Journaliste du quotidien arabophone Akhbar Al Yaoum, Hajar Raissouni est poursuivie en état de détention provisoire depuis le samedi 31 août dernier pour « avortement » et «relations sexuelles hors mariage ». La jeune femme de 28 ans s'est depuis retrouvée au centre d'un bad buzz aux contours politico-médiatiques qui va au-delà des délits qui lui sont allégués par la juridiction marocaine. Et, disons-le, le principe de préemption à l'innocence n'a malheureusement pas trouvé écho dans le traitement de cette affaire par une certaine presse. Quel traitement journalistique pour une affaire qui semble secouer l'opinion publique nationale ? Dans la matinée du samedi 31 août dernier dans un cabinet de gynécologie du quartier d'Agdal à Rabat, la police a arrêté la journaliste de 28 ans, avec son fiancé, chercheur soudanais présenté dans la foulée par AlYaoum24 (version électronique d'Akhbar Al Yaoum) comme un défenseur des droits de l'Homme, son médecin, la secrétaire de celui-ci, et une anesthésiste censés conduire une opération d'avortement. L'arrestation de la jeune femme a rapidement suscité de nombreuses réactions sur les sites d'information mainstream et sur les réseaux sociaux, souvent à la limite du raisonnable. Certaines plumes ont estimé que les faits rapportés visaient la ligne éditoriale du journal Akhbar Al Yaoum et son fondateur, Taoufik Boucharine, condamné en novembre 2018 à une peine de 12 ans de prison ferme pour, entre autres chefs d'accusation, traite d'êtres humains et viols. D'autres y ont vu la parenté de la journaliste avec Ahmed Raissouni, l'un des maîtres à penser du mouvement islamiste marocain, ancien président du Mouvement unicité et réforme (MUR), la branche prédicatrice du PJD, et président de l'Union mondiale des oulémas musulmans depuis novembre 2018. Indiscrétions en étalages De même que pour une tierce partie de faiseurs d'opinions, l'arrestation de la jeune journaliste ne révèle pas de « représailles politiques » menée par des organes de l'Etat, mais plutôt du « fonctionnement normal du travail de police ». Estimant acquis le principe de présomption à l'innocence, Hespress FR tente de faire preuve de prudence dans le traitement de cette affaire qui sera exposée devant le tribunal compétent le lundi 9 septembre prochain. Fuitant sur les réseaux sociaux, le procès-verbal de la prévenue indique qu'elle souffrait de saignements dans le ventre. Après que la douleur ait augmenté, la journaliste est allée consulter un médecin en demandant une intervention immédiate, précisant à ce dernier qu'elle était mariée à un ressortissant soudanais par « récitation de la Fatiha devant sa famille ». Toujours selon le document fuité, Hajar Raissouni a également déclaré que son arrestation ne s'est pas effectuée dans le cabinet médical mais dans la rue, « par six agents en civil qui l'ont entourée devant un bâtiment du quartier Agdal en portant des appareils photo », avant d'assurer au juge qu'elle n'a jamais subi d'opération d'avortement. Environnement toxique Jointe par Hespress, une source proche de l'instruction en cours, réfute cette version en déclarant que « l'arrestation s'est faite à l'intérieur du cabinet de médecin », après que l'intéressée « ait subi une opération d'avortement ». Il en veut pour preuve que « l'infirmière anesthésiste présente dans ces locaux a été payée à 150 DH, ce qui confirme de déroulement de cette opération dans cette clinique ». La même source a ajouté que la prévenue « s'était présentée au cabinet de médecin vendredi dernier, sous une fausse identité, afin de subir une opération d'avortement fondé sur un divorce ». Le responsable, s'exprimant en Off, manifeste également sa « stupéfaction de lire une certaine presse qui a dramatisé le cas et l'a surchargé de manière abusive », en citant l'exemple du récent démantèlement d'un réseau d'avortement à Marrakech, où un pilote et trois médecins avaient été arrêtés. Selon les statistiques obtenues par Hespress, 15 cas d'avortement illégal ont été traités au niveau de la police judiciaire nationale entre 2018 et 2019, 70 suspects ont été entendus, dont des infirmières, des médecins et des anesthésistes. Course au sensationnel Parallèlement aux déclarations de la journaliste et aux nombreuses réactions de journalistes et de défenseurs des droits de l'Homme, une fièvre de rapports médicaux semble éclatée, où chaque partie interprète les faits, selon sa sympathie ou non avec la journaliste. « Il n'y a aucune trace de forceps médical d'avortement dans le ventre de Hajar, ce qui est impossible à réaliser sans avortement », peut-on lire dans les colonnes d'Akhbar Al Youm qui soutient que sa journaliste souffrait d'une hémorragie cervicale. D'autre part, certains médias se sont arrêtés sur ce qu'ils ont décrit comme « des surprises retentissantes » dans le rapport du professeur Samir Bargach, gynécologue à l'hôpital Ibn Sina de Rabat, où il a confirmé la thèse qui a conduit à l'arrestation de la journaliste. D'ici sa comparution devant la juridiction compétente, l'affaire désormais dite Raissouni continuera à faire couler beaucoup d'encre. Si rien ne peut arrêter les interprétations liées à l'identité, aux liens de parenté de la journaliste arrêtée, ou à la nature de l'intervention médicale qu'elle souhaitait subir, il reste néanmoins certains que l'acharnement médiatique dont la jeune femme fait l'objet est, à bien des égards, condamnable et contraire à la déontologie que les organes de presse sont censés prôner.