C'est la débandade au grand galop dans les grandes villes, en matière de signalisation. Faisant partie de l'échiquier du mobilier urbain, rite des temps modernes, elle est absente ou anarchique voire hors la loi. Même les présidents des communes n'avisent plus les usagers comme le règlement l'impose. On a longuement crié sur les toits que des études étaient en cours et qu'elles ont coûté au contribuable des millions de dirhams pour un schéma directeur ou un plan de la circulation dans telle ou telle grande agglomération. Gommons le grand mensonge du métro : Casablanca est l'exemple le plus flagrant de l'échec de toutes ces tentatives infondées, parce qu'elles ont été faites en dehors de la réalité physique des lieux et psychologique des intervenants. Le centre-ville de Casablanca est en lui-même une étude de cas en matière de signalisation, donc de circulation. Au point que si la métropole devait présenter sa copie aux urbanistes, elle serait hors sujet. La sophistication de son mobilier et, donc, son paysage urbain est jugée très médiocre. Plusieurs patrons de commerces et d'administration se sont attribués le droit de planter des pots de peinture bicolores remplis de ciment armé avec au milieu une tige métallique pour empêcher les automobilistes de garer leur voiture. Les trottoirs jaunes, disent-ils, n'ont pas réussi à dissuader les contrevenants. Une initiative, combien répandue, qui enfreint la loi. Car aucun arrêté municipal, rendu public, n'autorise un locataire ou un propriétaire à agir sur l'espace public en lui imposant son mobilier. Seule la commune en a la compétence. C'est le cas de la rue Allal Ben Abdellah (des dizaines de transgressions), la rue Al Qorri, devant les hôtels, les agences de location de voitures, les brasseries, les coiffeurs… Certains sont allés jusqu'à fabriquer leurs propres panneaux de signalisation. Deux kilomètres plus loin, dans le nouveau quartier résidentiel sis entre les boulevards Al Massira et Bir Anzarane, précisément dans la rue Abou Al Mahassine, un élu a décidé, sans préavis public, de transformer la moitié de sa rue en sens unique, du côté où il réside, pardis ! Dans les règles de l'art, mais hors la loi. Des panneaux de stop et de sens interdit poussent comme des champignons au bout d'artères et de ruelles que des usagers avaient l'habitude de prendre pendant presque 50 ans et ne découvrent le changement qu'après un accident où ils sont fautifs ou une amende qui les fait saigner. L'exemple de la rue Poincarré et Driss Lahrizi. Lois étouffées Dans le temps, les lois ne vieillissaient que lorsqu'elles étaient abrogées. Chaque intervention dans l'espace public devait être précédée par un arrêté municipal publié autant de fois qu'il fallait pour rendre publique l'action. Même les chiens enragés avec leur place dans les pages locales, avec la couleur de leur robe et l'endroit exact où ils ont été aperçus pour la dernière fois. C'est cette loi qui oblige les distributeurs d'eau et d'électricité à aviser les usagers des coupures, au moins 24 H à l'avance. De nos jours, ni les services d'hygiène ni les Conseils communaux ne communiquent, conformément aux lois, leurs interventions dans l'espace public. Une anarchie qui donne lieu à une infinité de comportements sauvages qui n'ont de place dans les dictionnaires du civisme, grande caractéristique des grandes villes. La débandade est telle que l'on se demande qui copie sur l'autre. L'élu ou le citoyen ordinaire ? Le coiffeur ou le fondé de tous les pouvoirs des signatures ? La multitude de ces transgressions qui constituent une véritable insulte à l'intelligence du citoyen (considéré comme inculte) a fait école. Même les sociétés des horodateurs, en plus de l'occupation des coins de rues, des alentours des jardins où n'est exercé aucun commerce, des portes des parkings de grands immeubles privés (Mohamed Smiha ex-Remar), leurs panneaux d'horaires affichent éternellement le péage de 8 H à 19 H, même pendant le Ramadan où leur quête de l'argent se termine à 17 H. Ramadan ne figure pas sur leur agenda. L'usager est le premier concerné, mais le dernier à le savoir. Tant pis pour celui qui casse son véhicule en sortant d'un Stop qui n'existait pas, mais malheur à celui qui sera léché par un chien enragé, car «Pasteur», agonisant malgré le vaccins «Millions de dirhams» injecté chaque année, n'en fabrique plus ! C'est une autre paire de manches. Encore faut-il, de Médiouna, Sbite, Lissasfa ou Dar Bouazza, trouver le panneau d'indication de l'Institut Pasteur Maroc ! Champ d'artifices Pauvre piéton ! Le damné de la circulation urbaine. Le plus malheureux est celui qui est profondément convaincu du sens de civisme ; le touriste aussi. Si pour ce dernier, la situation de la circulation à pied dans nos rues et sur les avenues de nos villes est folklorique (Il finit par en rire aux éclats), elle est pour le premier un calvaire éternel. Piéton conformiste s'entend. D'abord, les feux de signalisation pour piétons ne dépassent pas la dizaine. Les passages réservés aux non-véhiculés sont inexistants dans beaucoup de quartiers périphériques. Au centre, cloutés autrefois, ils sont devenus zébrés puis cimentés par endroits. Envahis par l'asphalte, invisibles surtout la nuit, ils n'assument plus que le rôle de coupe-vitesse. Comment traverser un carrefour ou un boulevard sans feu sans passage ? Beaucoup finissent par suivre le troupeau. Et, comme défense devant le harcèlement ressenti aux rênes de son véhicule, le conducteur s'affole, insulte, accélère, freine, heurte… Après, il a tout intérêt à fuir au risque d'être lunché. Les chauffeurs de taxis, aux insolents slaloms inégalables, ont fini par attribuer un surnom (gros mot) aux hordes qui bloquent «leur fluidité». De véritables débandades au grand galop. C'est cette caractéristique de la circulation urbaine, où s'affrontent le physique des signalisations et le psychique des intervenants qui a été laissé de côté dans des études qui n'ont été bénéfiques que pour ceux qui les ont supervisées ou scribouillées pour encaisser. Sinon, comment peut-on admettre que dans une ville comme Casablanca, il n'existe que deux voies pour cyclistes sur seulement un tronçon du boulevard d'Anfa ? De quelle manière sera régulée une circulation entre sept millions d'individus qui grouillent le jour dans la métropole ? Horizontale, la signalisation dans ses états actuels est incohérente et éphémère. Par irrespects multiples, le traçage en blanc des artères est dénaturé par le roulement des pneus. Pour cause, les lignes médianes, considérées comme des murs même dans les jeux vidéos, sont très peu respectées. L'interdiction du stationnement aux coins des rues et devant les trottoirs jaunes est ignorée… Verticales, elle est presque inexistante. Le peu de panneaux plantés pour indiquer commissariats et préfectures, est absorbé par les affiches publicitaires. Priorité aux shampoings, crédits, portables et parfums. Théâtres, dancings, instituts, permanences, mosquées, marchés…sont superflus et leur signalement est anodin. Aussi, en l'absence d'une vision globalement démocratique, la signalisation restera-t-elle synonyme de l'anarchie où chacun se démarque et protège son territoire à sa manière ? Un instinct sauvage qui témoigne, au XXIème siècle, de l'absence d'une autre signalisation, extrêmement plus grave : celle de l'encadrement de tous les intervenants dans l'espace public. ■