Et Israa partit en fermant la porte. Pour Amine le monde entier venait de s'écrouler et en un instant il avait perdu celle qu'il avait toujours aimée. Pourquoi sa vie avait-elle basculé si soudainement ? Il avait déjà perdu son emploi, ses enfants et maintenant sa femme le quittait. Si seulement il avait pu la retenir, il aurait remué ciel et terre pour le faire mais les papiers du divorce sur la table basse ne lui laissaient plus aucun droit à l'égard d'Israa. Alors il la laissa partir sans dire mot. Cependant une larme vint se loger au coin de son œil rempli de tristesse. Amine se mit à pleurer comme le jour où il avait perdu sa mère. Israa était plus qu'une mère pour lui, elle était son amie, sa sœur, sa moitié et aujourd'hui, pour la première fois de sa vie, il se sentait incomplet. Pourquoi n'avait-il pas remarqué que depuis toutes ces années elle était malheureuse ? Pourquoi ne l'entendait-il pas lorsqu'elle pleurait la nuit tout près de lui ? Israa était proche de lui tout le temps mais il se sentait pourtant si loin d'elle. Amine n'avait même pas remarqué qu'il négligeait son épouse depuis la perte de son emploi alors qu'elle était toujours là pour le soutenir et l'épauler. N'avait-elle pas promis après tout, il y a vingt ans, qu'ils seraient unis pour le meilleur et pour le pire ? Israa avait tenu sa promesse mais Amine avait semblé l'oublier. Il l'aimait tellement mais il ne parvenait jamais à affronter la réalité de la vie en couple. C'est elle qui faisait les plus dures concessions, c'est elle qui faisait le premier pas après chaque dispute, c'est elle qui portait le poids de la maison sur son dos et pas une seule fois elle ne s'était plainte. Maintenant qu'elle l'avait quitté il se rendait compte à quel point Israa était importante à ses yeux. Ne dit-on pas, après tout, que c'est une fois que l'on perd la personne que l'on aime que l'on comprend véritablement combien elle compte pour nous ? Amine venait de prendre conscience de tout cela et il regrettait maintenant de ne pas avoir mis tout en œuvre pour arrêter la procédure du divorce. Il se demandait à présent pourquoi il n'avait pas eu le courage de mener la bataille pour reconquérir sa femme. Pourquoi avait-il été si lâche envers cette personne qui s'était sacrifiée corps et âme pour lui ? Israa avait tout quitté pour le suivre : sa famille avait refusé Amine mais cela ne l'avait pas empêché de s'unir avec lui au détriment des siens. En l'épousant Israa avait tout perdu mais pour elle peu d'importance, elle avait gagné l'amour, et maintenant elle le quittait et c'est lui qui perdait tout à présent. Amine comprit enfin la douleur que l'on ressent lorsqu'on est abandonné par un être cher, il imagina ainsi la souffrance qu'avait subie la famille de sa femme le jour où il leur prit leur Israa. Il sentit au fond de lui une tristesse et une peine inestimables, il était tellement désespéré qu'il en perdit la raison. Un instant Amine avait même cru qu'en appuyant sur la touche « retour rapide » de sa télécommande sa vie serait changée. En effectuant la manipulation rien ne s'était produit, il jeta violemment le boîtier électronique et s'assit sur le canapé. Amine trouva près du téléphone le petit bloc note qu'Israa utilisait pour noter les messages. Les dernières pages étaient vides alors il prit le petit crayon mordillé par les petites dents de sa femme et se mit à écrire : « Ma tendre Israa, aujourd'hui tu es partie et tout a changé dans ma vie. Je ne serai plus le même homme sans toi. Tu as quitté la maison depuis à peine dix minutes et pourtant je me sens seul depuis une éternité. En partant tu as emmené avec toi le bonheur et la joie qui régnaient dans notre foyer. Tout ce que la vie m'a apporté de beau, elle me la repris en t'éloignant de moi. Je te demande pardon, Israa, pour cette misérable vie que tu as