Un hommage au Pr. Abdallah Laroui a été organisé dans le cadre du festival AWTAR à Benguerir. De nombreux intellectuels reconnus étaient présents, malgré l'absence très remarquée du concerné. L e roi conquérant, le seigneur de guerre, le chevalier intrépide se délecte des champs de bataille. Il n'a que faire du voile, il se lance à visage découvert dans l'affrontement, son courage et sa maîtrise de l'art de la guerre sont ses ingrédients favoris. Ce n'est que décrépi qu'il se range, tire sur lui son voile et nourrit son mystère de son épopée passée. En rendant hommage au professeur Laroui, le festival Awtar entendait honorer l'historien d'antan, celui de l'Histoire du Maghreb et de l'idéologie arabe contemporaine. L'hommage était mérité et salutaire et belle occasion pour discuter du traitement du passé et des perspectives nouvelles de l'histoire et de la réflexion sur la modernité. Comme dans tous les hommages, l'auteur à honorer offrait un prétexte légitime pour entrer en matière, pour réfléchir sur ce qui se fait ou ne se fait pas par les temps qui courent. Le sujet proposé par ailleurs n'était autre que la modernité. Laroui ne s'est pas présenté sur place. Peu m'importent les raisons invoquées, à part soi, par le professeur pour justifier son absence. Je pense que les véritables raisons relèvent du non-dit et sont liées aux modes mêmes de régulation du champ culturel et scientifique au Maroc. Ce dernier, destructuré par ailleurs de nos jours, est en effet caractérisé par la domination du politique et de l'idéologique et notamment dans le façonnement des carrières et dans la production des « œuvres » et des maîtres d'oeuvres. La fabrication des maîtres à penser avait lieu non seulement dans les enceintes des universités mais aussi et surtout dans le champ politique et particulièrement sur les colonnes des journaux essentiellement de gauche. Une telle dynamique a donné lieu à l'émergence de vedettes de la pensée dont on ne retrouve les idées ni dans des livres sérieux ni les revues respectées et reconnues. Des interviews avec les journalistes dans les hebdomadaires littéraires du parti suffisaient largement à fonder une œuvre qui n'a d'existence que dans l'imaginaire des militants. La critique véhémente du système et la phraséologie socialiste servaient de support légitimant à un discours prétendument scientifique. Avec l'effritement de l'idéologie de gauche et le recul flagrant des partis qui la représentent sur la scène politique, des vedettes de la pensée en ont pris un coup. Bien des noms de sociologues et de philosophes sacrés hier sont tombés dans l'oubli. Laroui qui, dans cette mêlée, doit sa notoriété en grande partie à son travail, est un cas qui mérite une attention particulière. Le fait que sa production d'historien ait connu un arrêt et un manque certain d'inspiration, mérite cependant d'être souligné. La nature même de son travail, sa démarche, ses sources, son questionnement historique, appartiennent au passé et ne trouvent plus l'écho qui était le leur du temps de l'euphorie de la pensée arabe moderniste socialisante. Il a alors gardé le silence en dehors de sorties sans impact touchant différents aspects de l'actualité. Il est dans l'état du chef parvenu à l'âge où il n'est plus en mesure de guerroyer. A la seule différence que le philosophe ne consent pas à s'éclipser. Il use du stratagème classique de l'autorité consistant à se soustraire aux regards tout en manifestant par à-coups sa présence. Faute de science, il nourrit son autorité de ce jeu à éclipses où il agite l'image de l'historien qu'il fut. A Benguerir, en acceptant initialement l'hommage, il était présent par délégation à travers son fantôme surgi du passé. C'est comme ça que j'ai compris son absence/présence. Je ne veux pas prendre en compte d'autres considérations en dehors de celles liées à la gestion d'une carrière. Laroui partisan ou courtisan m'importe peu. Je garde ma considération pour l'homme de science qu'il fut et reste convaincu qu'il n'a pas donné tout ce que ses capacités intellectuelles avérées étaient en mesure de lui assurer. Je regrette de n'avoir pu lui dire publiquement ma sympathie à l'occasion de ce festival qui fut grandiose.