Le tout Tétouan ne parle que de lui. Mohamed Echeeri, trafiquant notoire de drogues dures, circule librement entre Ristinga et Marina Smir. Alors qu'il est activement recherché par les services d'ordre, suite au démantèlement du réseau «Chrif Bin Louidane», Mohamed Echeeri, après quelques semaines de cavale en Espagne, a regagné, il y a quelques jours, le Maroc pour s'installer confortablement dans sa résidence luxueuse à Ristinga. Au lieu d'adopter le profil bas, surtout par les temps qui courent, il s'affiche publiquement défiant tout le monde et poussant la provocation jusqu'au bout. Assurément, Mohamed Echeeri, un baron de drogue notoire, qui fait l'objet de plusieurs avis de recherche, internationale, ne recule devant rien, y compris le risque d'être «chopé», pour superviser à titre personnel son business. À quelques semaines seulement de la scandaleuse histoire du démantèlement du réseau Chrif Bin Louidane, et alors que les pouvoirs publics ont exprimé ouvertement leur volonté manifeste de traquer sans relâche les bonnets les plus influents, le voici libre au Nord du pays, après un bout de temps passé en cavale en Espagne. Depuis quelques jours et jusqu'à cet instant où nous mettons sous presse, le narcotrafiquant, fiché par la police, depuis la campagne d'assainissement déclenchée en 1996, comme dangereux narcotrafiquant, se promène librement à Ristinga, aux environs de Marina Smir, où il dispose entre autres d'une luxueuse villa qui surplombe la Méditerranée. Selon des sources, dont la vocation est d'être informées, Mohamed Echeeri est rentré au pays comme il en est sorti. Comment, par où et avec l'aide de qui ? Clandestinement et à bord de son propre zodiac très puissant. La nationalité espagnole en poche, Mohamed Echeeri, comme ses semblables dans le domaine, n'ont nul besoin de faire la queue aux postes frontaliers, aussi bien terrestres que maritimes, pour tamponner leurs passeports. Chacun sait que ce genre d'équipées illégales, pour un personnage connu et recherché comme lui n'exige aucune logistique. Les frontières terrestres et maritimes sur la façade nord du Maroc sont difficilement contrôlables, en raison justement de la présence coloniale de l'Espagne dans les deux présides de Sebta et Melilia. À peine quelques heures après l'arrestation de Chrif Bin Louidane à Ksar Sghir en août 2006, se rappelle un habitant de la région, Mohamed Echeeri, en compagnie de son frère Abdesslam et d'un autre narcotrafiquant dénommé «Tahouna», ont pris la poudre d'escampette en direction de l'Espagne en attendant que les vents soient plus favorables. De par leurs origines ibériques et les solides relations qu'ils entretiennent avec la mafia espagnole, les trois Boss se sont installés confortablement dans leurs résidences secondaires chics, sur la Costa d'El Sol, avant de faire, quelques semaines plus tard, le déplacement en Arabie Saoudite pour effectuer la «Omra», histoire de se purifier, l'âme, et se terrer le temps qu'il faut loin de tout risque de tomber dans les filets de la police espagnole. Retour au bercail De retour en Espagne, Mohamed Echeeri ne résistera pas longtemps à la tentation de rentrer au pays. Chose faite depuis le début de ce mois de novembre 2006. Il fait tout d'abord son apparition à Ristinga, chez sa première épouse, puis à Marina Smir, chez la seconde. Puis à Tétouan, à Tanger, à Fnideq au vu et au su de tout le monde. Au point que toute la région du Nord ne parle que de lui. C'est que Mohamed Echeeri n'est pas n'importe qui. Quand il débarque dans un endroit, il est salué par tout le monde. À vrai dire, le très recherché Mohamed Echeeri ne fait pas dans la discrétion. Au Contraire, il s'exhibe et fait en sorte que ça se sache. Au lieu bas, surtout par les temps qui courent, il s'affiche publiquement, et avec une arrogance sans pareille, roulant dans de belles voitures (Porsche Cayennes, Touareg, BMW série 7…) entre Marina Smir, Tétouan, Ristinga, poussant ainsi la provocation jusqu'au bout. Ce n'est bien sûr que la partie visible d'un iceberg de grosse fortune dont on ne peut évaluer l'importance : le richissime trafiquant de drogue dispose, entre autres, d'une petite chaîne de complexes immobiliers (voir photo prise récemment à Fnideq), restaurants et clubs à travers plusieurs villes du royaume. Selon un témoin oculaire qui l'a croisé plusieurs fois à Ristinga, Mohamed Echeeri se balade tout le temps accompagné de gardes du corps qui lui assurent une surveillance sans faille. Grand de taille, plutôt musclé, la cinquantaine, le parcours de Mohamed Echeeri est digne des polars cubains consacrés aux dangereux barons de drogue de l'Amérique Latine. La première fois que l'on entendra parler au Maroc des frères Echeeri c'était en 1995. C'était lors de l'arraisonnement par la Guardia civile, au large des côtes espagnoles, du cargo Volga avec à son bord un chargement phénoménal de 36 tonnes de haschisch appartenant à la famille Echeeri. Connu des Espagnols sous le nom de MS Paloma, le bâtiment avait échappé à la vigilance des