Jamal Zougam, le Marocain suspecté d'être l'un des auteurs matériels des attentats de Madrid, le 11 mars 2004, doit passer devant les juges à partir du 15 février 2007. Mais déjà un coup de théâtre secoue la classe politique espagnole et surtout les services de sécurité. Jamal Zougam a impliqué l'ETA en demandant la présence des activistes basques : Gorca Vidal, Irkos Padio Bordi et Hiri Parot, les trois terroristes présumés qui ont été arrêtés 11 jours avant les attaques de Madrid. Décryptage. C'est un tremblement de terre. Un séisme politico-judiciaire qui pourrait voir tomber des têtes comme José Maria Aznar, l'ex-chef du gouvernement, Angel Acebes, ex-ministre de l'Intérieur et Ignacio Astarloa, l'ex-responsable de la sécurité lors des attentats de Madrid. Ceci pour les gros calibres qui ont déjà laissé quelques plumes dans cette affaire et qui risquent là de trinquer un bon coup. Surtout que pas moins de 610 témoins sont appelés à la barre. Autant dire un record dans les annales de la justice. Mais ce qui est sûr, selon nos sources, ce sont les 98 premiers témoins qui vont se succéder à la barre pour raconter, chacun sa version des faits. Parmi ceux-là, une information émanant du ministère de la justice fait état de la convocation de plusieurs agents de la police scientifique. Ratages et dérapages Des policiers qui ont rendu un rapport expliquant par les détails, et preuves à l'appui, que les explosifs trouvés chez Hassan Al Haski et ceux trouvés en possession de plusieurs membres de l'ETA, l'organisation séparatiste basque sont les mêmes et proviennent des mêmes mines. Les attentats de Madrid, le 11 mars 2004, ont été le déclencheur d'une série de ratages et de dérapages qui ont ébranlé les assises du gouvernement espagnol. Non seulement la chute de José Maria Aznar a été une conséquence directe des attaques terroristes, mais la succession essuie les éclaboussures d'une affaire que, tantôt on a voulu étouffer, tantôt on a déguisé pour telle ou telle finalité politique. Une bataille rangée secoue la Moncloa, le Congrès et les partis politiques espagnols sur un sujet qui domine la politique intérieure et extérieure de José Luis Rodriguez Zapatero : Qui a fait le 11 mars et qui sont les fautifs politiques, criminels et complices? Pourtant le jour même des attentats, José Maria Aznar pointait du doigt l'ETA, mais le vent devait très vite tourner pour accuser d'autres groupes dont les Marocains en première ligne. Le pourquoi d'un virage à 380 degrés est la pierre angulaire du jeu politique entre partis populaire et socialiste en Espagne. Il faut ajouter à toutes les données rassemblées par la police et la justice à Madrid, les derniers attentats qui ont frappé l'aéroport de Barajas et qui ont été revendiqués par l'ETA. C'est là, semble-t-il, le bon timing pour régler de vieux comptes entre classes politiques en Espagne, avec comme pièce à pile ou face, ETA qui peut servir le moment venu. Et d'après plusieurs responsables dont le juge Baltasar Garzon, ce n'est que le début d'une série de grandes révélations qui pourraient transformer le visage de l'enquête sur le terrorisme en Espagne. Le Maroc comme terrain de jeu Au fil des mois, on aura lu les déclarations les plus sûres, vites avortées par des démentis ou des retournements de situation. On a épinglé celui qu'on voulait en tirant à vue sur tous les suspects dans ce qu'il est convenu d'appeler l'enquête la plus ratée de l'histoire de la justice européenne. à qui profitent les accusations contre les Marocains et le Maroc ? Et pourquoi Aznar soutient toujours que l'ETA et Al Qaïda travaillent la main dans la main? Sans oublier de demander à quelle fin servaient les multiples versions des polices espagnoles et des juges ? Ce qui demeure sûr aujourd'hui est que dans tout ce fatras où les accusations succédaient aux acquittements, les extrêmes politiques en Espagne devaient livrer bataille sur plusieurs fronts avec le Maroc comme principal protagoniste. Et selon nos sources, ce sont les attentats de Casablanca, le 16 mai 2003, qui ont été les premiers mis en avant pour expliquer les attaques de Madrid. «Le lien se faisait de lui-même surtout que beaucoup d'accusés au Maroc ont séjourné en Espagne». Ce qui pourrait aussi dire que les massacres de Casablanca ont été planifiés en Espagne. Mais cet aspect des investigations a toujours