Plusieurs livres paraissent cette année ainsi qu'une myriade de documentaires avec des témoignages inédits sur le Che (Histoire, Arte, Encyclopédia…). Le 9 octobre 1967, Ernesto Guevara, dit El Che, fut exécuté à La Higuera en Bolivie, en captivité, sans procès. L'ancien étudiant en médecine, l'Argentin rebelle et fougueux enfourche une moto avec un ami et part sillonner l'Amérique Latine. Il rencontre Fidel Castro, et tous les deux mettent en pratique le projet le plus fou de l'époque : une révolution communiste à quelques encablures des USA en pleine guerre froide. Guevara devient El Che et ira planter la bannière des irréductibles un peu partout dans un monde où les rebelles attendent des postes et ne servent aucune cause. Il finira son parcours en Bolivie avec une poignée de guerriers encerclés par des milliers de soldats sous la coupe de la CIA. Quarante ans après, le Che demeure une figure forte du refus. Dans un large sens, la vie d'Ernesto Guevara pourrait se résumer dans ces phrases qu'il aurait pu rendre siennes: «Et sur le cadran des jours, réussir veut dire aller de l'avant avec le moins de poids à traîner possible. On comprend du même coup qu'une seule chose est nécessaire: la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne, c'est à cela qu'il faut parvenir. Mais de la décision à son achèvement, il y a la distance qui sépare le nouveau-né de la tombe de sa vieillesse. C'est dire que pour être seul, il faut encore exister... » El Che est né de la solitude d'un jeune homme qui a décidé de voyager. Des Andes à l'Altiplano, des déserts de sel des Salars à l'Atakama, des léproseries à une rivière traversée à la nage, de nuit, pour enlacer un visage ravagé par la lèpre, Ernesto a grandi. L'apprenti médecin est un homme de refus, un homme des impossibles. «Celui qui peut, agit. Celui qui ne peut pas enseigne». Le Che a fait les deux. Il a enseigné et il a agi. Inutile de répéter en reliant les différentes facettes du Che, que dans la vie de tout individu, il y a des évènements qui font office de choc, d'électrochoc, de détonateur, de déclic définitif. Le voyage a été la grande transmutation des valeurs du jeune Ernesto. Le film Carnets de voyage de Walter Salles revient sur cet épisode avec beaucoup de lyrisme et rend le Che christique. On n'est plus le même, après avoir traversé le désert. On est pétri autrement quand on a porté sa croix, le plus haut possible et que notre crucifixion a été une délivrance autant qu'une meurtrissure. Inutile aussi de rappeler que le Che était un individu profond et sensible. Et ayant traversé son Atacama, il a parcouru, à chaque instant toutes ces étendues arides, stériles, impitoyable de la perdition et de l'errance. Il savait d'où il venait où il était et quelle était sa destinée. Il y a plongé à corps perdu, pieds et mains libres. Mais sans se vendre, lui, qui deviendra le numéro 2 du gouvernement cubain avec Fidel Castro, lui, qui aura plusieurs portes feuilles de ministres, finira en guerrier, irréductible révolutionnaire sur les pentes des Andes. Et déversant ses erreurs dans l'immensité du vide qu'il a rencontré, des boulets aux chevilles, les bras ligotés par la lâcheté des autres où les multiples visages du pouvoir, il a été sauvé par le cœur et l'esprit. Son être pur se refusait à la mort, non pas celle des organes, celle physique, qui gèle le sang, mais la mort dans l'âme, la mort de qui nous sommes, la fin des fins. Qu'est-ce qu'un révolutionnaire ? Un révolutionnaire ? C'est celui qui désire mettre au rancart l'ordre social existant, afin d'en essayer un autre. La révolution cubaine avec Fidel Castro n'aura pas été la sienne. Il a tenté par la suite de tenter d'autres transmutations ailleurs. Il ira au Congo et se rendra compte que Kabila était déjà un gros pantin. Six mois pour savoir qu'entre temps Fidel n'avait pas tenu parole en rendant publique une lettre que le leader màximo ne devait lire qu'après la mort du Che s'il la jugeait opportune. C'est déjà là un désavoeu, une mort prononcée par contumace. Le Che ne pouvait revenir à la Havane. L'exil avait pris un goût de défaite. Le rôle joué par Castro dans cette perdition bolivienne ne sera jamais connu malgré les assertions des uns et des autres et surtout les explications répétées par Fidel à l'occasion du quarantième anniversaire de la mort d'Ernesto Guevara. Lâché, délaissé, jugé encombrant, fou devant le refus du pouvoir, le poids de l'homme devait être allégé par une quelconque forme de lâcheté. El Che aura fait les frais d'une légère détente entre Russes et Américains avec KGB et CIA en première ligne ? Possible. Et il ne faut voir là aucun penchant pour la théorie du complot. Mais une Amérique Latine communiste de Panama à la Terre de Feu aura sonné le glas de l'impérialisme et du capitalisme. Il n'y aurait plus de guerre froide, surtout que le souvenir de la Baie des Cochons était encore cuisant dans les mémoires. Interrogée sur la vie et le parcours de son père, sa fille aînée, a répondu à la presse mondiale que le projet de son père n'était pas utopiste, mais que les hommes n'avaient pas le souffle assez long pour accompagner un projet de vie aussi fou que celui du Che. Dans un large sens aussi, le Che avait prédit la faillite des deux clans. Ni le communisme ni le capitalisme ne pouvaient sauver l'humain en qui que ce soit d'entre nous. La politique rime avec injustice. Le pouvoir avec sang et guerre. L'avenir avec hypocrisie. Et là, non plus, aucune noirceur, ni pessimisme de mauvais aloi, mais la vision d'un homme qui savait que pour mieux vivre, il fallait mourir à sa façon. Peut-être que ce qu'il faut, se disait le Che, le jour de sa capture à la Higuera, c'est qu'on soit naturel et calme dans le bonheur comme dans le malheur, c'est sentir comme on regarde, penser comme l'on marche, et, à l'article de la mort, se souvenir que le jour meurt, que le couchant est beau, et belle la nuit qui demeure... À voir : Carnets de voyage de Walter Salles El Che, un parcours sur Histoire El Che, 40 ans après sur cinéma culte Fidel et Ernesto sur Arte