Successeur du Marocain Abdelhadi Boutaleb qui avait dirigé cette organisation depuis sa fondation dans les années 80, Abdelaziz Othman Touijri, le docteur saoudien qui assure le secrétariat général de l'Organisation Islamique pour l'Education, la Science et la Culture (ISESCO) considère que cette instance joue un rôle d'avant – garde pour la défense de l'Islam et des musulmans à travers le monde. Elle contribue ainsi à mieux resserrer les liens entre les minorités musulmanes à travers le monde et leurs pays d'origine. Gazette du Maroc : Commençons si vous le permettez par l'inauguration du nouveau siège permanent de l'ISESCO à Rabat. Que représente pour vous cet événement et qu'ajoutera-t-il à votre organisation, à la culture et à la civilisation dans le monde islamique. Abdelaziz Othman Touijri : Je suis heureux que Dieu nous ait aidé à réaliser ce noble objectif grâce au soutien des Etats membres, en vue de bâtir cet édifice dans cette belle capitale marocaine qui est la ville de Rabat, siège permanent de l'ISESCO. Ce nouveau siège était encore un rêve pour les personnalités qui ont veillé sur la création de notre organisation. Dieu merci, ce rêve est devenu réalité et cet édifice sera réellement un grand forum , une vitrine de la culture, de la science et de l'éducation dans le monde musulman et qui permettra de faire circuler les informations les plus fiables et les plus authentiques pour mieux refléter l'islam et favoriser une meilleure connaissance de la religion de cette civilisation et du monde islamique d'une façon générale. Le siège permanent de l'ISESCO à Rabat ajoutera un plus à notre organisation et favorisera un saut qualitatif qui permettra de développer notre action en la dotant de nouveaux outils de travail. On sait que de nombreuses organisations arabes et islamiques, en partculier celles ayant un caractère politique vivent dans une véritable léthargie. On constate, cependant, que l'ISESCO fait exception. Elle se différencie nettement de ces organismes à travers les multiples actions qu'elle mène au plan culturel, scientifique et éducationnel. Quelles sont les réalisations les plus significatives que cette organisation a accompli depuis votre accession au poste de secrétaire général en 1991, un mandat qui a été reconduit respectivement en 1994, 1998 et en 2003 ? Je peux exprimer toute ma satisfaction du fait que l'ISESCO a pu accomplir de nombreuses réalisations depuis mon arrivée. Au plan structurel et au niveau des lois et aussi au niveau des rapports et relations qui nous lient avec les pays membres et avec l'ensemble des organisations internationales analogues. Je pense qu'aujourd'hui l'ISESCO est devenue une organisation de plus en plus présente au plan international. Elle entretient des relations avec plus de 140 organisations internationales et régionales. Des relations de coopération et de partenariat avec les plus grandes organisations dont notamment l'UNESCO, l'UNICEF, l'OMS, le Conseil de l'Europe, l'Organisation internationale de la Francophonie etc. Nous sommes réellement en train d'appliquer les recommandations et les décisions du Congrès général de l'ISESCO. Nous accompagnons les mutations et les évolutions qui s'opèrent dans notre monde musulman et à travers le monde entier. Nous nous efforçons, dans la mesure du possible, de représenter et de défendre la communauté islamique dans le monde de la culture, de la civilisation, de la science et de l'éducation. Nous faisons de notre mieux pour démontrer que la nation islamique est une nation civilisée qui sait coexister avec tous les peuples du monde et qui participe à l'enrichissement de la civilisation humaine et de la modernité. Nous agissons aussi contre la propagande anti-islamique, contre toutes les accusations infondées et toutes les fausse images attribuées a l'Islam. Elles émanent généralement de milieux anti musulmans et de personnes ignorant totalement l'Islam. La fonction primordiale de l'ISESCO est celle d'incarner la conscience culturelle, civilisationnelle et spirituelle commune du monde musulman. Elle fait de son mieux pour marquer sa présence dans toutes les régions du monde pour défendre la cause des peuples musulmans et contribuer au développement des pays membres dans les secteurs en relation avec sa fonction. Les missions confiées à l'ISESCO se sont multipliés