Au début des années quatre-vingt-dix, alors que la première chaîne marocaine commençait à diffuser les telenovelas sud-américaines, nous assistâmes à un funeste bouleversement des émotions de toute une population. Ce fut la découverte du nouveau continent… Notre découverte ! De nouvelles choses, totalement ignorées auparavant, façonnèrent alors le quotidien de chaque marocain. Cela initia un bon nombre de personnes à une exploration sentimentale notamment en termes d'amour et de haine ; les deux ingrédients cruciaux des telenovelas. Grâce à ces feuilletons, les marocains furent briefés pour les différents procédés pour reconnaître et/ou exprimer l'amour. A savoir : Il faut avant tout et surtout arracher avec dextérité les pétales des tournesols pour s'assurer si le bien-aimé aime-t-il vraiment, ou pas du tout. Une tentative, par la suite, de casse du Wishbone (l'os de la ceinture scapulaire du poulet) serait une méthode fortement recommandée, pour mesurer l'ampleur de cet amour. Pour une touche de romance ; envoyer des lettres d'amour anonymes affranchies de lèvres rouges. Le portrait du potentiel bien-aimé était consciencieusement défini et ne laissait nul lieu à la confusion : il s'agissait bel et bien du jeune homme de physionomie Alfredosiaque ! Mais avant d'entamer d'éventuelles confessions, il faut s'attendre à d'abruptes péripéties dans sa vie : qu'une sœur jumelle inconnue jusque-là se manifeste, que la famille qu'on croit sa vraie famille s'avère ne pas l'être, ou qu'un parent richissime apparaisse et nous lègue par la suite toute sa fortune, grâce au mystérieux testament qu'il a pris la peine de rédiger en agonisant ! A force, le soupçon s'installa dans les esprits et tout le monde doutait de sa généalogie ! La convocation au Maroc de la protagoniste d'une des telenovelas les plus marquantes des années quatre-vingt-dix fut un évènement de taille et marqua tous les esprits durant cette décennie. On assista alors à « la ruée vers Guadalupe » ! Une deuxième marche pacifique qui avait mobilisé moult volontaires, des quatre coins du pays, de population féminine notamment. Le choc psychologique fut intense quand Guadalupe s'exprima en castillan face aux médias nationaux ! Avec cet avènement, des stratégies marketing avaient vu alors le jour ; la commercialisation de chaussures de marque « Guadalupe » spécialement conçues pour vous aider à imiter sa façon de marcher, de la lingerie et des sacs « Guadalupe » etc. La Guadalupesation cernait tous les produits commercialisables et pouvait même justifier la flambée des prix des produits agricoles ! Ce n'était plus des pommes que l'on achetait mais les joues de Guadalupe ! Le dénouement d'une telenovela ne pouvait avoir lieu qu'après un long supplice pouvant durer plus de deux cents quatre-vingt épisodes. Cela relatait des retrouvailles et des mariages heureux de certains, des suicides, des incarcérations et des infortunes d'autres. Récemment, au moment où un éventuel risque de répit des telenovelas menaçait la population marocaine, un prodige su alors la stupéfier : les telenovelas seraient dorénavant doublées en arabe dialectal ! De cette transition linguistique, l'arabe classique devint obsolètes aux yeux des marocains et un débat prônant la Darija en vue de l'officialiser naquit. En définitive, une controverse s'impose : pouvait-on espérer meilleur d'un peuple dont la majorité a pour source d'idéologie et de rationalité une mixité de navets nationaux, égyptiens et sud-américains ? —Meryem KAGHATE—