été occulté pour des raisons simples. Quand 95% des détenus marocains du 16 mai ont été formés dans la cellule espagnole d'Al Qaïda de Madrid sous la houlette d'Abou Dahdah, il ne faut pas être un as de la devinette pour comprendre que le coup porté dans les flancs du Maroc a pris d'abord corps en Espagne. Mais la place, toute la place, a été faite aux plus extravagantes extrapolations sur le rôle joué par le Maroc dans les attaques de Madrid. Un revirement orchestré par les politiques et les médias et qui a bien pris racine surtout que chez nous, au Maroc, on n'a jamais pris la peine de faire une analyse plus sérieuse des connexions entre les séparatistes basques, le GIA algérien et les groupes affiliés à Al Qaïda en service en Espagne. Donc, après le déchaînement des analyses sur le terrorisme marocain et le GICM (Groupe islamiste marocain combattant), oublié depuis, il faut bien le noter, après avoir livré des noms comme les Abdelkrim Thami Mejjati, les Guerbouzi, les Saâd Houssaïni et autres Amer El Azizi, dont on ne parle plus aujourd'hui, on a en filigrane, l'allusion aux liens entre le 16 mai marocain et le 11 mars espagnol. Selon certaines sources au sein même de la police espagnole, le lien n'est «pas si évident que cela. Parce que d'autres données montrent que c'est ETA qui a tout planifié. Multiples négociations avec Zougam En même temps, d'autres services ont eu accès à des documents prouvant par les faits que le GIA algérien a aussi participé de façon très effective dans le massacre de Madrid». ETA, GIA, GICM ? Alliances incestueuses ou coalition de criminels ? À qui profite le 11 mars, c'est peut-être la seule et unique question qui vaille la peine d'être posée. Tout commence à la prison de Soto Del Real, au pied des montagnes à quelque 50 kilomètres de la capitale espagnole. Le Marocain, originaire de Tanger, accusé d'être l'un des artificiers des attaques terroristes du 11 mars 2004 à Madrid, selon des sources proches de l'Audiencia national espagnole, a refusé de négocier son incarcération à Soto Del Real. Convoqué comme témoin lors du grand et fort médiatisé procès de la cellule espagnole d'Al Qaïda en Espagne, où la justice a condamné plus de 15 individus à des peines allant de 7 à 30 ans de prison pour leur implication dans les attentats de New York en 2001, le Marocain devait revoir à plusieurs reprises les juges pour discuter d'un éventuel transfert de la prison madrilène moyennant quelques informations sur d'autres présumés terroristes. De sources informées, on a cité quelques noms pris dans les opérations Nova I et II, et contre qui il n'y a pas encore de preuves solides. Il pourrait même s'agir de revoir une longue liste de suspects qui auraient fréquenté la mosquée M 30 sur l'autoroute madrilène où Zougam avait ses habitudes. Mais le plus important reste que vu que la date du procès a été fixée pour le 15 février 2007, Jamal Zougam décide de faire une sortie pour le moins très inattendue : il demande la confrontation avec des activistes de l'ETA et la comparaison des explosifs du 11 mars avec ceux utilisés dans les actions de l'organisation séparatiste basque. Et il n'est pas le seul puisque Abdelkrim Bensmaïl apporte son grain de sel dans ce dossier et livre lui aussi une série de noms d'espagnols d'ETA qui auraient pu jouer un grand rôle dans les attentats. Lors de ce procès, le passage de Hassan Haski, l'autre marocain suspecté d'être l'un des relais du GICM en Europe, pourrait faire basculer plus d'une donnée. «Ce sont toujours les explosifs qui posent problème. Haski avait négocié avec des Espagnols et les explosifs, qu'on a trouvés dans son domicile sont les mêmes que ceux d'ETA et on les a comparés aux 500 kilogrammes trouvés dans la voiture de trois membres d'ETA et ils se sont avérés les mêmes». Haski pourrait être la pièce maîtresse du procès et le débat scientifique, en présence de plusieurs policiers des laboratoires de la police nationale espagnole, fera ressortir de nouvelles données. Pour la justice et plusieurs membres du ministère de la justice, c'est «le procès de toutes les révélations». Vraies-fausses condamnations Ce sont les phrases de Mariano Rajoy, patron du PP (Partido poular), lors de son intervention d'explication du bien-fondé d'une commission du 11 mars qui relancent encore une fois les hostilités. Une insistance qui