Les dissensions qui tiraillent encore les partis de gauche tiennent à la fois des séquelles du passé et de la difficulté à prendre en charge les exigences redoutables de la phase actuelle polarisée par l'échéance électorale de 2007 Près d'une année après la tenue de son 7ème congrès, l'USFP connaît-elle encore des difficultés à réguler ses turbulences internes ? Le congrès régional de ce parti à Casablanca qui devait se tenir ce dernier week-end a été reporté en raison d'un désaccord sur les modalités de participation. Les uns s'en tiennent à la procédure définie lors du congrès national qui limite les participants aux 244 congressistes casablancais à cette instance auxquels devraient s'ajouter quelques militants et cadres cooptés par la commission préparatoire. Les autres remettent en cause cette procédure et préconisent une représentation élargie par le recours à de nouvelles élections des congressistes dans toutes les sections. « On assiste à une nouvelle guerre des positions entre différents groupes ou clans », indique un vieux militant pour qui l'appel à plus d'unité qu'était apparu le 7ème congrès ne semble pas avoir été entendu par tous. Alors que les congrès qui se sont tenus au cours des dernières semaines dans les différentes régions n'ont pas soulevé de problèmes de cette nature, le cas de Casablanca risque-t-il de créer un blocage ou pis encore un précédent qui aurait de fâcheuses répercussions dans les autres structures régionales du parti ? Le cas casablancais reflète deux séries de questions. La première est liée aux séquelles héritées des divisions que le parti a connues avec le courant syndicaliste de Noubir Amaoui puis lors des dernières élections communales de 2003 où le parti a enregistré son plus mauvais score historique dans la métropole qui fut longtemps son fief. Les divergences sur les choix imposés par l'ex-premier secrétaire, Abderrahmane Youssoufi, lors de ces élections et le recul enregistré ont rendu plus délétère un climat dont a pâti la mobilisation militante. L'un des enjeux du 7ème congrès était précisément le dépassement de ces séquelles cumulées pour redynamiser les sections et surtout leur apporter du sang neuf grâce à un effort d'ouverture. Cette tâche ne paraît pas aisée et on assiste encore à la persistance de rivalités et de cantonnements selon des affinités ou même des «ambitions» plus ou moins avouées.L'exception casablancaise serait aussi due, selon ce vieux militant des années de plomb, “au fait qu'il n'y a plus de direction solide au niveau régional qui sache imposer le respect des décisions du congrès national et réguler les problèmes courants...” La deuxième série de questions qui se manifeste ici semble, à l'évidence, être liée à la faible part accordée au débat et au positionnement politiques. Sur quelle base se différencient les différents protagonistes des querelles internes ? Pour ce militant lassé par ces dernières, «est-il primordial de s'assurer des positions de force en prévision des élections ? Est-il essentiel d'être toujours aux premières loges ?» Que des ambitions, voire des rivalités soient légitimes, il n'y a là rien de condamnable en soi, à ceci près que dans un parti qui se veut socialiste, elles devraient s'articuler à un contenu politique et à des règles démocratiques. Ceci devrait d'autant plus prévaloir que le contexte pré-électoral actuel est loin d'être rassurant. La bataille prévisible en 2007 s'annonce en effet très rude. Il faut faire face à la masse des mécontents et des déçus de l'expérience de transition amorcée depuis 1998 et être en mesure de défendre le bilan de celle-ci, malgré ses insuffisances. Il faut aussi faire preuve de pugnacité et de force de conviction face à la mouvance islamiste qui va se mobiliser, Al Adl Wal Ihsane y compris, pour assurer une nette victoire au PJD. Pour l'USFP et ses alliés, cet enjeu est censé être primordial et tout le reste y être subordonné. Face aux islamistes Ce qui supposerait (mais est-ce naïveté de le croire ?) que si rivalités il y a, elles devraient porter sur les capacités à organiser et à mobiliser une base élargie sur ces deux grands thèmes d'actualité. Comme cela avait été abordé au 7ème congrès, la vocation d'un parti socialiste qui veut garder une audience populaire, même après avoir rompu avec le populisme et tout traditionnalisme, constitue un vaste champ de réflexion, d'initiatives et de créativité en matière de nouvelles formes d'action et de sensibilisation sur le terrain. Autant de questions d'une grande acuité qui demeurent posées. Les divisions en vase-clos sans réel contenu politique (c'est-à-dire concernant la société et pas seulement le parti) et sans réelle ambition d'action efficace sur le terrain, avec de nouvelles forces à promouvoir, augure mal de la capacité à y faire face. Les remous signalés au sein de la Chabiba (organisation de jeunesse du parti) relèvent-ils de cet ordre ? L'intégration au sein des structures de l'USFP des membres de l'ex-PSD serait-elle aussi un test à cet égard ? Il y aurait encore quelques difficultés à aplanir sur ce plan dans telle ou telle ville, y compris à Casablanca. Au