Une première dans les annales socialistes : le huitième congrès vient d'être reporté à une date ultérieure. Les raisons sont aussi politiques qu'organisationnelles. Dessous, coulisses et reportage Bouznika, 2 heure du matin, lundi 17 juin. Visiblement lessivé, Mohamed Lakhsassi, président du huitième congrès de l'USFP, a le ton solennel et grave. Et pour cause, lui le vieux routier du militantisme socialiste, ou Itiihadi en est pleinement conscient : il a annoncé une résolution amère mais nécessaire. Une première dans l'histoire de l'Union socialiste des forces populaires. Le report du huitième congrès du parti de Bouabid à une date ultérieure. «Après une réunion exclusivement consacrée aux développements qu'a connus le congrès, explique-t-il, non sans trémolo dans la voix, la présidence et les secrétaires de toutes les régions du parti, ont décidé, en connaissance de cause, le report de l'actuel congrès». Silence de mort dans la salle. Puis un applaudissement nourri pour valider ladite réunion. Dénouement d'une crise ou fiasco d'une messe que les congressistes voulaient décisive ? En fait, la décision est en quelque sorte l'aboutissement d'une double impossibilité. Celle de se mettre d'accord sur le scrutin de liste, d'une part et celle relative à la ligne politique à adopter par le congrès. Retour en arrière. «C'est le premier congrès où toutes les questions, y compris celles purement techniques, n'ont pas été mises en musique», explique un membre de la commission préparatoire. Et d'ajouter : chacun tirait la couverture vers lui. A commencer par la présidence de l'ouverture du congrès : «il est remarquable, effectivement, que l'allocution d'ouverture, traditionnellement prononcée par le chef du Bureau politique soit sujette à un différend qui a péniblement été bâclé». En clair : Mohamed Elyazghi ,débarqué dans les conditions devenues célèbres, a tenu à présenter son rapport, ou plutôt sa propre version de la politique nationale et la vie interne. Une revanche ? Quoi qu'il en soit, le bureau politique, lui aussi très regardant sur les formalités d'usage, a mandaté l'un de ses membres, Rachida Benmassoud en l'occurrence, pour la même tâche ! Déjà, une mésentente. Ou plutôt un mauvais signe ! Fait inédit, ensuite : Le président de la commission préparatoire, Mohamed Benyahya décide de poursuivre les travaux le jour d'après. La tradition, profondément ancrée, voulait que juste après l'ouverture, les militants s'affairent à clore la liste des congressistes avant de passer à la constitution des Comités des travaux, les fameuses «lijanes» ! La veille, Jamal Aghmani, devenu depuis la constitution du gouvernement ministre de l'emploi, mais aussi poulain de Mohamed Elyazghi annonce sa candidature! Comble du comble, laisse-t-on entendre. A l'invité surprise du congrès, s'ajoute donc la guéguerre pour la présidence des assises. Démarcation Samedi 15 juin. Perplexes, les congressistes devinent la cause, et partant, en déduisent que les parties en conflits, l'ancien chef du parti, Mohamed Elyazghi et les autres membres du BP, ne sont pas d'accord sur la présidence du congrès. Sujet à de nouvelles tractations, elle sera confiée à un ancien ami de Saddam Hussein et les bassistes. Très conciliateur, par ailleurs. Mohamed Lakhsassi sera flanqué de quatre autres membres. Chacun, une obédience. Troisième jour, le dernier de l'agenda du congrès. La tension monte et les couteaux sont tirés. Pomme de discorde, sinon superficielle, du moins apparente, la liste des congressistes aptes, légitimement ou par désignation, à participer. De slogans en processions, l'adrénaline fait son effet. Pris de court, les services d'organisation et d'encadrement sont débordés. Coup de théâtre : le nom de l'ex-premier secrétaire, Abderrahmane Youssoufi revient sur toutes les lèvres. Les ministres, eux, sont cloués au pilori. Dans les coulisses, on parle d'une tentative de Driss Lachgar pour négocier les conditions d'une entente. Bête noire des uns, mal nécessaire pour les autres, il est au centre de toutes les manœuvres et des discussions. Le nouvel homme fort du parti, comme l'a avoué un ministre à des camarades, pourtant hostiles ? Une chose est sûre : il est au centre de toutes les réunions qui ont eu lieu ce jour entre les patrons des partis. A savoir, Abdelouahed Radi, Fathallah Oualalou et Habib Malki. Mohamed Elyazghi, lui, le place dans le mire. Tout y est, donc. Organisation, politique, revanche personnelle... et on en passe. Liste Pendant ce temps là, les listes et les têtes des postulants se multiplient. Ainsi, Nacer Hajji, l'ancien secrétaire d'Etat aux télécommunications entre en lice. Un certain Mohamed Guennoune, originaire de Figuig, fait de l'exclusion régionale un alibi pour participer à la course. Coup de théâtre : Aghmani vient de se désister en faveur d'une fusion avec Radi. Raison invoquée : dégager une liste majoritaire qui aura le privilège de la stabilité, et organisationnelle et politique. Furieux, les jeunes loups, tel Ali Bouabid, fils du père fondateur de l'USFP, Hassan Tariq, Soufiane Khayrat, tous deux anciens chefs de la jeunesse socialiste, crient au complot. C'est là un cadeau empoisonné pour défaire une alliance politiquement et symboliquement concluante entre jeunes et vétérans ! Et Driss Lachgar dans toutes ces listes ? «il avait sa liste en poche, mais il n'est pas le genre à aller plus vite que la musique» analyse un proche de Abdelouahed Radi. Devinette ? Loin s'en faut. Selon la même source, l'ancien chef du Groupe socialiste et non moins mastodonte du parti est aux aguets. Il table sur un revirement de la situation, et s'y emploie, même en faveur de l'élection des instances dirigeantes par vote nominal direct. Réputé très malin, il a «surement senti le malaise des congressistes en proie à un réel embarras du choix !». Appelés à choisir entre des membres du Bureau politique devenus candidats, ils n'ont, en revanche, aucun critère sur lequel se baser. Le choix devient difficile, et le vent, au départ en faveur de la liste tourne ! Les débats, houleux, traduisent un état d'esprit en pleine déroute. On en arrive au vote et voilà que tout le monde explose. Accusations, cris et injures pleuvent de part et d'autre. La séance est levée vers 22h30. Impossible de continuer à travailler, lance le président du congrès. Le bruit s'amplifie que les quatre belligérants se sont mis d'accord : reporter le congrès. Commentaire de liaison d'un congressiste : «l'unique entente est d'ajourner la mésentente à une date postérieure». Et la politique dans tout cela ? «Elle était là, en filigrane» explique un membre du Bureau politique. Et comment ? Ceux qui défendaient le scrutin nominal direct du BP sont, politiquement, un peu à gauche et prônent une révision de la ligne politique. Que nenni, rétorque Mohamed Elyazghi et ses amis. Deux lignes rouges sont à respecter : l'engagement gouvernemental et l'engagement pour le mode de scrutin ! En termes d'orientation politique, rien n'a été décidé. Le plus dur, cependant, reste à faire et tous les scénarii sont possibles.