L'abandon des enfants au Maroc est un phénomène de plus en plus fréquent, un réel crève-coeur. 5.377 affaires d'enfants abandonnés ont été statués par les juridictions marocaines en 2013 contre 5.274 en 2009 selon le ministre de la Justice jadis, Mustapha Ramid, qui a présenté ces chiffres alarmants devant la Chambre des représentants en 2014. Mais pas que ! En 2010, et selon une étude menée par RSAME pour le compte de l'association Insaf, chaque jour naissaient 153 bébés hors mariage, dont 24 enfants sont abandonnés à la naissance. Face à ses chiffres alarmants et la situation inhumaine que vivent ces enfants-là (viol, maltraitance, dénigrement, famine ...), le Docteur Jaouad Mabrouki, Psychiatre et expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe, a effectué un travail de recherche, de psychanalyse et de conclusion d'une expérience professionnelle de plus de 17 ans. Dans son rendu, il traite des conséquences psychologiques et pathologiques de la loi de Kafala sur les enfants abandonnés et les parents adoptifs. Ses conclusions sont inspirées de sa pratique psychiatrique avec les enfants adoptés, les enfants non adoptés vivant dans des foyers, mais aussi des difficultés des parents adoptifs lorsque les enfants adoptés commencent à poser des questions sur leurs non-inscription dans l'état civil des parents et sur leur filiation. Interdiction incompréhensible Sur le plan psychologique, Dr Mabrouki trouve que « la loi de Kafala est très cruelle avec ces enfants abandonnés pour plusieurs raisons. Lesquelles ? Tout d'abord il y a l'interdiction de la prise en charge et l'adoption par des non-musulmans». A cet effet, Dr Jaouad souligne que « la loi impose aux parents adoptifs étrangers d'être musulmans ou de se convertir à l'Islam. Ces parents étrangers sont prêts à donner à ces enfants un foyer chaleureux, un foyer d'amour, de les inscrire dans leur livret d'état civil, de faire d'eux leurs propres enfants. Il arrive souvent que des parents ont déjà des enfants biologiques et par amour pour ces bébés abandonnés, ils veulent faire d'eux leurs propres enfants et leur donner des frères et des sœurs. Ils sont prêts à leur donner une éducation civilisée, les scolariser, les nourrir et les soigner. Ils sont prêts à leur donner leur parenté, leur nom et de faire d'eux leurs héritiers. Mais la loi de Kafala impose la conversion à l'Islam et ces enfants sont abandonnés une deuxième fois pour devenir quoi ? Des enfants de la rue ? Des ignorants ? Des victimes d'abus sexuels ? Des prostitués ? Des criminels ? Des toxicomanes ? Des êtres sans appartenance à la lignée parentale, des inconnus, des étrangers, des sans identité ? Des sans famille ? ». Pour le progrès du Maroc et la paix dans la société, cet expert en psychanalyse de la société marocaine s'interroge : « Avons-nous besoin de citoyens équilibrés, instruits, ou bien juste de citoyens musulmans ? Avons-nous besoin d'un Marocain instruit, au service de son pays et cela quelle que soit sa croyance ou bien juste d'un Marocain qui porte le titre de musulman ?». Injustice psychologique et sociale La deuxième raison de la « cruauté » de la loi sur la Kafala, selon Dr Mabrouki, est le fait qu' « un bébé abandonné, n'a pas choisi son sort, et tout ce dont il a besoin ce sont des parents affectueux et aimants. La kafala déséquilibre cette relation d'amour et impose aux parents de ne jamais être des vrais parents pour ces enfants. De même elle empêche l'enfant d'appartenir à la lignée de ses parents adoptifs ». « En somme, la kafala coupe le cordon d'amour qui aurait pu se nouer et se construire entre l'enfant abandonné et ses parents adoptifs. La kafala fait de l'enfant adopté