La sortie «mesurée» du président, Abdel Aziz Bouteflika, après 50 jours d'absence n'a fait que consolider les doutes des Algériens sur son état de santé. Ce que le chef de l'Etat tentera de dissiper avec une série de déplacements qui a démarré, samedi dernier, avec sa participation au 7ème anniversaire de la création de l'Union africaine tenue en Libye. A tous ceux qui s'étaient interrogés, hommes politiques et milieux d'affaires sur les raisons de la longue absence du président, Saïd Bouteflika- frère et conseiller de ce dernier ainsi que passage obligé pour presque tout le monde au palais d'El-Mouradia- répondait par une seule phrase : «le patron n'a –t-il pas le droit comme vous de prendre des vacances» ; et Saïd d'ajouter : «avec la seule différence, c'est qu'il gère les affaires du pays heure par heure». Justifications qui ne semblent guère convaincre ceux qui connaissent un peu de près les petites habitudes de Bouteflika ; et, qui entretiennent quelques bonnes relations avec certaines chancelleries occidentales. Dans ce contexte, si les diplomates américains en poste à Alger s'abstiennent de donner la moindre explication sur l'absence du président algérien, leurs collègues français, par contre, n'hésitent pas à provoquer les soupçons voire les spéculations à travers les longues analyses qu'ils projettent devant leurs visiteurs, tous milieux confondus. Ce qui n'a pas empêché des responsables algériens tels que le premier ministre, Abdelaziz Belkhadem ou le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, à répéter devant quelques gouverneurs des Banques centrales arabes venus à Alger pour participer aux travaux de la 30ème session des institutions financières arabes lors de laquelle Bouteflika a choisi de concrétiser sa rentrée présidentielle que : «les Français adorent les sciences fictions comme les mondanités politiques». Allusion faite à l'affaire du couple Sarkozi. Et ces ministres algériens de poursuivre : «Nous sommes convaincus plus que jamais que les Français n'ont rien compris et ne comprendront rien aussi bien de l'Algérie que des Algériens». Pour preuve, «tout le monde gagne du terrain chez nous sauf eux», rétorque Belkhadem. Quoi qu'il en soit, les Algériens ressentent au fond d'eux-mêmes qu'il y a quelque chose d'inhabituelle dans l'absence du président, même si elle n'est pas comparable à la période qui avait précédé le fin de règne du feu président Haouari Boumédiène. Cependant, on s'accorde à remarquer l'incohérence flagrante aussi bien dans le comportement de Bouteflika que dans le contenu de ses discours qui vont désormais dans tous les sens. A cet égard, les analystes politiques ne cessent de se poser les questions sur la négligence du chef de l'Etat ainsi que de ses proches, des deux sujets prioritaires et urgents qui tenaient le haut du pavé avant son départ pour ses longues vacances. A savoir, la modification de la Constitution lui permettant de briguer un troisième mandat ; et, le délai qui pourrait être accordé pour le «retour dans le droit chemin» des Islamistes. Ces mêmes analystes n'arrivent pas, en revanche, à expliquer la focalisation de Bouteflika sur les questions économiques, devenues apparemment ses nouveaux dadas. Des préoccupations que qualifie, l'ancien premier ministre, Mouloud Hamrouche, qui connaît mieux que quiconque ou presque le président de la République algérienne, de bizarres. Notamment, pour un animal politique comme lui. Sauf si ce dernier est totalement convaincu qu'il avait mis fin à toute opposition politique dans le prochain avenir. Une éventualité qui demeure un risque lorsqu'on sait que le dernier deal conclu entre Bouteflika et l'institution militaire n'est pas sacré. En se concentrant sur l'économique et le social, et en s'éloignant probablement pour l'instant, des sujets politiques brûlants, ce dernier tente de montrer qu'il est au-dessus des intérêts personnels. Surtout que le dernier deal avec la Grande muette lui avait garantie un 2ème mandat sans heurts ni malheurs ; et qu'un 3ème mandat est possible «si affinités». Pour Abdelhamid Temmar, un des hommes du dernier carré et ministre des Finances, le chef de l'Etat est devenu un «Soufi en matière politique». Ce qui l'intéresse le plus, dit-il, c'est d'améliorer le niveau de vie des Algériens, réduire le taux de pauvreté et assurer un avenir brillant aux nouvelles générations. C'est pour ses raisons qu'il consacre maintenant la majorité de son temps, de son énergie, pour réaliser ses objectifs. Ce constat n'est pas cependant de l'avis de Hussein Aït Ahmed, chef historique du FFS. Ce dernier estime que le président n'est pas tombé soudainement amoureux de l'économie et de l'amélioration du niveau de vie des pauvres et des petites gens que lorsque les revenus pétroliers de l'Algérie ont dépassé toutes les estimations et le matelas des devises avoisine les 50 milliards de $. Cela dit, il veut se positionner sur ce créneau pour renforcer ses positions et trancher le moment venu. Le report, très provisoire certes, de la modification de la Constitution, pour assurer de meilleures conditions politiques, c'est du Bouteflika, affirme Aït Ahmed. Il faut suffisamment le connaître pour pouvoir bien analyser ses attitudes et ses positions. Pour ce qui est de son absence de 50 jours qui pourrait être en raison de sa maladie ou pas, un des plus influents généraux de l'armée à la retraite commente ce fait en disant : «le président a l'habitude et la capacité de s'hypnotiser» ; et d'ajouter : «De ce fait, il ne faut guère être surpris». Ces constats, ces analyses et ces faits, ne font qu'augmenter les doutes et laisser le flou prédominer au sein de la société algérienne. Retours en arrière Plusieurs indices tangibles confirment l'incohérence qui s'installe progressivement au niveau