La nouvelle génération, que ce soit en Maroc ou en Algérie, ignore tout de cette date qui a mis fin au rêve caressé par les peuples de la région. Trente deux ans plus tard, l'émotion, la colère et la frustration sont toujours là. Le mois de décembre 2007 aurait pu passer inaperçu comme tous les autres mois de l'année s'il ne coïncidait pas exactement jour pour jour avec la célébration de l'Aid El Adha en Algérie, qui rappelle l'expulsion massive de 45000 familles marocaines installées en Algérie depuis la moitié du 19ème siècle. C'était le 18 décembre 1975, date de triste souvenir. Une Véritable chasse à l'homme L'automne s'annonçait très mal pour les Marocains d'Algérie, on s'attendait au pire, depuis la marche verte, cette communauté vivait déjà sous haute tension, harcèlements, insultes, nul n'est épargné par cette vague de haine et de racisme. Les enfants à l'école aussi ne sont pas épargnés. La chasse aux marocains a pris l'allure d'une véritable battue, on citera pour l'exemple : l'imam d'une mosquée s'est mis dans la partie dans un prêche, en traitant les marocains de baisemain. À partir de la mi-décembre, les premières rumeurs commençaient à circuler sur le sort réservé à cette communauté qui ne s'attendait pas à un tel retournement de l'histoire. On pensait qu'avec la célébration de l'Aid El Adha, le sentiment de fraternité finirait par apaiser les rancunes, mais c'était sans compter la froideur et le cynisme de la junte des colonels, avec à leur tête un certain Houari Boumedienne ….. Qui a passé une bonne partie de sa vie au Maroc, et comme l'ingratitude n'a pas de nom, ce sont des milliers de marocains qui ont combattu pour l'indépendance de l'Algérie, qui feront l'objet de ce nettoyage ethnique. 1er jour de l'Aid, les premières rafles Alors que le milliard des musulmans célébrait dans la joie et la piété la fête du sacrifice, tout juste avant la tombée de la nuit de ce 1er jour sacré, les premières rafles menées par les services de sécurité n'ont épargné aucune région du pays, mais c'est surtout l'Ouest algérien qui sera le plus touché par cette déportation qui restera à jamais gravée dans l'histoire des peuples. Il est difficile de narrer ces évènements qui ont provoqué la déchirure entre les familles et détruit des liens de fraternité entre deux peuples unis par le lien du sang et de la religion. Aujourd'hui, nous sommes surpris par la réaction de certains expulsés, qui, trente-deux ans après, n'ont rien oublié et racontent avec détail la nekba des marocains d'Algérie. Ammar, un oranais de Médina Djadida qui vit aujourd'hui à Oujda nous confie?: «je vais faire un effort, car en parlant de ce coup de poignard dans le dos, on va remuer le couteau dans la plaie». Et d'ajouter : «ce jour à Oran, il faisait froid, mon père ne savait pas qu'il allait sacrifier son dernier mouton en Algérie. D'habitude quand il revenait de la mosquée, il était serein, or, ce soir du 18 décembre, son regard affichait beaucoup de tristesse, il nous a réunis pour nous dire de nous préparer, un ami algérien lui a confié la triste vérité. Le départ de ma famille était programmé pour ce soir. En effet, tout juste après la prière d'El Ichaâ, des policiers se présentèrent en nous demandant de les suivre, l'un d'eux s'adressa à ma mère, il lui dit qu'elle n'était pas concernée par cette visite puisqu'elle était algérienne. Ceci rappelle bien des égards, le fameux tri des juifs par les nazis avant le départ vers les camps de concentration. Je me souviens de la réaction de ma défunte mère, elle regarda le policier avec un air de mépris, et lui signifia qu'elle suivrait ses enfants en enfer s'il le fallait. Une année plus tard, ma mère nous rejoint à Oujda. Elle quittera ce monde loin de son pays natal, elle repose aujourd'hui dans la ville de Sidi-Yahia sans avoir revu Oran. À notre arrivée à la frontière marocaine, nous avons retrouvé plusieurs familles marocaines expulsées de Tlemcen, les cars arrivaient à l'aube dans un froid glacial et avant de quitter le territoire Algérien, nous avons regardé une dernière fois le pays qui nous a vus naître, le pays pour lequel nos parents se sont battus». Mais le cas le plus dramatique de ces expulsions est sans doute celui de Bouchra âgée aujourd'hui de 32 ans et qui vit à Perpignan, son frère Hachemi revient sur cette journée du 18 décembre??: «Nous vivions à Sfisef ex-Mercier Lacombe, notre père est mort juste avant les expulsions, ma sœur Bouchra avait six mois, terrassée par la douleur, ma mère a perdu la mémoire et je devais moi-même prendre soin de ce nourrisson de six mois avant d'être accueilli par une famille à Meknès. Moi je ne suis jamais retourné en Algérie, ma sœur Bouchra est retournée une seule fois pour se recueillir sur la tombe de mon père à Sfisef». Chaque famille à une histoire à raconter, mais nous retiendrons tout simplement le commentaire de ce vieillard de 93ans, né en 1914 à Ain-Safra : «ce qu'à fait le peuple Marocain et le Sultan Mohamed El Khamis pour la révolution Algérienne, l'histoire le retiendra pour les générations futures».