douaniers qui l'avaient placé sous surveillance, le temps d'être rebaptisé et de charger sa cargaison au large du petit port d'Asilah, au sud de Tanger. Selon les sources de l'OGD (L'observatoire géopolitique des drogues), cette opération de transbordement était au moins la quatrième en un an, les précédentes portant sur des quantités équivalentes. L'interrogatoire de l'équipage, composé en majorité de marins russes et ukrainiens, permet l'identification du commanditaire du trafic, Abdesselam Echeeri, frère de Mohamed, propriétaire de nombreux immeubles, terrains, restaurants et clubs de la région. Des relevés téléphoniques faisant état d'appels entre le Volga et l'un de ses clubs, le Miami, aident à l'identifier. Interpellé au Maroc, Echeeri ne sera pas condamné et bénéficiera d'une mise en liberté provisoire, sans doute monnayée au prix fort. Il fuira le pays à destination de la Belgique. La justice se saisira du dossier «frères Echeeri» une année plus tard, lors de la fameuse campagne d'assainissement de 1996, et le confiera à la Brigade nationale de la Police judiciaire (BNPJ) qui lancera plusieurs avis de recherche contre les deux frères sur tout le territoire national. Les «frangins» Echeeri sont condamnés par défaut à dix ans de prison ferme par la Cour d'appel de Rabat qui émettra, au passage, deux mandats d'arrêt international à leur encontre. En cavale en Espagne, Echeeri continuait d'opérer principalement à partir de l'une de leurs nombreuses propriétés, un restaurant, situé à la sortie de Tétouan, sur la route de Fnideq. Ils opéraient en concertation avec Lamfadel Tariha, le dénommé Piloca Essaoudi, Rachid Temssamani, et autres barons de drogue libres de leur mouvement. À l'époque, le «cartel de Tétouan et de Tanger» qui était dans le collimateur de l'Unité de coordination de la lutte antidrogue (UCLAD), sous l'autorité du ministère de l'Intérieur avait subi des coups durs. Hamidou Dib et El Yakhloufi (décédé en prison), victimes de la campagne déclenchée par cette unité ont écopé chacun d'une lourde peine de 10 ans de prison ferme. En fait, usant de sa qualité d'homme d'affaires prospère, le narcotrafiquant Mohamed Echeeri avait obtenu l'autorisation de résider en Belgique et s'était installé à Bruxelles avec une partie de sa famille. Il sera identifié par la police belge. Appréhendé en mai 1996 et immédiatement placé sous écrou extraditionnel à la demande des Marocains. Implication en Belgique et en Espagne L'enquête révèlera que, sous couvert de la société immobilière Immo Mabel, Echeeri avait installé en Belgique un «terminal de blanchiment» d'argent. La société était destinée à intégrer l'argent blanchi dans l'économie belge. Le haschisch alimentait les marchés belge, néerlandais, britannique, français et danois. Les produits de la vente (notamment dans les coffee-shops néerlandais) revenaient en Belgique, parfois après avoir transité par des comptes bancaires domiciliés aux Pays-Bas et à Gibraltar. Immo Mabel investissait alors les fonds dans le commerce du poisson, l'achat d'immeubles et de terrains de l'agglomération bruxelloise et un important parc automobile. Extradé au Maroc en 1998, Mohamed Echerri sera aussitôt libéré sans aucune charge retenue contre. C'est que le parrain avait non seulement réussi à mettre sur pied un réseau qui fonctionnait comme une machine bien huilée mais en plus il s'appuyait sur la complicité sonnante et trébuchante des autorités. Il est aujourd'hui à la tête d'une filière intégrant le transport de la drogue depuis les zones de production de Ketama, le stockage dans ses réserves dans la région de Tétouan, l'envoi en Europe par voie maritime, jusqu'à la réception par des grossistes en Espagne. C'est lui qui choisissait, selon la température et souvent avec la bénédiction des autorités, les chemins les plus aisés pour convoyer la drogue : la route, la mer ou même parfois le ciel grâce à son hélicoptère personnel. Le plus souvent un véhicule léger ouvre la route au camion chargé de drogue. Reliés par des téléphones portables qu'ils laissent en ligne tant que la marchandise n'est pas arrivée à bon port, les chauffeurs sont avertis en temps réel de tout mouvement de police. Grillé en Belgique, Mohamed Echeeri choisira cette fois ci l'Espagne comme base de repli à chaque opération d'assainissement perpétrée dans les milieux de la drogue. Prévenu et averti à temps, Echeeri sera le premier à fuir le pays avec l'éclatement de l'affaire dite «Mounir Erramach» où il a été cité en long et large lors des interrogatoires des prévenus. Trois ans plus tard, il fera de même suite à l'arrestation de Chrif Bin Louidane, Mohamed El Kharraz de son vrai nom, à Ksar Sghir en août 2006. Recherchés activement par la gendarmerie Royale et les éléments de la BNPJ, les frères Echeeri prendront le large à bord de leur hors-bord que Mohamed conduit lui-même. Peut-être faudra-t-il attendre trois ans, soit jusqu'en 2009, vu que la tournante d'assainissement se fait à cette cadence, pour voir les deux frères sous les verrous ?