eue avec moi, tu méritais tant de bonheur et je n'ai pas su te l'offrir. Pardon de t'avoir entendu pleurer et de ne pas t'avoir prise dans mes bras pour te consoler toutes ces nuits, pardon d'avoir été la cause de ta séparation avec ta famille. S'il le fallait je passerai le restant de mes jours à te demander pardon pour toute la souffrance que je t'ai infligée durant ces vingt années. Mais je sais que cela ne suffirait pas pour que tu reviennes dans ma vie. Les enfants sont partis et tu n'es plus à mes côtés désormais je n'ai plus aucune raison de continuer à vivre. Te souviens-tu du quai n°2 à 17h15 ? C'est la où je t'ai fait ma demande et où tu as accepté de devenir mienne. C'est aussi là où je veux mettre fin à ma vie. Je veux que tu saches une chose : je t'aime Israa, je t'ai toujours aimée et je t'aimerai toujours. Ne l'oublie jamais. Adieu ma douce Israa, je te souhaite de trouver le bonheur que je n'ai jamais su te donner. » Amine détacha la feuille et la posa sur la petite table où Israa avait l'habitude de déposer le courrier, puis il monta dans sa chambre pour revêtir le costume qu'il portait le jour de son mariage. Le vêtement était soigneusement rangé dans la penderie, juste à côté de la magnifique robe blanche de mariée d'Israa. Il glissa ses doigts dans le voile de la robe avant de s'habiller. En vingt ans, il était toujours à sa taille même si la veste paraissait un peu trop serrée, Amine avait la même élégance que le jour de son union avec Israa. Avant de quitter sa maison, il regarda une dernière fois la photo de mariage posée sur le petit meuble du téléphone et il sortit laissant ainsi la demeure totalement vide. Pour la dernière fois il prit sa voiture pour se rendre à la gare et pour la dernière fois il acheta un ticket de train. Amine se dirigea vers le quai n°2 et se mit à fixer la grande horloge qui habitait le mur depuis tant d'années déjà. Ses aiguilles n'avaient jamais cessé de tourner depuis ce jour où un couple d'amoureux avait pris la décision de s'unir juste en dessous de ce témoin temporel. Un train arrive, Amine se souvint pour la dernière fois de la petite fossette qui se creusait sur la joue gauche d'Israa chaque fois qu'elle souriait. Et puis en un instant, il descendit sur la voie et mit fin à sa vie sous les roues du train qui entrait en gare. L'horloge affichait 17h15 comme il l'avait prévu. La vie d'Amine avait réellement commencé lorsque sa bien aimée avait accepté de l'épouser il y a 20 ans sur ce quai et sa vie se terminait ainsi le jour où elle l'avait quitté. Par le plus grand des hasards, l'horloge cessa de fonctionner au même moment, ses fines aiguilles ne tournaient plus, elles s'étaient arrêtées sur l'heure exacte à laquelle Amine s'était éteint. L'horloge était la seule à lui rester fidèle tout au long de sa vie, après vingt longues années elle s'était enfin tut laissant derrière elle une foule de personnes effarées par la découverte du corps d'Amine. Le temps passe et la vie aussi. Tous deux sont semés d'épreuves difficiles et douloureuses mais qui ne sont pas insurmontables, surtout si l'on est deux à y faire face. Chacun de nous passe sa vie à la rechercher de son âme sœur, certains la trouvent mais d'autres n'ont pas cette chance. A tous ceux et toutes celles qui ont trouvé leur moitié, n'oubliez jamais de lui dire que vous l'aimez. Que ce soit chaque seconde, chaque minute, chaque heure ou chaque jour, prouvez-lui toujours que sans elle vous ne seriez plus rien sur cette terre. Pour tous ceux et toutes celles qui ne l'ont pas encore trouvé, ne perdez pas espoir, vous finirez par connaître l'amour vous aussi et ce, que ce soit dans cette vie ou dans une autre, vous connaîtrez le bonheur un jour. Amine avait trouvé sa moitié mais il n'a rien fait pour la garder. Ne suivez surtout pas son chemin, il n'en vaut pas la peine.