un exemple parmi tant d'autres. L'ancien Premier Ministre français socialiste qui a connu une longue et riche carrière, n'est resté dans les mémoires que par cette demi-phrase : «La France ne peut accueillir toute la misère du monde». Volontairement, la droite et tous ceux que cela arrange ont mis sous le boisseau la suite : «mais elle peut prendre sa part». D'une certaine manière cela rejoint ce qu'écrivait Boris Vian : «Tout est vrai parce que j'ai tout inventé». Sauf que le poète, romancier, scénariste, musicien et interprète, était un créateur. Il savait que la liberté d'expression ne s'use que si on ne s'en sert pas. Bien sûr, pour ne pas prendre la pile il faut savoir jusqu'où on peut aller trop loin. Souvent ses œuvres furent interdites. Peu lui importait, il en produisait d'autres. De la même veine. Disparu depuis plus d'un demi-siècle, il reste terriblement actuel. Son chef-d'œuvre « L'écume des jours » est encore lu par la jeunesse. Pacifiste et visionnaire, il fait toujours peur à l'establishment. C'est à tort que l'Europe croit qu'elle ne connaît plus la guerre. Il est évident qu'il n'y a plus les massacres de millions d'individus. Mais il y a les Balkans qui halètent. Il y a les guerres lointaines, comme en Afghanistan. Les soldats de l'OTAN tuent, ou se font tuer. Ce sont des professionnels qui ont choisi les armes. Ils sont payés et entraînés pour tuer. Dans le cas où ils se font tuer hors des frontières de leurs pays, on se demande s'ils ne commettent pas une faute professionnelle. C'est là où Boris Vian demeure actuel, par sa lettre au Président. C'est peut-être parce qu'elle aborde la guerre, que les vedettes françaises, révoltées d'eau douce, préfèrent l'ignorer, alors que par le passé quelques artistes l'avaient à leur répertoire. Il écrivait notamment : «Monsieur le Président/Je ne veux pas la faire/Je ne suis pas sur terre/pour tuer des pauvres gens». Alors que le terrorisme sévit au pays basque et en Corse, la majorité des Français ne comprennent pas pourquoi leurs enfants sont envoyés en Afghanistan. Les Afghans non plus. Pourtant, l'attachement des Français aux libertés est plus fort que celui des Américains qui s'accommodent du Patriot Act et n'en réclament pas l'abolition. Aussi en France la justice est indépendante. Cela dépend contre qui. Siffler «La Marseillaise» est un délit. Il est naturel que les hymnes nationaux soient respectés. Cependant, le cas du patriote à tout crin n'est pas prévu. Celui qui siffle l'hymne national sur l'air de «la Marseillaise», justement. Il est dangereux parce qu'il sera suivi par une foule qui sifflote et fera de lui un leader politique. Boris Vian était aussi loin de la politique partisane qu'on peut l'être. Il était anticonformiste et lucide. Il a analysé aussi la société dans laquelle il vivait il y a plus d'un demi-siècle et ne se doutait sans pas qu'il décrivait une nouvelle société en gestation, la société de consommation. Tout cela dans une chanson «Je suis snob» qu'il interprétait lui-même. Il décrivait tous les objets qui allaient massivement envahir les foyers. Au point qu'on peut dire aujourd'hui que tous les peuples sont devenus snobs. Sauf ceux qui ont l'estomac dans les talons. n