Dans l'attente de la loi organique Garanti par la Constitution, le droit de grève n'est toujours pas réglementé, ce qui conduit à un exercice quelque peu anarchique de ce droit. Car les relations sociales au sein de l'entreprise demeurent trop souvent caractérisées par la logique de la méfiance et de la confrontation. Au final, les travailleurs tout comme les entreprises, sont perdants. Une loi organique réglementant le droit de grève devient donc indispensable pour donner une meilleure visibilité aussi bien aux salariés qu'aux patrons. Arme ultime des travailleurs pour faire aboutir leurs revendications, la grève est un droit garanti par la Constitution. Si les patrons dénoncent de façon systématique ce moyen de lutte des salariés pour défendre leurs intérêts, ils condamnent avec encore plus de vigueur les occupations dites sauvages des unités de production. Ce qui constitue, à leurs yeux, une atteinte intolérable à la liberté de travail. Il faut bien reconnaître que la grève est un acte traumatisant pour l'entreprise, susceptible de mettre en péril son existence. Les fermetures en cascade d'usines ou d'établissements commerciaux et de services, et non des moindres, sont là pour en témoigner. Phénomène qui se retourne souvent contre les travailleurs eux-mêmes, puisque chaque année des milliers d'entre eux se retrouvent sans emploi et, pour la plupart sans perspectives d'embauche ailleurs (le marché du travail national étant très étroit) et donc sans revenu. Ils viennent ainsi gonfler l'effectif des chômeurs déjà très élevé (20 % environ de la population active en milieu urbain). Etant donné qu'il n'existe actuellement aucune assurance chômage pour indemniser les salariés ayant perdu leur emploi, ce sont donc des milliers de familles qui se retrouvent du jour au lendemain sans ressources et qui plongent, dans leur majorité, dans la pauvreté absolue. Dialogue et concertation D'aucuns diraient que les travailleurs qui se retrouvent dans cette situation ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes. Ils auraient dû faire montre de plus de retenue et d'une meilleure appréciation de toutes les données de l'entreprise et du rapport des forces en place avant de se lancer dans l'aventure de la grève. Après tout, les syndicats ne sont-ils pas là pour assurer l'information et l'encadrement des salariés ? D'autres incriminent ouvertement les patrons qui prendraient les grèves comme prétexte pour se désengager totalement du secteur dans lequel ils opéraient pour se reconvertir dans d'autres activités à moindre risque social et donc plus rentables. Il y a du vrai dans les deux thèses, comme cela a été constaté à diverses reprises. Mais toujours est-il que la multiplication des grèves, qui connaissent une issue dramatique, a pour origine la nature même des relations sociales au sein de l'entreprise marocaine. Ces relations demeurent caractérisées dans l'ensemble par une méfiance réciproque des partenaires. Ce qui contribue à développer la logique du conflit et de la confrontation en lieu et place d'un esprit de dialogue et de concertation. Mais, pour promouvoir cet esprit il faut que les protagonistes prennent conscience que le monde change à une allure extrêmement rapide et que le seul moyen pour adapter l'économie nationale au nouveau contexte mondial réside dans l'instauration d'un nouveau type de relations sociales qui sauvegardent la pérennité de l'entreprise tout en préservant les droits des salariés. Les chefs d'entreprise ont tout intérêt à cesser de se comporter comme des patrons de droit divin et à cultiver l'esprit de concertation préalable avec les travailleurs et à les faire profiter des fruits de l'entreprise. De leur côté, les salariés doivent comprendre que la grève n'est pas la panacée et que l'on n'y recourt pas quand on veut, comme on veut et pour n'importe quel motif. Ce droit est prévu pour défendre des revendications générales touchant aux intérêts immédiats et concrets et non pour des raisons d'ordre personnel, voire politique. Quoi qu'il en soit, les grèves coûtent cher non seulement aux entreprises et aux travailleurs, mais également à la collectivité tout entière. La grève n'est pas une fatalité Ainsi, les statistiques relatives à l'évolution des conflits collectifs dans les secteurs industriel, commercial et services de 1990 à 2001 montrent qu'entre ces deux dates près de 4 millions de journées de travail ont été perdues, soit une moyenne annuelle proche de 330.000 journées de travail. Il ne s'agit là bien entendu que des journées de travail perdues directement par les établissements où les grèves ont été déclenchées, et ne comprennent pas celles qui l'ont été chez leurs clients, fournisseurs ou sous-traitants. D'autre part, les grèves suivies de fermetures d'unités de production amoindrissent le tissu économique du pays, déjà insuffisamment étoffé, et réduisent son potentiel d'exportation avec le manque à gagner en devises qui en découle. Mais la grève n'est pas une fatalité. Lorsque les partenaires sociaux sont animés d'un minimum de bonne volonté et conduisent les négociations avec le sérieux qui s'impose pour trouver une solution satisfaisante pour les deux parties, bon nombre de grèves peut être évité. Ainsi, toujours selon les statistiques citées plus haut, sur les 16.353 grèves annoncées entre 1990 et 2001, seules 4.323 ont été déclenchées, soit à peine 26,5 % des grèves initialement prévues. Par ailleurs, le problème n'est pas d'appuyer sans réserve ou de condamner sans appel les grèves qui font partie intégrante de la vie des entreprises, qu'on le veuille ou non. Le problème réside dans la non réglementation jusqu'à présent de ce droit constitutionnel. La loi organique qui devait le réglementer n'a jamais vu le jour. Il en résulte que ce droit est exercé actuellement d'une façon pour le moins anarchique et parfois même en dépit du bon sens, et cela se retourne souvent contre les salariés eux-mêmes. La réglementation du droit de grève doit normalement faire partie intégrante du nouveau code de travail qui tarde à voir le jour et que les syndicats et surtout le patronat attendent avec impatience, même s'ils sont en grande partie responsables de ce retard. L'existence d'importantes divergences entre ces deux partenaires sociaux sur quelques points fondamentaux a conduit le gouvernement, toujours à la recherche d'un consensus introuvable, à reporter à deux reprises depuis mai 2000 la discussion et donc l'adoption par le Parlement de ce nouveau Code. Or, l'entrée en vigueur d'un Code de travail moderne qui concilie les droits des travailleurs et les intérêts des entreprises devient une urgence pour donner une meilleure visibilité aussi bien aux salariés qu'aux investisseurs nationaux et étrangers.