Les alizés ont conduit Christophe Colomb en Amérique, ils me mènent, quant à moi, à l'impasse. Une leçon vivante sur l'envers et l'endroit du discours, sur le pouvoir, sur les élites, leur culture et leur inculture, sur le goût et le savoir-vivre et bien d'autres choses encore. Car le Printemps des alizés est un festival conçu pour les élites, et c'est sans doute une erreur dont il me faudra longtemps pour me remettre dans un Maroc qui attend la valorisation de son propre patrimoine. Je me suis trompé sur les thèmes et sur les acteurs. Du vent a dit quelque part Fréderico Garcia Lorca, il m'avait semblé avoir entendu du signifiant, précise-t-il, mais ce n'était que le vent. Et dire que j'ai choisi la bonne appellation. On ne se trompe jamais sur tout. Belle consolation ! Sur la solitude, les chiffres à eux seuls sont éloquents : Au plus 1.200.000 DH en 2009, à peine un peu plus que le coût d'une grande scène de Mawazine. Plus chic que les alizés, tu meurs, plus pauvre c'est encore pire. Un vrai chemin de croix, une solitude sans pareille. Allez savoir comment monter un programme avec ça. Et pourtant, tout mélomane connaisseur succomberait à la lecture du dépliant. En moins d'un mois, plus du tiers des apports des sponsors s'est évanoui. On prétexte des motifs budgétaires, mais les changements d'allégeance me paraissent des griefs plus indiqués. A ma connaissance, un budget est un exercice annuel avec ses prévisions faites à temps. Ici les sponsors se débinent au dernier moment, sans crier gare, dans la précipitation. Le Printemps des alizés prend alors les allures d'un bateau qui coule en pleine mer. Et je suis obligé de le mener à bon port, parce que je suis otage de mon engagement vis-à-vis d'artistes qui ont eu la grande amabilité de me faire confiance. On sait où mène la poursuite de Moby Dick ou l'acharnement contre les moulins à vent ! Je suis seul à me débattre dans la difficulté, seul à devoir demain payer les fournisseurs et faire face aux engagements quand les chauffeurs auront reconduit chez eux les personnalités importantes. La ville se prépare à accueillir une fête, les 5 étoiles sont bondés, on s'évertue à programmer des dîners et des déjeuners, à accueillir ses amis. Demain, les premières rangées seront prises d'assaut par les VIP. Le programme est tellement incroyable qu'il confortera cette ambiance d'abondance et de savoir vivre. L'étiquette sera respectée. Pourtant, la réalité est bien triste. Pour ce qui me concerne personnellement, je plierai bagage avec le chapiteau comme ces artistes forains qui vont de foire en foire. Je serai d'autant plus triste que le vide sera grand après le départ, que tout cela ne paraîtra qu'illusion, que les pianos qui meublent ces jours de fête regagneront le magasin Yamaha, qu'il n'en restera pas un seul en ville, que l'air de culture qui a gagné la cité, quatre jours durant, n'aura été qu'un mirage. Les hôteliers auront certes fait des affaires, mais la culture n'aura engrangé que du rêve et de la désillusion. C'est le propre du nomadisme culturel d'être ainsi. Comme le commerce dans ses premiers âges, il arrive et il passe son chemin. La sédentarité et l'implantation de structures durables ne sont pas pour demain. Et plus grave encore, elles n'ont pas été pensées. Le goût semble laisser place au goûter à Essaouira où l'on songe plus au planning des dîners et des déjeuners VIP, qu'à autre chose. La musique est là pour faire bien et donner du plaisir, un décorum en quelque sorte pour conforter l'image d'excellence et d'ouverture. Et mieux encore, quand les concerts et les spectacles magnifiques sont gratuits et les premières places garanties. J'ai vécu le cauchemar et le vis encore, en raison du manque très grave de moyens. J'en souffre d'autant plus que l'indifférence en ville, parmi les élites locales censées faire des choses, est générale. Je n'ai pas l'âme pour ma part, à penser à déjeuner ou à dîner ni dans les salons feutrés ni sur la muraille de la Scala. Mais je n'en ressens pas moins la fierté de monter, dans une telle situation, un programme d'une grande beauté. Après tout, quand le vin est tiré il faut le boire. J'en suis cependant à m'interroger sur le modèle souiri de la culture dont on veut faire grand cas. Tout en lui reconnaissant tout ce qu'on veut, je n'en exige, pour ma part cette année, qu'une attitude responsable pour faire face à la dépense qui, elle, n'attendra pas demain. La comptabilité en partie double impose de recevoir et de donner. Du civisme et de la responsabilité d'abord, pour le reste ce n'est plus mon problème. ■