La campagne électorale pour le renouvellement du tiers sortant de la Chambre des Conseillers a été lourdement affectée par des pratiques que l'on croyait en voie de disparition dans un processus de transition démocratique demeurant fragile. La déclaration du ministre de l'Intérieur a remis les pendules à l'heure dans les états-majors des partis politiques et la société civile fortement sollicités pour une évaluation objective et une réforme radicale visant à garantir des élections transparentes et honnêtes au Maroc. C'est une première chez nous et ailleurs, car la sortie publique de Chakib Benmoussa s'est apparentée à une dénonciation en règle des tentatives de falsification électorale par le recours à la corruption, l'achat des consciences en monnayant les voix et la mise à l'index des pratiques malsaines et anti-démocratiques de candidats Conseillers dans leur rapport aux électeurs. Bien que sachant raison garder en usant d'un langage mesuré et intelligent, le ministre de l'Intérieur a épinglé, de manière implicite, la responsabilité des formations politiques en leur faisant porter le fardeau de toutes les incidences néfastes qui ont entaché le déroulement général de la campagne du scrutin partiel de la Chambre des Conseillers. Probablement que Benmoussa a eu la délicatesse de ménager sa propre majorité parlementaire car le « scénario de crise » de la deuxième chambre est proprement impensable sous d'autres cieux. Dans la mesure où les mêmes majorités partisanes se reproduisent dans les deux compartiments de la voûte bicamérale. Oui, l'argent a coulé à flots des poches de candidats « ripoux » accrédités par des partis politiques indélicats. L'ivresse du pouvoir a fait des ravages dans les rangs partisans qui ont fait la sourde oreille aux appels à la vigilance et à la bonne conscience civique réitérés par le gouvernement et le Département coiffant l'administration territoriale. Oui, la corruption électorale a entaché un verdict des urnes sur les résultats duquel bien des interrogations persistent. Oui, l'opinion publique a exprimé vivement son indignation contre ces pratiques perverses dénoncées par le ministre de l'Intérieur dans sa déclaration solennelle du samedi 9 septembre. Chakib Benmoussa a, clairement et sans détour, récriminé l'usage de la corruption et l'achat des consciences qui ont entaché la campagne électorale entamée le 1er septembre. Une réforme «manipulite» Le chef de l'administration territoriale a annoncé un vaste chantier de réforme de la législation réglementant l'organisation et le déroulement des scrutins visant à assurer plus de garanties pour la transparence des élections et plus d'efficacité dans la prévention et la répression des contrevenants et candidats « délinquants » même si les comportements de ces derniers ont été qualifiés de « personnels » engageant, en premier lieu, la responsabilité de leurs auteurs. Toutefois, allusion nette a été faite aux partis politiques qui se sont rendus coupables en délivrant des accréditations « erronées » ou de complaisance sans faire le tri salutaire auparavant. De son côté, la puissance publique a mis en œuvre toutes les mesures visant à déjouer les pratiques condamnables et appréhender ou réprimer les cas saisis en flagrant délit ou avérés. Toujours est-il que Benmoussa s'est engagé, une fois la proclamation des résultats effectuée, à procéder à une évaluation en profondeur des conditions de déroulement du scrutin du 8 septembre pour en tirer les leçons et procéder aux actions préventives ou de redressement qui s'imposent. Pour plus de précision, tout sera mis en œuvre, a encore assuré le ministre de l'Intérieur, pour faire échec à toutes les tentatives de dénaturation du processus de transition démocratique et consolider la marche sereine et sûre du Royaume vers un Etat de droit démocratique, respectueux des droits de l'homme et moderne. Ainsi, les recours mettant en cause les irrégularités constatées pendant le scrutin seront dûment examinées par le Conseil constitutionnel qui statuera sur le bien fondé ou prononcera le rejet ou la suspension des résultats suspectés ou incriminés. C'est proprement révoltant que les acteurs politiques qui pointaient, par le passé, un doigt accusateur sur la puissance publique et le Département de l'Intérieur chargés de tous les travers en préfabriquant des résultats de scrutins «truqués». Mais la donne a changé et le masque est vite tombé laissant apparaître les véritables adversaires de la transparence démocratique et de l'honnêteté électorale dans notre pays. Si les « trucages » et autres irrégularités anciennement imputées dans le déroulement des scrutins législatifs et communaux à l'administration marocaine semblent, à l'évidence, avoir disparu de nos mauvaises traditions électorales, en revanche la corruption et l'achat des consciences continuent d'hypothéquer l'avenir d'une transition démocratique mise en danger. Et en continuant à accréditer des candidats véreux, les partis politiques fragilisent un processus de transparence dont les contradictions menacent sérieusement l'avènement d'une démocratie représentative conforme à la carte politique réelle dans le Royaume. Un Royaume où l'arrivisme et les appétits de pouvoir font craindre le pire si des mesures sévères ne sont pas données en exemple par les états-majors des formations politiques les plus