devait montrer à tous que les populistes n'avaient pas peur de défiler devant la commission et d'apporter leurs éclaircissements sur ce qui s'est passé entre le 11 et le 14 mars, jour de la victoire des socialistes. Pourtant, trois mois plus tard, le PP voyait d'un très mauvais œil la convocation de José Maria Aznar devant la commission. Contradiction de plus qui vient grossir la liste de quelques dérapages inédits dans l'histoire de la justice européenne. Pourtant le PSOE, victorieux et heureux d'être en place, répétait “qu'il ne fallait pas chercher des coupables”, mais essayer de comprendre ce qui s'est passé. Pour le comprendre, il faut remonter au jour des attentats. Le 11 mars lui-même avec sa série de sorties précipitées. Alors que le PP savait que la piste islamiste était dans le coup, il martelait via le ministre de l'Intérieur encore en poste Miguel Angel Acebes que c'était l'ETA qui était derrière le massacre d'Atocha. La thèse n'a pas beaucoup changée, sauf qu'on y a ajouté des liens “avérés” avec des groupes islamistes notoires algériens comme le GIA et plus tard le GSPC d'Abderrazak El Para. Et là, c'est la deuxième grosse bévue des responsables du PP. Ils ont dès le départ crié haut et fort que ce sont les Marocains et le GICM qui sont les commanditaires. Et aujourd'hui ils n'offrent aucune preuve, même minime, de l'implication de ce groupe marocain dans les attaques de Madrid ni dans l'achat ni dans les négociations avec l'ETA et ses dépôts de munitions et d'explosifs. Par contre, ce sont les Basques qui font ressurgir l'ombre du séparatisme dans les attaques de Madrid. Certains y voient une pression américaine après le 11 septembre, relayée par les accointances entre Aznar et George Bush qui ont fait virer les pistes du côté des islamistes en mettant de coté, pour un temps, l'ETA. Dégâts collatéraux De Jamal Zougam et son demi-frère Mohamed Chaoui, à Abderrahim Zbakh en passant par Mohamed Chedadi et son frère Abdennabi, Abdelwahed Berrak Soussane connu comme Abdou ou encore Hassan Serroukh et d'autres, tous raflés dans les jours qui ont suivi l'attentat, nous n'avons aujourd'hui aucune preuve irréfutable de leurs implications à quelques degrés que ce soit dans ces attaques. D'ailleurs, toute la liste précitée jouit aujourd'hui de la liberté, faute de preuve alors que dans le tas et pour ne prendre que deux exemples, celui de Zbakh et de Bekkali, ils ont été présentés comme les cerveaux des crimes et les auteurs matériels des attentats. Sans oublier que pour Zbakh, on a même pu trouver un témoin oculaire qui l'a identifié comme l'un des poseurs des sacs explosifs. Plus de deux mois après, ni Zbakh, ni Bekkali ni Chaoui, ni les Cheddadi, ni Soussane, ni tous les autres n'ont été maintenus en détention. Zbakh aura même été appelé «le Chimique», l'artificier, le coupable désigné. Comment expliquer un tel retournement de situation ? C'est très simplement une attitude forcée qui est dictée par les évènements. On ne pouvait continuer impunément à déclarer, à claironner que c'est la bande à Zougam qui a perpétré les attentats alors que le suicide de Leganès a eu lieu. C'est là le revirement de situation, le coup de théâtre que la police et les responsables espagnols n'ont pas su gérer. D'abord en poussant au suicide le groupe du Tunisien et de Jamal Ahmidan qui, eux, ont négocié les explosifs, ont même projeté d'autres attaques dans des villes symboles en Espagne. Après le suicide, on ne pouvait plus continuer à charger les autres premiers détenus qui n'ont ni acheté les explosifs, ni rencontré les informateurs de la police nationale et de la Guardia civil comme Trashorras et Rafa Zouheir qui, lui, a témoigné en disant qu'il avait informé la police sur l'existence d'explosifs et de détonateurs chez Ahmidan, mais la police n'avait pas pris ses dires au sérieux. Après une grave erreur comme celle du suicide de Leganès, la police espagnole a pris son temps pour libérer au compte-gouttes les Marocains présentés au départ comme les têtes pensantes des massacres. Le monde avait vu qui étaient les réels instigateurs de ce drame et jusque-là il n'y a pas une preuve d'un quelconque lien entre Zbakh, Chaoui, Bekkali, Chedadi, Afandi et d'autres avec le Tunisien ou Ahmidan. Comment faire le lien en l'absence de preuves ? C'est un tour de force que la justice espagnole a réussi.