L'hommage à Abdallah Laroui, programmé dans le cadre de la première édition du Festival de Rhamna à Benguérir (26 – 28 mars), a réuni un large panel d'intellectuels qui, au-delà de l'œuvre de Laroui, ont fait l'état des lieux des discours sur la modernité. Une ombre au tableau, la défection de l'intellectuel célébré. Cela a commencé par une fausse note : à peine le colloque déclaré ouvert par le maître d'œuvre de la manifestation, l'historien Mohamed Ennaji, que l'un des édiles locaux, a pris, intempestivement, la parole pour dire en substance que la raison de l'absence de Laroui à son propre hommage, n'est pas due à une indisposition de santé, comme avancé par les organisateurs, mais qu'elle est à chercher, selon les informations de l'édile rahmani, dans une posture condescendante, voire méprisante de l'intellectuel envers le public des Rhamna, jugé peu digne de la présence du grand maître. Ainsi, l'homme, comme d'habitude, suscite des réactions ambiguës et très contrastées. Mais, cela n'enlève rien au magistère de l'un des intellectuels marocains les plus structurés et qui marquent profondément le débat intellectuel marocain, depuis plusieurs décennies, en tant que repère, que défricheur, que maître à penser, voire aussi comme le père qu'il s'agit de tuer afin d'exister pour un certain nombre d'intellectuels marocains stressés par la pesanteur de l'homme et sa posture mi-arrogante, mi-paranoïaque. En tout cas, la rencontre de Benguérir, qui a eu le mérite de réunir, durant deux jours, quelques-uns des intellectuels marocains les plus prolifiques et les plus dynamiques en matière d'animation du débat et des réflexions les plus pertinentes autour du concept de la modernité, contenu par ailleurs dans la devise même du colloque en hommage à Laroui, considéré comme le théoricien de la modernité. Ainsi, chacun des intervenants dans son domaine de recherche spécifique a apporté une précieuse contribution et un angle de vue spécifique à la compréhension des enjeux et de l'état des lieux du débat sur la modernité, particulièrement dans notre pays actuellement. Le croisement des différentes communications, de haute facture, présentées au colloque témoigne à la fois de l'acuité de la thématique soumise à réflexion, et d'un autre côté de la complexité des approches et des investigations qui s'y rapportent. Que ce soit sous l'angle de la définition des concepts, de la levée de certains glissements de sens entre modernité, démocratie, libéralisme, représentativité (Noureddine Ayyaya), sous celui des contrastes et des paradoxes nés des discours sur l'altérité, le dialogue et/ou le choc des cultures et des civilisations (Bensalem Himmich), ou encore à partir de investigations sur les identités meurtrières ou meurtries, sélectives, dans la confrontation entre l'idéologique et le savoir partagé (Hassan Rachik), l'exercice débordait largement le corpus larouien, et visait, dans sa globalité à revisiter, à porter un regard critique sur l'accumulation réalisée sur les dernières décennies en matière d'affinement des concepts et des catégories conceptuelles devant rendre compte de l'approche que nos intellectuels font de la question de la modernité et de ses diverses figures, sur fond de crises identitaires et de remise en cause des lignes de perspectives idéologiques, voire des outils et instruments d'approche et d'analyse. Dans cet ordre d'idées, l'une des tendances lourdes soulignées par divers intervenants est la gestion de la question islamiste, en tant que fait sociologique et historique (Abdou Filali, Ansari, Azzeddine El Allam), en tant que problématique interférant dans la gouvernance des affaires de la cité (Mohamed Tozy) ou encore en tant que fait intellectuel et épistémologique qui marque de plus en plus les écrits des grands noms de la scène intellectuelle marocaine, y compris et surtout ceux qui se proclament d'une pensée moderniste et rationaliste tels notamment Laroui et Mohamed Abed El Jabri. Dans le prolongement de cette réflexion, Abdallah Saaf souligne la nécessité de prendre en compte non seulement ce mouvement de «recentrage » de la pensée «laïcisante», mais également, de l'autre bord, celui des tenants de la pensée islamiste «éclairée» qui font preuve d'un pragmatisme tel qu'ils sont amenés, sous diverses formes, à introduire des éléments de rationalité et de modernité notables dans leurs investigations et propositions. Enfin, pour revenir à Abdallah Laroui, puisqu'il a été le prétexte à cette rencontre de brassage des idées et des réflexions, c'est sous l'angle littéraire que l'universitaire et chercheur Hassan Bahraoui a traité de l'homme. Laroui, à côté d'une abondante production intellectuelle sur l'histoire, l'histoire des idées et sur les concepts de modernité, a de tous temps prétendu à une œuvre littéraire et de chroniqueur du temps plus personnel qui passe. Mélange d'autobiographie et de fiction, les écrits littéraires de Laroui, relus par Bahraoui, peuvent être ramenés à un destin en trois unités: l'unité du temps, celui du Maroc après l'indépendance ; l'unité d'une posture, celle de Laroui sur son Olympe ; et l'unité d'un état d'âme : l'amertume d'une génération post-indépendance, à laquelle notre intellectuel national ne donne pas beaucoup d'espoir. DNES à Rhamna Bachir Hajjaj