Dés son élection le 6 mai 2007, le nouveau Président français, Nicolas Sarkozy, lance un appel général pour une nouvelle politique étrangère, aux «partenaires européens» et à «tous les Africains» en passant pour les «amis américains» sans oublier, pour autant, «tous les peuples de la Méditerranée», une dimension qu'il érige, pour la première fois, en thème géopolitique officiel, indépendant de la politique euro-méditerranéenne inaugurée par l'Europe à Barcelone les 27 et 28 novembre 1995. Laquelle politique a définitivement montré ses limites dix ans après, lors du sommet anniversaire du 27-28 novembre 2005, boycotté par l'ensemble des dirigeants arabes. Mais en quoi Nicolas Sarkozy, Président français de renommée internationale, rejoint-il ou non, un Jacques Berque, universitaire français de stature universelle ? Apparemment, rien ne les rapproche. Dans les faits pourtant quelques convergences se dégagent quant au devenir de la Méditerranée, malgré d'importantes divergences, dont le Maghreb serait le baromètre. Pour Jacques Berque (1910-1995) l'Union méditerranéenne plonge ses racines dans une «civilisation islamo-méditerranéenne» qui apparaît chez lui comme une synthèse de celles qui l'avaient précédé. Tant il est vrai qu'elle a su s'en approprier la substance, l'enrichir et la transformer dans le sens d'une perspective universelle. C'est ce qui devait aboutir, en particulier au rayonnement d'une Andalousie arabo-amazighe VIIIème-XVème siècle) ayant illuminé l'Europe et contribué peu à peu à sa renaissance du XVIème au XVIIIème siècles. Aussi, cette «Andalousie où coexistèrent les trois grandes cultures» Judaïsme Christianisme et Islam reste-t-elle, pour Jacques Berque, une «utopie créatrice». C'est-à-dire un symbole (inter) culturel commun où tout «ce qui, depuis des siècles, monte autour de la mer commune, et s'aime et se bat, et se cherche en l'autre, et par et contre-lui, peut nous mener, si nous y travaillions, à des Andalousies nouvelles», dirait-il en substance in «Arabies» (stock, 1978). C'est-à-dire longtemps avant sa mort en 1995, après avoir publié ses «Mémoires des deux rives» (Seuil, 1989). Pour lui Latinité, Hellenisme et Arabo-islamité pourront encore construire mieux «les Etats-Unis de la Méditerranée». C'est dans ce sens que la démarche de Nicolas Sarkozy parait historiquement et politiquement significative, dans la mesure où la variante qu'il propose, à savoir, «l'union des Etats Méditerranéens», revêt un caractère politique d'actualité. Mais il diffère naturellement de l'éminent universitaire, Jacque Berque, qui privilégie le caractère culturel. D'autant que le président français n'ignore pas «ce qui a déjà été accompli ; le processus de Barcelone, le 5+5 ou le forum méditerranéen». Mais il espère aller au-delà, «entre pays riverains de notre mer commune» préconise-t-il dans son allocution à la conférence des Ambassadeurs, le 27 août 2007. En d'autres, termes, Nicolas Sarkozy propose de «bâtir autour de quatre piliers» dont deux mobilisateurs l'environnement et le dialogue des cultures et deux opérationnels : l'économie et la sécurité. Sur ces deux points, tout au moins, il ne se distingue guère de la démarche européenne, beaucoup plus préoccupée par la tranquillité de sa citadelle et la circulation de ses marchandises que par le mouvement intellectuel des hommes, souvent brouillé par «l'émigration clandestine», contre laquelle le vieux continent mène une lutte sans merci. Baromètre maghrébin Nicolas Sarkozy s'éloigne cependant de la conception euro méditerranéenne institutionnelle, dans la mesure où il limite la nouvelle construction de l'Union de la Méditerranée à ses riverains, et en particulier aux pays latins sud-européens et au Maghreb nord-africain. Le baromètre maghrébin apparaît ainsi comme une variable incontournable. C'est n'est sans doute pas un hasard si le président français effectua son premier voyage hors d'Europe en Algérie et en Tunisie le 10 juillet 2007 voire en Libye, à la fin du même mois, après la libération des cinq infirmières bulgares et le médecin palestinien, pour ensuite programmer au Maroc, du 22 au 24 Octobre 2007, sa première visite d'Etat dans un pays étranger. C'est dire l'enjeu de la Méditerranée, non seulement pour l'Europe, mais aussi et surtout pour la France dont l'avenir s'y joue également, comme le constatent, en outre, de grandes figures de la gauche française : Jean-Pierre Chevènement, Jack Lang ou Hubert Védrine qui met en garde, en contre-partie cependant, contre la «tentation atlantiste». Il reste toutefois, à cette union Méditerranéenne en perspectives à surmonter de nombreux obstacles dont les réticences de la Turquie, la crise israélo-palestinienne et la désunion du Maghreb, ne sont pas des moindres. Mais le projet méditerranéen ainsi envisagé, pourrait sans doute contourner ces écueils en commençant d'abord par une «union des Etats de la Méditerranée occidentale». Elle réunirait les pays latins de la rive Nord, comme l'Italie, l'Espagne, la France, le Portugal et Malte, et les pays maghrébins de la rive sud, comme le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Mauritanie et la Libye. En définitive, une telle étape ne serait sans doute pas désavouée par Jacques Berque, ce savant visionnaire. Et encore moins par Nicolas Sarkozy, cet homme d'Etat pragmatique. Pourtant les deux hommes ne se connaissent peut-être pas et ne se sont sans doute jamais rencontrés : l'un décédé en 1995, fait figure de «patriarche» l'autre, émerge d'une nouvelle génération, fait figure de «novice». Idéologiquement, ils n'ont rien de commun, non plus, si ce n'est le souhait solitaire de chacun d'entre eux d'aboutir pour des raisons différentes qui semblent converger : l'un, aux «Etats-Unis de la Méditerranée» et, l'autre, à «l'union des Etats Méditerranéens». En effet, Jacques Berque, soucieux du long terme et de l'épreuve du temps» n'appelle pas à d'indésirables fusions. Il appelle surtout «à des champs de signification qui ne soient pas si brutalement déconcentrés, mais coïncident avec nos paysages héréditaires». Il appelle enfin, «à des Andalousie toujours recommencées, dont nous portions en nous à la fois les décombres amoncelés et l'inlassable espérance» (Cf. «Andalousie» Sindbad, 1981, pp. 42-43). Tandis que Nicolas Sarkozy soucieux du court et moyen termes et de la conjoncture géopolitique actuelle, lance, dès son élection le 6 Mai 2007, « un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour leur dire que c'est en Méditerranée que tout se joue, et que nous devons surmonter toutes les haines pour laisser la place à un grand rêve de paix et de civilisation». Il veut «leur dire que le temps est venu de bâtir ensemble une union Méditerranéenne qui sera un trait d'union entre l'Europe et l'Afrique» (CF. Discours d'élection, le 6 Mai 2007). Homme pressé, le président français, recommande dès maintenant, de «préparer une réunion de Chefs d'Etats et de gouvernement qui devrait se tenir au premier semestre 2008» (Cf. Allocution à la «Conférence des Ambassadeurs», tenue à l'Elysée le 27 août 2007). Nicolas Sarkozy, peut-il ainsi, sans le savoir, réaliser, cette «utopie créatrice» dont avait rêvé Jacques Berque jusqu'à sa mort en 1995 ? Seul l'avenir nous le dira…