exposées à ces pratiques incriminées. Sinon, l'Etat à lui-seul aussi « manipulite » puisse-t-il être, et quels que soient les moyens mobilisés pour assurer la régularité des scrutins, ne sera jamais en mesure de neutraliser les actes répréhensibles et de mettre un terme définitif aux comportements immoraux des acteurs politiques dans notre pays qui ont déjà été largement éreintés dans les propos récriminateurs officiels et populaires. Faut-il garder la deuxième Chambre ? Du coup, la résurgence des vieux démons nous conduisent à nous interroger sérieusement sur la légitimité d'un Sénat dont nombreux sont ceux qui réclament sa suppression purement et simplement. D'autant plus que ce sont les scrutins indirects et partiels qui ont fait couler l'argent sale pour nous sortir une carte politique faussée de la Chambre des Conseillers. Alors que la normalisation de la démocratie représentative au suffrage universel se mettait bien en place après le déroulement des législatives de 2002 qui fut globalement qualifié d'honnête et transparent par les chancelleries des démocraties occidentales. Notre Sénat peut-il espérer survivre au désastre d'un scrutin partiel entaché par les marchands de consciences et les esprits mercantiles pourfendus dans le dernier discours Royal commémorant le 53ème anniversaire de la Révolution du Roi et du peuple et le 43ème anniversaire de Mohammed VI? En effet, le Souverain, en appelant les Marocains à une révolution citoyenne pour un Maroc digne, n'avait-il pas incriminé, en substance, les faux patriotes et autres affairistes en préconisant de « donner au patriotisme son sens concret et authentique et de transcender la conception mercantile qui l'assimile à un troc abusif où l'on ne consent à donner que pour être grassement rétribué en retour ». Le Souverain n'avait-il pas recommandé de s'investir dans la défense des « valeurs sacrées de la Nation qui transcendent tous les intérêts et calculs individuels ». En d'autres termes, est-il encore envisageable de tolérer les travers condamnables d'une deuxième chambre « hors-zone » et en flagrant déphasage avec la société moderne en voie d'édification ? Et à l'heure où le pays est confronté à d'énormes défis de lutte contre la pauvreté, de développement durable et de lutte anti-terroriste ? Une chambre des Conseillers qui est devenu la risée de l'opinion publique dont nombre de citoyens ne font pas mystère d'en ignorer les missions et l'utilité ? Et dont le scrutin partiel du 8 septembre vient d'être entaché par le recours abusif à la corruption et à l'argent sale dont ont fait état de nombreux témoignages parvenus aux instances compétentes et ad hoc. Des témoignages formels qui ont épinglé des marchandages iniques faisant flamber le « cours de l'achat des voix » qui auraient atteint jusqu'à 600 000 DH pour le monde corporatiste et 10 000 par élu local. Ces tentatives de falsification du verdict des urnes peuvent coûter cher à l'avenir en creusant encore davantage le fossé de méfiance séparant les acteurs politiques du citoyen. Surtout que ce dernier a exprimé sa réprobation sur des opérations votatives loin d'être au-dessus de tout soupçon et ce, au moment où la majorité gouvernante a conforté l'effectif de ses représentants en sièges à la Chambre des Conseillers. Le quatuor en tête de peloton menant la danse, PI, MP, RNI et USFP, ce dernier qui a doublé la mise en dépit de son quatrième rang. A telle enseigne que les pauvres électeurs ne savent plus sur quel pied danser pour refiler un tant soit peu de crédit aux partis de la majorité gouvernementale ou aux formations de l'opposition. Recours et déballages La guerre aux « ripoux » Il n'est plus possible de mettre en doute la volonté politique d'opérer des actions d'envergure pour « nettoyer » le champ des compétitions politiques dans lequel les partis sont vivement appelés à remplir correctement leurs obligations constitutionnelles, politiques et morales. En effet, l'effet d'annonce du ministre de l'Intérieur laisse deviner la mise en branle de la machine judiciaire dans le Royaume pour ouvrir des enquêtes sur tous les recours dénonçant les irrégularités et les fraudes commises pendant le déroulement de la campagne du tiers de la deuxième chambre. Concrètement, les poursuites seront dûment engagées contre tous les « suspects » ou « accusés » de corruption parmi les candidats après la proclamation des résultats définitifs des élections partielles au motif qu'il est juridiquement interdit de poursuivre ou d'arrêter un candidat pendant la campagne électorale. Mieux encore, une suite sera donnée à tous les articles de presse dénonçant des cas d'irrégularités ou de corruption électorale aux fins d'enquêtes pour en établir la responsabilité ou la culpabilité. C'est très sérieux et c'est la raison pour laquelle un grand chantier de réforme est en passe d'être ouvert en associant les acteurs politiques et civils concernés invités à s'impliquer dans la transparence et la clarté de leurs engagements. Benmoussa disposera-t-il du temps suffisant pour que ces nouvelles lois soient votées au parlement, portant sur le code électoral, le découpage administration et l'accréditation des candidats ? Oui, si l'accélérateur bat son plein et que les projets de textes soient présentés à la prochaine session parlementaire ? Un pari que le gouvernement est en mesure de remporter.