du centre des décisions en Algérie. Jusqu'à cette date, ni les chancelleries occidentales ni les compagnies pétrolières et gazières internationales n'arrivent à comprendre les raisons qui avaient poussé le chef de l'Etat algérien à revenir sur l'adoption de la loi sur les hydrocarbures. Moins encore les justifications qu'il avait donné pour fermer ce secteur devant l'investissement étranger. Un haut responsable de la société américaine Anadarko qui travaille depuis de longues années en Algérie dans le domaine du gaz, affirme que celui qui a initié les derniers amendements concernant cette loi- c'est à dire Bouteflika- c'était lui même qui s'est battu contre les syndicats et une aile de l'armée pour ouvrir le secteur. Et ce haut responsable d'indiquer que le président algérien est le mieux placé pour mesurer les répercussions néfastes de revenir sur un vote d'une telle importance pour les compagnies étrangères, notamment américaines. Malgré ces contraintes, Bouteflika a franchi le pas. Autre indice, la fermeture de toutes les portes devant la signature du traité de paix et d'amitié avec la France en vertu duquel, on apprend que l'Algérie aurait pu profiter de toutes les facilités que Paris pourrait lui offrir au sein de l'Union européenne. Les excuses personnelles et les promesses données par Jacques Chirac concernant l'annulation de la loi votée citant les bienfaits du colonialisme, sont restées lettres mortes. Bouteflika n'avait fait que rouvrir les plaies des Algériens. Dans ce même ordre d'incohérence politique, le ministère algérien de l'Education a persisté et signé en fermant l'école saoudienne à Alger prenant pour alibi le refus de la direction de cette dernière d'enseigner l'histoire de l'Algérie selon le programme suivi par le ministère. Ce que cette direction dément catégoriquement. La raison de cette provocation provient, selon les Saoudiens, du fait qu'Alger et son président ont renoué avec leurs nostalgies d'antan. Ils veulent désormais jouer sur les contradictions existantes entre les pays du Golfe ; plus particulièrement entre l'Arabie Saoudite et le Qatar. Cela est fortement remarqué depuis plusieurs mois à travers les médias algériens. Parmi les autres faits marquants de ces retours en arrière, la récente attaque virulente de Bouteflika lors de la 30ème session du Conseil des gouverneurs des banques centrales arabes, des banques étrangères qui «continuent à spolier nos richesses». Mais, au même moment, de hauts responsables algériens recevaient, côte à côte, avec le président du directoire de la banque de Société Générale Algérie, Joel Jarry, les félicitations pour avoir réussi à dépasser le cap de 50 000 clients. Par ailleurs, c'est toujours dans cette même logique d'incohérence, que Bouteflika a décidé d'apaiser la tension avec la Libye. Après avoir poussé ses médias à attaquer son homologue maghrébin, Mouammar Kadhafi, pour avoir comploté contre l'Algérie par le biais des Touaregs, le chef de l'Etat algérien a rapidement répondu présent à l'invitation de ce dernier pour assister au 7ème anniversaire de la création de l'Union africaine. Pis encore, il a donné son feu vert à la Sonatrach pour signer un accord avec la NOC libyenne (National Oil Company) pour confier à un bureau d'étude américain d'établir une étude portant sur les interférences entre le champ pétrolier et gazier libyen Al-Wafaa et le champ Al-Rar algérien. Ce que refusait Bouteflika un mois auparavant. Dans ce cadre, on apprend de sources libyennes concordantes que cette marche arrière de la part de ce dernier est due aux craintes du rapprochement grandissant ces derniers temps entre Rabat et Tripoli. Flou socio-économique Après la démission, l'année dernière, de Mohamed Saleh Mentouri de la présidence du CNES (Conseil national économique et social), Bouteflika croyait que son remplaçant, Babès, publiera des rapports qui feront l'éloge des progrès socio-économiques réalisés ; et se lancera dans le décryptage de la dimension des revenus et des réserves qui ont permis d'anticiper sur le remboursement des dettes. Hélas, ce dernier a montré que le CNES est une école spécialisée dans l'objectivité et la crédibilité. En effet, le dernier rapport émanant de cette institution, publié fin août dernier, a critiqué sans aucun état d'âme, la lenteur des réformes, tirant la sonnette d'alarme contre l'inquiétante chute de la production nationale. Passant rapidement sur les réalisations macroéconomiques et financières dues uniquement aux recettes des hydrocarbures, le CNES a insisté sur les «dysfonctionnements qui affectent des pans entiers de l'économie et interrogent à la fois les structures de marché, les dispositifs mis en place ainsi que les stratégies d'insertion dans l'économie mondiale». Ce que Bouteflika a considéré comme des critiques à l'égard de son plan de relance économique. Surtout que le rapport parle de l'économie algérienne qui attend toujours un saut qualitatif dans les systèmes de décision, de gestion, de management et d'organisation. Pour les experts du FMI qui traitent le dossier algérien, l'enjeu dépasse le fair-play. Car pour qu'une économie de marché fonctionne bien, tous ses participants doivent lui faire confiance. Il faut que les investisseurs potentiels, soient certains qu'il y a un terrain égal pour tous et une information exacte, non pas un jeu truqué dans lequel «ceux du dedans» sont sûrs de gagner. Ce qui n'est pas le cas jusque-là en Algérie, ce, malgré les déclarations de tous les responsables. De toute façon, une analyse rapide de la balance de paiements de l'Algérie à partir des chiffres officiels publiés par les autorités compétentes montre que le pays est exportateur de richesse et importateur de pauvreté. Un résultat de l'incohérence à tous les niveaux, sur tous les plans.