delà des simples quotas à réserver dans les instances à ces membres, la promesse d'apports militants et de dynamisme associatif sera-t-elle suffisamment démontrée et bien accueillie ? C'est en ce sens que l'ouverture aurait des chances d'être porteuse de renouveau et de prévenir les risques de sclérose et d'entropie. La difficile mutation interne que vit l'USFP ainsi que les autres partis de gauche est certes liée à leur histoire mais aussi à des blocages plus profonds, d'ordre culturel, que la société marocaine n'arrive pas encore à surmonter. Ces partis sont plus que jamais appelés à faire face à ces blocages dont l'islamisme n'est que l'excroissance. Le développement, économique et social, est impensable tant que ces blocages persisteront et la gauche, en opérant sa propre mutation, peut concrètement expérimenter les changements possibles dans la société. Difficile mutation Le « projet démocratique moderniste » est ici en question car il ne s'agit pas seulement de plaider à son propos pour un consensus aléatoire mais de le traduire en actions et en comportements convaincants pour des catégories sociales vouées à la marginalisation et au désespoir, notamment parmi les jeunes. Le parti du progrès et du socialisme (PPS) a, après la tenue de son 7ème congrès, voulu faire preuve « d'ouverture et de renouveau » en élargissant son comité central (de 240 à 450 membres) et son bureau politique (de 22 à 29 membres). Le comité central a élu ces derniers sur la base d'une liste de 50 candidats, la grande surprise ayant été l'adoubement, à une forte majorité des voix, de la recrue sahraouie Gajmoula bent Abbi qui avait récemment quitté le Mouvement populaire réunifié. Primauté est ainsi accordée par le PPS à l'ouverture pour consolider ses rangs et étendre son audience. L'accent est mis sur l'identité d'un parti de gauche refusant le populisme et la démagogie et prônant le réalisme réformateur et le refus catégorique de toute entente avec le PJD en raison du double langage et de l'obscurantisme de ce dernier. Si le PPS a choisi la méthode de conciliation entre ses composantes, même au risque d'une hypertrophie de ses instances, c'est, croit-on, pour stimuler l'effort à la fois d'augmentation des adhésions et de modernisation de l'organisation et des formes d'action du parti. Face aux incertitudes électorales de 2007, le PPS veut ainsi affirmer son apport qualitatif en tant que force de proposition (le rapport économique du congrès a ainsi été fort remarqué) et d'engagement résolu en faveur du projet démocratique moderniste opposé à l'intégrisme. Ainsi il veut conforter tant son ancrage à gauche (tous les partis et courants de celle-ci étaient présents à son congrès) qu'au sein de la Koutla et d'une vaste coalition incluant le RNI. Le PPS semble ainsi avoir fait son deuil de la perte occasionnée par la fusion de son allié, l'ex-PSD, avec l'USFP, qui remet en cause l'Alliance socialiste dont il était la principale composante. C'est la Koutla qui constitue désormais le seul pôle viable pour le PPS à l'horizon des législatives de 2007. On s'attend à des accords sur des listes communes, si le scrutin de liste est maintenu ou aménagé. C'est là un cap décisif pour le PPS qui devra, dans des conditions plus serrées, faire réellement preuve d'innovation à gauche du champ politique, ce qui est longtemps resté une gageure. Tiraillements Pour sa part le PSU (parti socialiste unifié) annonce une réconciliation avec ses courants dissidents (Action démocratique et Liberté d'initiative) sur la base d'une représentation plus juste de ces derniers dans les instances dirigeantes, d'un accord sur les statuts définitifs et de la tenue d'un congrès fin 2006. Tiraillé entre une aile « radicale » opposée à la participation au gouvernement de coalition et prônant une révision constitutionnelle importante comme préalable et une aile « modérée » qui veut soutenir l'évolution positive que recèle la transition actuelle, cette petite formation de gauche a longtemps été paralysée. Alors qu'il s'est voulu porteur d'un modèle plus démocratique, acceptant les courants et ouvert au débat, le PSU n'est parvenu qu'à susciter une certaine animosité chez l'USFP et semble voué à l'isolement de fait, surtout dans une perspective électorale. Le mal endémique de la division et des scissions qui n'a cessé de frapper la gauche est encore à l'œuvre au sein du parti du congrès national ittihadi, formé par une scission du courant de Noubir Amaoui lors du 6ème congrès de l'USFP en 2001. Cette fois-ci, c'est l'éternel second de Amaoui, Abdelmajid Bouzoubaa, qui préside à une nouvelle scission qui s'est donnée pour sigle : « le parti socialiste » et ce suite à des dissensions aigües entre clans. Un autre nouveau sigle est annoncé en cette mi-mai avec la création du « parti travailliste » de l'ex-ministre usfpéiste Abdelkrim Benatik qui compte regrouper des « mécontents ». Entre les exigences cruciales auxquelles la gauche doit faire face et la tendance aux divisions sans contenu, qui sont souvent caricaturales sinon parfois suspectes, on doit bien constater que le choix n'est pas toujours acquis.