Les récentes nominations à des postes de premier plan, aux niveaux de la sécurité intérieure et de l'administration du territoire national, ont remis à l'ordre du jour la notion d'autorité publique. Dernière en date, celle de la nomination du général de division Hamidou Laânigri, ex-patron de la DGSN, à la tête des Forces Auxiliaires pour les zones Nord et Sud du Maroc. Sur instructions royales, ce corps devra se restructurer, se doter des moyens d'autodéfense nécessaires, pour devenir, à l'image des CRS (Compagnies de sécurité françaises), un corps de sécurité à part entière. Le 13 septembre 2006. Une date à retenir. Elle marque officiellement le départ du général de division Hamidou Laânigri de la DGSN ( Direction générale de la Sûreté nationale ) et sa nomination à la tête des Forces Auxiliaires pour les zones Nord et Sud du pays. La sortie de Laânigri de la DGSN, après seulement trois années d'exercice, n'allait pas se passer bien évidemment sans quelques convulsions. Elle ira jusqu'à enflammer une bonne partie de la presse, dite indépendante, qui criera à la chute du bonhomme avec tambours et trompettes. Certains y voient un limogeage, une disgrâce, d'autres une mise au placard sans appel. Les plus optimistes donneront la lecture « d'une punition déguisée » dans la pure tradition makhzénienne... Une sorte d'humiliation d'un haut sécuritaire qui se chargera désormais de superviser la zone sud et la zone nord des Forces auxiliaires. Autrement dit les « Mrouds » ( il fut un temps où la simple prononciation de ce mot coûtait une bonne raclée au commissariat de police), les «Mkhaznias» » ou encore les «Chabakounis ». Un corps longtemps effacé, dont le statut est bâtard, qui relève théoriquement du ministère de l'Intérieur, mais qui fonctionne sous la direction des militaires. Bref, chacun y va de son propre commentaire et de sa petite musique pour soulager ses frustrations. Une douce euphorie qui ne durera pas longtemps. Car quelques jours après, une réunion de la haute importante ce présidée par Fouad Ali-El-Himma, ministre délégué à l'Intérieur, et Chakib Benmoussa, ministre du même département, allait se tenir à l'état-major des Forces Auxiliaires à Rabat (FA). Redéfinition du rôle des Forces auxiliaires À l'ordre du jour : la présentation du nouvel organigramme des FA tel qu'il a été établi par le Souverain, Chef d'état-major général des Forces armées royales. Il était question également de dévoiler les nouvelles missions des Forces Auxiliaires, leurs nouveaux statuts, sans oublier la répartition et la délimitation des zones de leurs compétences matérielles et territoriales. En plus clair, le nouvel inspecteur général des FA est porteur d'un nouveau projet de rénovation morale et de restructuration physique de cette institution appelée précisément à jouer un rôle déterminant au sein de l'appareil sécuritaire du pays. Le général de division Hamidou Laânigri, qui ne succède à personne, le dernier étant le général de brigade Ahmed Kourima, parti à la retraite il y a quelques années, devra, selon des sources dignes de foi, s'occuper du redressement de la structure de ce corps paramilitaire qui constituera désormais la priorité et le centre d'intérêt du ministère de l'Intérieur. Un corps qui se dotera des moyens nécessaires d'autodéfense et subira la formation adéquate pour répondre aux besoins du pays en matière de sécurité. Des moyens en structures spécialisées, en compétences humaines et en budget de financement. Le tout pour permettre à la machine des forces auxiliaires de se mettre en équation et procéder à sa propre mise à niveau. Du jamais vu. Il s'agit de traduire dans les faits les “nouvelles ambitions du pays en matière de sécurité, de répondre à l'attente de la population et de s'inscrire dans une démarche de progrès et de modernisation”. Ainsi sont déclinés les principaux axes de la grande réforme engagée par l'inspection générale des forces auxiliaires. Une redéfinition du rôle, des attributions et de la place des forces auxiliaires sur la scène sociale dans son tumulte quotidien. Cette nouvelle démarche étant en soi une évolution qualitative au niveau du statut et du rôle, plutôt très controversés, de ce corps pendant plusieurs décennies. Ainsi, le premier volet de la réforme touche tout d'abord le champ d'action des FA et leurs compétences territoriales qui seront totalement chamboulés. En plus de la zone Nord ( qui s'étendra de Rabat à Oujda en passant par Tanger ) et la zone Sud (de Casablanca à Agadir ), une troisième zone, dite opérationnelle, et ayant un statut très spécial, vient s'ajouter au nouvel organigramme des Forces Auxiliaires version Laânigri. Celle-ci s'étalera de la ville d'Agadir aux frontières marocco-mauritaniennes en passant par tout le Sahara marocain. Pour l'instant, rien ne filtre sur ce que seront les attributions des FA de