et de ses parents, des étrangers les uns pour les autres. Malgré ça, la loi de la Kafala continue d'ignorer la souffrance des parents adoptifs et celle de l'enfant adopté. Aucune relation d'amour parent-enfant ne peut se construire en imposant que l'enfant adopté ne soit pas inscrit dans le livret d'état civil des parents. Une déchirure et une douleur à tout jamais », déplore-t-il. Le psychanalyste, avance également que « l'enfant abandonné, se trouve trahi la première fois par ses parents biologiques et encore une deuxième fois par ses parents adoptifs. Ainsi nous préparons très certainement un citoyen souffrant psychologiquement et qui ne pourra jamais avoir à son tour une relation saine et équilibrée avec ses propres enfants. Par conséquent, nous engendrons d'autres enfants présentant des troubles affectifs qui à leur tour vont reproduire la même pathologie familiale. L'enfant adopté se sent aussi trahi une 3e fois par l'Etat qui lui fait obstacle d'être un enfant à part entière comme tous les enfants inscrits dans l'état civil de leurs parents ». Il y'a un surnom malsain que les enfants abandonnés entendent fréquemment, que ce soit dans la rue où à l'école. « Fils du pêcher ». Un nom des plus affreux, comme s'ils avaient choisi leur destin et leur sort. Sur ce point, Dr Jaouad Mabrouki avance que « la société marocaine est dure et cruelle avec les enfants abandonnés et adoptés en les stigmatisant et en les taxant d'enfants du pêcher ». « Est-ce de leur faute d'être abandonnés ? Ont-ils commis des pêchés ? Ne sont-ils pas des victimes ? », s'est-il demandé avant de poursuivre « Non seulement ils souffrent d'être abandonnés et de ne pas pouvoir être inscrits dans l'état civil des parents adoptifs, mais de surcroît, la société les stigmatise d'enfants du pêcher ! Même s'ils n'ont jamais entendu ceci directement, ils entendent cette stigmatisation dans le discours social ». Paradoxe « Le paradoxe de la loi de la Kaffal ». C'est ainsi qu'intitule Dr Jaouad Mabrouki le dernier paragraphe de son article dédié aux lacunes que connait la loi n°15-01 relative à la prise en charge «la Kafala ». « La loi endurcit l'adoption pour les parents étrangers et aussi pour la kafala pour le bien de ces enfants, afin qu'ils soient musulmans et bénéficient d'une éducation musulmane. Qu'en est-il alors des millions d'enfants marocains nés légalement dans des foyers musulmans alors qu'ils sont dans la rue avant l'âge de 7 ans sans aucune surveillance, ils sont violentés par leurs propres parents et ils manquent d'affection, d'amour, d'accompagnement, de scolarisation, de nourriture, de soins médicaux ? », s'est-il demandé. « Dans ce cas-là, pourquoi la loi ne retire pas ces enfants battus à leurs propres parents et les place dans des institutions de l'Etat pour les protéger ? Si la loi veille à appliquer les principes musulmans aux enfants abandonnés, pourquoi alors ne les applique-t-elle pas à tous les enfants qu'ils soient abandonnés ou bien nés légalement dans des foyers musulmans ? », a-t-il conclu. Dans une déclaration à Hespress Fr, Dr Mabrouki a indiqué rencontrer énormément de difficultés avec les enfants adoptés, mais aussi avec les parents adoptifs. « Il y en a qui sont dans une galère pas possible »n dit-il. Pour la loi de la Kafala, notre interlocuteur nous explique qu'il a trouvé du mal à la critiquer puisqu'elle est liée étroitement à la religion. « Mais j'ai fini par le faire. Parce que j'ai vu dernièrement des ados dans la même situation, des enfants que j'ai vu petits et qui ont grandi. Et qui m'ont raconté leur vécu, donc il y a beaucoup de points à traiter en profondeur dans ce sujet qui me tient à cœur», a-t-il affirmé.