ces derniers temps. Particulièrement depuis l'occupation de l'Irak et le déclenchement de la guerre contre le terrorisme. Avec les exactions dont sont victimes les communautés musulmanes à travers le monde, quel est votre sentiment sur cet affrontement qui se déroule au nom de la lutte contre le terrorisme ? En premier lieu, l'Islam est une religion qui condamne tout acte terroriste. Le terrorisme n'a rien à voir avec l'Islam, ni avec n'importe quelle autre culture ou religion. Ce qui se passe dans notre région, c'est que la guerre contre l'Irak s'est fondée sur des suppositions. Sur des justifications infondées et des mensonges. L'Irak n'a pas d'Armes de destruction massive. Il n'a pas proféré de menaces contre les Etas-Unis. Même si ce pays a menacé ses voisins, occupé un Etat et s'est impliqué dans une longue guerre qui a duré huit années et qui a épuisé les ressources et les forces des deux pays musulmans frères. Ceux qui mènent la guerre contre le terrorisme ne savent pas comment le faire. Il ne font que renforcer ce terrorisme à travers leur comportement. Ils portent préjudice à l'Islam et aux musulmans, à leur religion, leur culture et leur indépendance nationale. Tout cela en raison de la domination d'une poignée de nouveaux conservateurs et de l'OPA qu'ils exercent sur l'administration américaine. Cette administration ne cesse d'être manipulée par les milieux conservateurs et anti-musulmans. Des sionistes proches d'Israël déployés à servir essentiellement les intérêts israéliens. En contrepartie, il existe aussi des extrémistes dans le monde musulman qui commettent, hélas, des actes criminels au nom de l'Islam. L'Islam les condamne et fustige leurs actes préjudiciables à notre religion. En définitive, il y a deux extrémismes : celui des occidentaux et celui des musulmans. Il s'agit d'une guerre entre deux extrémismes et non d'une guerre anti-terroriste. Les deux sont condamnables. Les sages de ce monde se doivent de réagir, car ce qui se passe aujourd'hui ne contribue qu'à faire monter la tension et l'intensité des actes terroristes. Il nourrit la haine entre les cultures et les civilisations. Cela fait plus de dix années que nous appelons au dialogue entre les cultures, les religions et les civilisations. Au sein de l'ISESCO, nous avons adopté et appliqué de nombreux programmes allant dans ce sens. Nous avons dénoncé le terrorisme et tout acte d'agression contre des personnes innocentes partout à travers le monde. C'est cela l'attitude du monde musulman et nous sommes invités à dénoncer énergiquement les agressions qui touchent les peuples, leur dignité, leur culture, leur religion et leur indépendance. Je n'ai pas l'impression que l'occupation de l'Irak est une forme de lutte contre le terrorisme. Ce qui s'y passe est une occupation de fait. Nous devons d'abord commencer par expliquer les raisons de ces actes terroristes. Nous devons chercher ailleurs les raisons profondes de ce phénomène et l'attaquer avant qu'il ne détruise nos villes et tue des personnes innocentes. Vous avez pris, au sein de l'ISESCO, un certain nombre de mesures s'inscrivant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, dont notamment la déclaration islamique sur la diversité culturelle que vous avez adoptée lors du congrès tenu en Algérie. Comment pourrait–on, selon vous, matérialiser cette déclaration et quelle a été la réaction des autres ? Nous avons effectivement présenté cette déclaration lors du Congrès général de l'UNESCO qui s'achèvera dans quelques jours à Paris. Ce congrès a adopté une déclaration universelle sur la diversité culturelle, laquelle s'est heurtée à l'opposition des Etats-Unis, d'Israël, de l'Australie et d'un petit Etat marginalisé de l'Océan indien. Cette déclaration concorde avec le contenu de la déclaration islamique. Son contenu est que nous sommes opposés à la domination, à l'atteinte aux particularités et spécificités socioculturels des peuples, de leur identité et de leur culture. Nous sommes pour la diversité culturelle et cette déclaration adoptée par l'UNESCO confirme le contenu de notre déclaration. Ce qui nous rend un peu optimistes c'est le mouvement culturel à travers le monde et dans le cadre de l'UNESCO avec laquelle nous coopérons étroitement et qui tend à défendre des cultures et les reconnaissances des spécificités de tous les