cette zone qui dépend étroitement de l'avenir du Sahara Marocain. Le changement préconisé par Laânigri envisage que chaque zone dispose de son propre commandement dépendant étroitement de l'état-major de Rabat qui le tient à l'œil et exerce légitimement sur lui une autorité de tutelle. Pour le commandement de la zone Nord, la priorité est donnée ainsi à la lutte contre le trafic de drogue et l'immigration clandestine. Deux priorités que lui imposent la position géographique et sa vocation de pays ouvert sur le monde. Vigilance et surveillance À nouvelle approche, nouveaux moyens. D'un effectif composé de plusieurs milliers d'agents, les forces auxiliaires Zones Nord se doteront, à titre d'exemple, d'unités spécifiques et de matériel moderne ( Madrid a fait gracieusement un don de 214 véhicules tout terrain à Rabat ) pour renforcer les moyens de vigilance et de surveillance de toutes les côtes méditerranéennes. Dans son deuxième chapitre, la réforme des Forces auxiliaires, prévoit également que chaque Zone disposera de deux unités : l'une mobile, appelée makhzen mobile (MM), et l'autre fixe, baptisée makhzen administratif (MA). La première, dont les membres élisent généralement domicile dans des casernes ( comme c'est le cas du groupement de Bournazil à Casablanca ), s'occupera du terrain ( en lieu et place des CMI (Compagnies Mobiles d'intervention) qui seront réaffectés au sein de la DGSN, en manque d'effectifs. Le projet tel qu'il a été repensé par Laânigri ressemble à ce qui se fait en France avec les CRS (Compagnies de sécurité françaises) pour le maintien de l'ordre et de la sécurité. Appelées à faire le sale boulot, ces unités s'occupaient il n'y a pas longtemps à disperser sauvagement les foules des grévistes devant le Parlement, à surveiller les terrains de football…, en contrepartie d'une prime qui ne dépasse guère les 15 Dhs/l'agent pour une journée de travail… Le vœu de Laânigri est justement d'organiser, cette unité, rendre son travail plus utile et surtout légal, et la réconcilier autant se faire que peut avec la société. La deuxième unité, comme son nom l'indique, est plutôt opérationnelle dans toutes les administrations du pays. Elle dépend étroitement du ministère de l'Intérieur et ses membres sont implantés dans chaque arrondissement, chaque province, chaque préfecture, chaque wilaya, chaque dispensaire, chaque tribunal, chaque ministère…, on les voit partout, vraiment partout. Une véritable armée, des agents champignons dont le principal souci est de se débrouiller coûte que coûte l'information, puis la remonter en temps réel à la hiérarchie. Un système d'espionnage informel qui va de l'arrondissement, au ministère, en passant par les services de la Direction des affaires générales ( DAG ) relevant des Préfectures et des Wilayas. Cela a duré plusieurs années, depuis leur création presque clandestine, par le général Mohamed Oufkir au tout début des années 60, et durera le plus longtemps possible même avec la nomination de Hamidou Laânigri, l'homme qui a fait du renseignement son principal outil de travail. Les « casse-croûte » des militaires Nous sommes au milieu des années 60. Le général Mohamed Oufkir, le puissant ministre de l'Intérieur et de la Défense décide de créer presque clandestinement le corps des forces auxiliaires. L'objectif étant de contrecarrer l'hégémonie de la Gendarmerie royale. Chose faite sans la moindre difficulté et sans que feu le Roi Hassan II ne soit mis au courant. Il a fallu attendre le coup d'Etat de 1971 à Skhirat pour que le Roi prenne connaissance de l'existence de ce corps armé que sont les forces auxiliaires. L'histoire voudrait que le Souverain soit sauvé par un haut gradé des forces auxiliaires qui n'est autre que Ahmed Kourima, devenu depuis, général de brigade. On sait depuis que c'est la vérification de l'insigne du gradé qui a révélé l'existence de cette branche de la sécurité, tenue secrète jusque-là et qui dépendait étroitement des militaires. Il faut aussi souligner que les forces auxiliaires ont participé activement dans la guerre que menait le Maroc au Sahara contre l'ennemi séparatiste. Bon nombre d'entre eux ont trouvé la mort défendant la patrie. La garnison de Souk Larbaâ connue sous le nom de la « caserne des veuves » demeure un témoin à vif de cet épisode de l'histoire militaire nationale où les agents des forces auxiliaires ont été massacré lors d'attaques sanglantes. D'où une appellation répandue dans les milieux militaires taxant les FA de «casse-croûte» de l'ennemi. D'ailleurs la plupart des détenus militaires du Polisario étaient des FA. Depuis cette date (le coup d'Etat de 1971), feu le Roi Hassan II a décidé de mettre les forces auxiliaires sous la tutelle du ministère de l'Intérieur. Craignant d'autres coups d'Etat, les FA sont devenues les grandes oreilles de la Monarchie dans tout le pays.