Les autorités ont lancé une vaste opération d'arrestations de migrants irréguliers au Nord du Maroc. Bilan d'une opération musclée. L'opération, toujours en cours, est une première en l'espace de cinq ans. Dans la forêt de Nador, un hélicoptère de la gendarmerie royale, des véhicules des Forces auxiliaires et des véhicules militaires des gardes-frontières ont mené des descentes aux premières lueurs du 7 août dernier. «À 5h du matin, la traque aux migrants irréguliers a été lancée dans les campements», décrit l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), section de Nador. Dans les zones urbaines de Tanger, Nador, Tétouan, Bouârfa, Selouane et Laroui, même des présidents d'arrondissements (caïds) ont été appelés sur le terrain en renfort. Entre 1.500 et 1.800 migrants irréguliers et régularisés ont été arrêtés et déplacés dans des zones désertiques près de Tiznit ou encore Errachidia, ainsi qu'entre Benguerir et Marrakech. Selon les autorités, cette opération a pour but de «lutter contre les réseaux de trafic humain» et de «déplacer ces migrants dans des villes où les conditions de vie sont meilleures». Les militants de défense des droits humains dénoncent «des violations des droits des migrants» et des «arrestations sans cadre juridique précis». Quel cadre juridique ? La «Bamblouma», c'est l'appellation donnée par les migrants aux opérations de ratissage dans les camps. Cette traque était limitée à Nador. Ce mois d'août, elle s'est étendue à la ville de Tanger. Aissatou Barry vit au Maroc depuis neuf ans et dispose d'une carte de séjour valable pour trois ans. Elle est la présidente de l'association Ponts solidaires à Tanger. Cette ressortissante guinéenne vit désormais dans une des forêts de la ville du détroit, elle est sans toit depuis le 9 août. «À 6h du matin, le caïd du quartier Mesnana a débarqué chez moi. Sans présenter aucun document, il m'a arrêté, ainsi que mes enfants et les membres de la famille présents avec moi», raconte cette gérante d'une entreprise d'import-export. Aissatou Barry proteste face aux méthodes musclées des autorités. Le caïd lui répond sèchement. «Il m'a dit avoir reçu l'ordre du wali de Tanger d'expulser tous les Noirs du quartier». Ses deux enfants, âgés respectivement de 4 et 14 ans, et elle sont conduits à la préfecture de police de Tanger. «Nous sommes restés dans le commissariat dans des conditions déplorables jusqu'à 20h», proteste-t-elle. Le comble dans le drame de cette femme est qu'elle est membre de la Commission régionale de régularisation qui siège à la wilaya de Tanger, et donc une figure reconnue par les autorités. «Depuis une semaine, je passe la nuit dans la forêt avec mes enfants. Nous sommes une centaine de migrants noirs à vivre la même situation». Les représentants de la société civile s'interrogent sur le cadre juridique précis de ces arrestations et de l'éloignement. Hassan Ammari, membre de l'ONG Alarm Phone, a suivi ces opérations à Tanger et Nador: «les autorités ne présentent pas de documents prouvant la légalité de leur démarche», indique-t-il. Et de préciser: «dans certains cas à Tanger, les migrants arrêtés ont signé un document qui s'apparente à un PV. Les migrants ne sont pas informés de leurs droits». Même son de cloche de Boubacar Diallou, de l'association Asticude à Nador: «25 mineurs bénéficiaires de notre association ont également été interpellés. Une mesure contraire à la loi 02-03». Si la majorité des personnes arrêtées se trouve dans une situation irrégulière, spécialement à Nador, celles-ci tombent donc sous le chapitre VII de la loi 02-03 sur l'entrée et le séjour des étrangers au Maroc. Dans la très grande majorité de ces arrestations, les dispositions pénales ou la reconduite vers la frontière ne sont pas appliquées. Depuis 2015, les autorités optent plutôt pour l'éloignement des villes frontalières. Cette mesure sécuritaire souffre d'un vide juridique. «Cette option n'a pas de sens. Ces personnes renvoyées à Tiznit seront de retour à Nador dans deux ou trois jours», prévoit Omar Naji, président de l'AMDH Nador. Dans ce chemin de l'éloignement, deux jeunes migrants, le premier Malien et le second Ivoirien, ont trouvé la mort le 12 août près du péage de Kénitra. Ils se sont jetés par la fenêtre de l'autocar qui les transportait de Tanger à Tiznit.