peuples du monde . Revenons maintenant à l'action propre à l'ISESCO, en vue de protéger les aspects civilisationnels et la culture islamique. L'Irak a fait l'objet d'actes de vol caractérisés notamment au musée de Baghdad. Pour leur part, les monuments islamiques de Palestine subissent également le même sort. Quelle est l'attitude de votre organisation su ce qui se passe sur ce plan dans ces deux régions du monde musulman? Je peux vous assurer que notre organisation a été la toute première à évoquer et à dénoncer le pillage organisé et systématique dont ont fait l'objet les musées et les établissements culturels irakiens juste après l'occupation de ce pays. Nous avons tenu deux réunions en Jordanie avec les responsables des monuments historiques irakiens. Il y avait également des experts jordaniens, des responsables représentant l'Egypte et d'autres pays arabes qui ont examiné la situation en vue de connaître l'ampleur de ces actes et aussi pour demander à la communauté internationale de les dénoncer énergiquement, en insistant sur leur caractère criminel et ce comportement qui bafoue un droit inaliénable de ce pays arabe et musulman. Nous avons attiré l'attention du monde que ce patrimoine islamique est un bien commun appartenant à toute l'humanité. Nous avons effectivement réussi à faire bouger l'UNESCO qui a formé une commission internationale qui s'est rendue en Irak ? Nous avons également réussi, en collaboration avec les autorités syriennes et jordaniennes, à récupérer nombre d'objets volés qui ont été restitués à l'Irak et nous continuons de coopérer avec les autorités irakiennes et avec les pays voisins de l'Irak et plusieurs pays à travers le monde via l'UNESCO pour récupérer les objets volés et poursuivre les criminels auteurs de ces actes de vol. Nous avons également présenté à l'UNESCO un mémorandum réclamant la récupération des objets volés dans les pays islamiques durant la période coloniale. Un projet de résolution a été soumis lors du congrès des ministres de la culture des pays islamiques, tenu à Alger en décembre dernier et nous continuons de suivre de près ce dossier en lui accordant toute l'attention qu'il mérite. Et que dire de la Palestine qui abrite nombre de vestiges historiques, de monuments et de lieux sacrés de culte musulmans et chrétiens? En ce qui concerne la Palestine, nous avons d'abord tenu à évoquer les actes criminels commis par les forces d'occupation israéliennes contre la civilisation et la culture en Palestine occupée, de la destruction des monuments et des établissements de culte, qu'ils soient musulmans ou chrétiens. Nous avons également organisé deux congrès consacrés à cette protection des lieux sacrés de culte en Palestine. Le premier a eu lieu au Maroc sous le haut patronage de S.M le Roi Mohammed VI, le deuxième s'est tenu en Jordanie sous le patronage de SM le Roi Abdallah Ibn Hussein. Nous continuons, d'ailleurs, de coopérer avec l'Autorité palestinienne et avec l'UNESCO à ce sujet. L'ISESCO sera certainement très heureuse lorsqu'une résolution internationale sera adoptée concernant la récupération des objets précieux volés et la restitution du patrimoine culturel aux pays islamiques. Israel vient d'adresser un appel à la communauté internationale réclamant la protection des lieux de culte judaïques dans la zone de Ghazza. Ne pourrait-on pas lancer un contre-appel du monde islamique réclamant la réhabilitation des monuments et des mosquées que les israéliens ont transformées depuis 1948, en bars, restaurants et boites de nuit ? Nous avons réalisé de nombreuses études et publié un livre document sur les actes criminels commis par Israël dans les territoires palestiniens. Nous avons notamment traduit le livre d'une femme-écrivain roumaine de notoriété, sous le titre Vous avez violé notre terre. Il retrace les pratiques sionistes en Palestine durant un siècle que nous avons publiés en trois langues (arabe, anglais et français). Nous avons aussi réalisé un document sur les crimes israéliens à Jenine avec des photos et des tableaux chiffrés. D'autres publications de l'ISESCO se sont intéressées aux actes de violation israéliens puis une série de livres sur les villages palestiniens détruits par Israël. Quant à ces appels d'Israël dont vous parlez, il s'agit essentiellement de synagogues édifiées après l'occupation de la