La hausse du coût des denrées alimentaires de base et l'explosion du prix du mouton n'auront pas suffi. Il aura fallu que les spéculateurs investissent les gares routières pour faire flamber les prix des tickets de transport en cette veille de l'Aïd. Depuis trois jours, les agents de police affectés à la gare routière Ouled Ziane procèdent quotidiennement à l'arrestation d'individus ayant fait de la spéculation sur les tickets de cars une source de revenus. Du coup, le prix du ticket a subitement augmenté de 50 à 60%. Mardi matin, dès l'aube, la majorité des guichetiers de la gare routière casablancaise n'avaient qu'un mot à la bouche : «complet !». Nombre de ces derniers ont été pris en flagrant délit de complicité avec les revendeurs à la sauvette. Malgré les autorisations exceptionnelles accordées par les autorités aux transporteurs qui couvrent les destinations les moins desservies, le prix du ticket ne cessera sans doute pas d'augmenter. Guichetiers, chauffeurs et, plus grave, certains propriétaires de cars s'acharnent contre la bourse, déjà maigrichonne, de nos concitoyens les plus démunis. Des étudiants, des fonctionnaires de bas échelle, des chômeurs et même des exclus d'extraction rurale n'ont d'autre moyen d'aller passer l'Aïd avec leurs familles que le car. Le train est hors de prix pour ces gens de peu. Plus le jour de l'Aïd approche, plus les prix flambent au point que certains grands taxis et autres transporteurs clandestins vont jusqu'à les multiplier par trois, voire davantage, à la veille de la fête. De plus, en ces temps où la criminalité urbaine a battu les records que l'on sait, personne ne peut compter sur l'autostop pour rejoindre sa destination. Par ailleurs, il est une catégorie d'escrocs qui, sans la moindre vergogne, s'amuse à vendre des faux tickets avant de disparaître illico dans la jungle urbaine casablancaise. A la gare routière de Bab Doukkala à Marrakech, les voyageurs ne sont pas mieux lotis. Durant l'après-midi du mardi dernier, une bagarre sanglante a opposé des revendeurs à la sauvette et des guichetiers. Les premiers ont revendu des tickets 60% plus chers que leur prix sans reverser leurs commissions aux seconds. Trois guichets ont été fermés. Les voyageurs n'avaient plus que leurs yeux pour pleurer. La foule s'est donc rabattue sur les grands taxis qui desservent les localités de la région ainsi que celles qui se trouvent sur les routes de Safi et de Ouarzazate. Là, juste derrière la gare routière, les chauffeurs des grands taxis qui desservent des localités se trouvant parfois à deux cents kilomètres de Marrakech montent sur leurs grands chevaux exigeant le paiement d'avance de sommes exorbitantes. Que peuvent les autorités contre ces abus ? A la wilaya de Marrakech, on a constitué une cellule ad hoc chargée de traquer les contrevenants. Mais les moyens humains ne sont guère suffisants. De plus, la plupart des voyageurs qui ont pu acquérir leurs tickets, fut-ce à un prix scandaleux, s'estiment heureux de pouvoir emprunter le car pour aller passer la fête avec les leurs. Ils n'ont ni le temps, ni la moindre volonté de se plaindre auprès des responsables. En vérité, la corporation des transporteurs qui a paralysé le pays en mars dernier pour refus du nouveau code de la route, élaborée pourtant en consultation avec eux par le ministre Karim Ghallab, n'a rien fait pour mettre plus de morale en son sein. Abdelali Khafi, membre dirigeant du Conseil syndical commun des travailleurs routiers, n'a pas de réponse cohérente aux agissements de certains de ses confrères du transport de voyageurs. Il a déclaré à un confrère de Radio MFM??: «Pour cela, les autorités n'ont qu'à faire leur travail». Aussitôt, alors que le spectre de la grève pesait durant deux semaines sur les citoyens, il enchaîna : «le nouveau code la route est calqué sur des pays très développés qui connaissent des conditions de vie supérieures à ce qui se passe au Maroc où la précarité règne partout». La même phrase, mot à mot, a été prononcée par l'intéressé en mars dernier. Les droits, certes, mais exit le devoir de préserver la vie, la quiétude et, à prix raisonnable, la bonne mobilité des citoyens. En mars dernier, les dégâts collatéraux subis par l'industrie nationale ont été évalués à plusieurs milliards. Si le gouvernement Jettou avait fait montre d'une grande souplesse pour mettre fin à la paralysie du pays, les syndicats affiliés à l'UMT et à la CDT n'ont manifesté aucun esprit de responsabilité quant à la lutte contre les agissements irresponsables de leurs collègues du secteur des transports de voyageurs. Les structures intermédiaires corporatistes n'ont pas pour seule vocation de revendiquer. Elles doivent tenir leurs troupes, en priorité dans le domaine du respect de la loi. Le gouvernement, plus particulièrement le département dirigé par Karim Ghallab, est résolu à répondre à la majorité des revendications syndicales, comme cela fut souligné par le procès-verbal de la réunion qu'il a tenue le jeudi 13 décembre avec les représentants du secteur, toutes activités confondues. Une rencontre au cours de laquelle les deux parties «se sont félicitées» des résultats obtenus particulièrement dans le volet professionnel. Puisque le gouvernement semble tenir ses engagements, les syndicats, particulièrement dans le secteur du transport de voyageurs, doit faire montre de responsabilité. Il y va de sa crédibilité face aussi bien au gouvernement qu'au public.