Dans son dernier rapport sur la situation des migrants et des réfugiés à la ville de Nador, l'Association marocaine des droits humains (AMDH) soulève des « violations graves envers les migrants » de la ville frontalière de Melilla. Juriste, expert en matière d'immigration et acteur associatif, Chakib Al Khyari analyse dans cet entretien avec Hespress FR les éléments clés relatés par le rapport et décortique les fondements de la législation marocaine dans le cadre de l'exécution de sa politique migratoire. Hespress FR: Pour commencer, Quelle lecture portez-vous sur la politique migratoire du Maroc, notamment dans la région, à la lumière du rapport de l'AMDH et des engagements pris par le Maroc dans le cadre du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières approuvé à Marrakech en décembre 2018 ? Chakib Al Khyari: À l'instar de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, le Pacte de Marrakech n'est pas contraignant. Ce n'est même pas une convention car il revêt plus un caractère éthique, juridiquement non contraignant. Mais le rapport de l'AMDH explique que le Maroc viole ses lois internes en déplaçant les migrants dans d'autres villes de son territoire. Il s'agit notamment de la loi 02-03 relative à l'entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l'émigration et l'immigration irrégulières. Dans les faits, cette loi contient des articles qui donnent à l'Etat le droit de déplacer les migrants. La question est de savoir quand est-ce qu'intervient un déplacement et quelles sont ses motivations ? Il y a une règle juridique qui absout tout le reste. C'est celle du maintien de l'ordre public et qui donne le droit décréter l'état d'alerte ou l'état d'urgence. Cette règle peut même s'opposer aux dispositions constitutionnelles et aux conventions internationales. Dans le cas de ce qui est rapporté de Nador, en quoi y-a-t-il matière à déplacer des migrants en s'appuyant sur le maintien de l'ordre public ? C'est quand il s'agit d'une affaire touchant aux frontières avec d'autres Etats que le maintien de l'ordre public peut être invoqué. En l'occurrence, nous parlons de frontières que le Maroc a non seulement avec l'Espagne mais avec l'Union européenne. La présence en masse de migrants, non pas à Nador mais dans la forêt surplombant la ville interpelle les autorités marocaines. Les autorités marocaines ont transféré à d'autres villes les migrants dont l'intégration n'a pas été avérée. Le rapport de l'AMDH dénonce l' »illégalité » des lieux de détention des migrants. Quelles sont les dispositions de la loi 02.03 qui peuvent justifier ce constat ? L'Association a estimé que le commissariat de police, le poste de commandement de la Gendarmerie royale de Nador et le Centre d'estivage du ministère de la Jeunesse et des Sports de Kariat Arekman (à 25 kilomètres de Nador, NDLR) sont illégaux en tant que lieux de privation de liberté, échappant au contrôle judiciaire. Le rapport avance que ces lieux n'ont rien à voir avec les institutions pénitentiaires, ni avec les lieux de détention provisoire. Toutefois, l'article 34 de la loi 02.03 dispose qu'un étranger peut être retenu lorsqu'il est amené à la frontière, ou expulsé dans des lieux autres que l'administration pénitentiaire, dans le délai nécessaire à son départ par une décision administrative motivée, plutôt que par une décision judiciaire. Cette décision peut faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif dans les meilleurs délais. L'Association devait souligner ça dans son rapport que ces lieux nécessitait la publication d'un texte réglementaire qui les définisse et qui précise les conditions de leur fonctionnement et de leur organisation. Ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent par le législateur marocain. Mais ceci n'empêche pas l'utilisation de ces lieux, jusqu'à publication de ce texte, si certaines conditions sont remplies. En attendant la promulgation d'un texte réglementaire définissant plus précisément quels sont ces lieux de détention, comment faire valoir les droits des migrants ? Je rappelle dans ce cadre la décision n° 1.13.177 du 15 août 2013 du tribunal administratif d'Oujda, et qui concerne la requête d'un demandeur d'asile en raison de sa détention au siège d'une association de bienfaisance à Berkane. Le tribunal a estimé que le lieu de la détention exige le respect des conditions et de la durée du dépôt ainsi que son alimentation, avec une garantie d'hygiène et de communication avec le monde extérieur. Cela ne concerne que les cas d'expulsion ou de déplacement hors frontières, et non le processus déplacement effectué au sein même du territoire national. Je pense qu'il est judicieux que cette procédure se déroule dans des centres, au lieu de les emmener ou les expulser hors des frontières. Juridiquement, sur quoi se fondent les opérations de déportation de migrants sur le territoire national ? L'article 41 de la loi n ° 02.03 dispose que l'administration a le droit de soumettre un étranger sans carte de séjour à une surveillance spéciale, en raison de sa conduite, l'empêcher de résider dans une ou plusieurs préfectures ou provinces. Le législateur peut également identifier dans l'un de ces territoires une zone en prenant en considération le choix de cette personne. Dans ce cas, les étrangers ne peuvent pas sortir de la zone de validité de leur permis de séjour, sans la possibilité d'un laissez-passer délivré par la police ou la gendarmerie. Cette exclusion concerne les zones limitrophes fortement peuplées et réservées à la migration irrégulière vers l'Europe. Cette forme de migration est criminalisée par la loi et et portent atteinte à l'ordre et à la sécurité publics. Certaines des personnes qui ont reçu une carte de résidence temporaire dans le cadre du processus de règlement de la situation ont été expulsées. D'autant plus que certains de ces personnes avaient déjà été arrêtés alors qu'elles tentaient de franchir la barrière frontalière avec Melilla. Et certains de ceux qui ont réussi à s'intégrer à la communauté locale n'ont pas été expulsés. En quoi est-il alors pertinent de déplacer des migrants dans une autre région du territoire, sachant qu'ils finissent par retourner à Nador ? Il convient de souligner que les plus faibles nombres de demandes de règlement de statut sont enregistrés dans les zones adjacentes à Melilla et à Ceuta, car la plupart des personnes présentes dans ces zones souhaitent se rendre en Europe. Le problème tient à ce qu'a signalé le rapport de l'AMDH, selon lequel les déportations n'empêchent pas le retour de ces migrants dans les mêmes zones dans les quelques jours qui suivent leur expulsion, En fait, il ne s'agit pas de l'illégalité de la procédure, mais du degré de respect de la procédure légale relative à cette relocalisation et à cette résidence dans ce nouveau lieu. Le rapport lie les événements du Hirak du Rif à la migration pour constater une nette augmentation des départs de jeunes marocains vers l'Espagne. Quelle analyse portez vous sur ce constat ? Dans son dernier rapport, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX) souligne qu'il y aurait une relation probable entre les événement du Hirak et l'augmentation du nombre de jeunes candidats à l'immigration clandestine. En l'absence de statistiques détailler, on ne peut être affirmatifs dans nos propos.