Cisjordanie et de Ghazza en 1967. Il ne s'agit nullement de monuments ayant un quelconque caractère historique, mais d'édifices illégaux et non autorisés construits abusivement dans ces territoires. On ne peut les comparer ou les assimiler à des monuments palestiniens qui datent de plusieurs siècles. Nous avons appelé de vive voix la communauté internationale pour dénoncer ces amalgames et ces manœuvres dilatoires qui tentent de tromper le monde. Nous continuons à influer et à orienter l'opinion internationale pour qu'elle exerce des pressions sur Israël et sur ce gouvernement qui refuse la voie de la paix. Pour qu'il restitue les terres palestiniennes conformément aux accords internationaux en la matière, et la «feuille de route» que les deux parties ont acceptée. Concernant un autre volet se rapportant aux manuels scolaires dans plusieurs pays musulmans, vous avez rencontré en marge du sommet du Proche - Orient et d'Afrique du Nord et le G8, tenu à Rabat l'année dernière, Madame le ministre américain de l'Education et de l'enseignement. Celle-ci a prétendu que l'administration américaine n'exerce pas des pressions sur les sociétés musulmanes pour changer les munuels scolaires, particulièrement celles ayant trait à l'éducation religieuse. Jusqu'à quel point on peut croire une telle déclaration ? Elle affirme cela et je ne voudrais pas lui faire supporter plus qu'elle n'a déclaré. Cependant, ce que nous constatons tous les jours est que des pressions sont effectivement exercées sur certains pays du monde musulman en vue de changer ou modifier certains manuels, notamment à caractère religieux. Or, aucun musulman ne peut renier sa religion, ou brader son Coran. Il s'agit de versets coraniques ayant un caractère sacré. Nous devons rester attachés à nos croyances. Mais le plus important est de savoir expliquer ces textes. Nous devons donner à nos enfants une véritable formation de la religion islamique pour qu'on puisse corriger et redresser les erreurs d'interprétation. Il faut que nos enfants aient accès à toutes les données historiques objectives. Nous ne pouvons permettre à n'importe qui d'interpréter à sa guise le Coran et qu'il lance des «fatwas» de nature à semer la confusion et à tromper et désorienter nos générations montantes. Celles qui courent le risque d'avoir des tentations terroristes. Le plus important est d'améliorer la qualité de l'enseignement dans les sociétés musulmanes et que l'on puisse encourager le développement de cet enseignement. Or, des pressions américaines sont exercées non seulement pour changer les manuels scolaires à caractère religieux, mais pour supprimer certains versets du Coran, et annuler de certaines matières. Ce qui est tout à fait inadmissible et inacceptable. L'ISESCO a annoncé depuis longtemps qu'elle n'acceptera pas que les pays membres puissent importer leurs manuels scolaires réalisés en dehors du monde musulman. Chaque pays membre doit pouvoir améliorer et mieux adapter ses manuels scolaires conformément à ses objectifs propres et à ses particularités, dans le cadre d'un consensus inter-islamique englobant tous les membres de notre communauté. Une dernière question. L'ISESCO a déclaré la ville Sainte de la Mecque comme étant la capitale de la culture islamique durant l'année 2005. Certains y ont vu une forme de réponse à ces voix de la droite extrémiste aux Etats- Unis et en Occident qui ont appelé à plusieurs reprises à la destruction et au bombardement des lieux saints de l'Islam. Qu'en pansez-vous ? Ceux qui ont réclamé le bombardement de la Mecque sont des criminels et des terroristes. Il est temps qu'ils soient présentés devant des tribunaux internationaux et qu'ils reçoivent leur châtiment. Il y a des lieux sacrés et la Mecque est le lieu le plus sacré auquel se rendent les musulmans. C'est la ville à laquelle s'adressent les musulmans de par le monde cinq fois par jour. En conséquence, ce type d'appel ne peut venir que de criminels et de terroristes. La Mecque a une place toute particulière dans les coeurs des musulmans. Par conséquent, elle a un statut privilégié dans notre religion. C'est sur cette base que nous l'avons proclamée capitale culturelle du monde musulman. C'est une décision émanant du Congrès de l'OCI, tenu en décembre 2001 dans la capitale quatarienne Doha. Traduit de l'arabe par Omar El Anouari