Dès les premières minutes de la conversation avec Boushra Benyezza, art-thérapeute et psychologue au Centre hospitalier universitaire (CHU) Ibn Rochd de Casablanca, l'instant semble suspendu, comme figé. Cette jeune femme, native de Casablanca est engagée pour combattre la stigmatisation des malades mentaux au Maroc. Elle a réussi à allier son amour pour l'art et le fait des guérir les personnes qui souffrent de pathologies plus ou moins graves. La silhouette filiforme, le verbe parfait, le port de tête altier et une classe indéniable se dégagent de cette femme hyperactive et empathique. Elle est la première personne à introduire l'art-thérapie au Maroc, une discipline méconnue jusque là, mais qui se fait petit à petit une place dans le domaine médical dans le royaume. Hespress FR l'a rencontrée le jour de la clôture de la deuxième édition du «Ciné-Psy Maroc», alors qu'elle est sur tous les fronts. Toujours aimable, souriante et avenante, elle alterne entre les psychiatres, psychologues, personnel hospitalier et les familles avec une aisance naturelle. Elle déambule dans les couloirs de la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca et gère toutes les péripéties qui accompagnent l'organisation d'un événement avec diplomatie. Une sensibilité artistique, une destinée Son parcours est atypique, et quelque part naturel. Sa sensibilité artistique et son amour pour autrui la mènent vers un cursus où elle fait l'école des Beaux arts de Montpellier et en parallèle des études en psychologie. «Mon père ne reconnaissait pas le métier d'artiste. Pour lui, j'allais finir à la place Jamaa El-Fna. Pourtant, c'est un collectionneur, j'ai grandi dans l'art à la maison», confie Boushra. Quelques années plus tard, elle se dirige vers un master en art-thérapie à Tours. Durant son cursus, elle décide de rentrer pour faire un stage au Maroc, ensuite elle repart en France. «Finalement, la pratique de l'art-thérapie à Tours était intéressante mais il n'y avait pas ce que j'avais observé ici, c'est-à-dire l'empathie envers des patients. Le côté chaleureux qu'ont les soignants au CHU. J'ai décidé de revenir», ajoute-t-elle. Depuis, ça fait huit ans que Boushra Benyezza est installée à Casablanca et elle a créé la première unité d'art-thérapie dans un centre psychiatrique dans le royaume et devient la première art-thérapeute au Maroc. Une déchirure La décision de revenir ne s'est pas faite au hasard, mais plutôt dans la douleur et le souvenir de la perte d'un être cher. «J'ai perdu ma mère et j'étais très loin, quand je suis arrivée, elle était déjà enterrée», murmure la psychologue, visiblement encore affectée par cet épisode tragique. Quelques années plus tard, elle revient au Maroc pour faire un stage. Son père était malade et elle a un flash, elle ne veut plus revivre la douleur. «La mort de ma mère est une déchirure que je porte encore en moi. La blessure est calme, mais elle est encore là. J'ai une frustration de ne pas lui avoir dit au revoir, de ne pas avoir passé les derniers instants avec elle.» Quand elle sent que son père a besoin d'elle, l'art-thérapeute décide de rester. «Le fait d'être là, proche des miens et des êtres qu'on oublie, qu'on stigmatise, les malades mentaux, le fait de me sentir utile me fait du bien», assure-t-elle. Filmer ses patients Pour faire connaître son métier, Boushra Benyezza commence par filmer les patients «pour donner des preuves à l'image lors des réunions et des congrès». La femme de 50 ans remarque que ces films ont un impact. Elle se lance alors dans la réalisation de films avec pour seul objectif de destigmatiser la maladie mentale au Maroc. Elle remporte des prix pour ses films, alors qu'elle est encore novice dans l'art du cinéma. En 2018, elle a déjà à son actif, plus de neuf films. «Le parcours est magique parce que je ne quitterai pas le Maroc pour tout l'or du monde. Je me sens utile. Je fais découvrir une nouvelle pratique qui porte ses fruits», déclare-t-elle avec un grand sourire. Pour elle, l'art-thérapie a un versant très humain et empathique. «D'ailleurs, en Corée du sud, on ne l'appelle plus art-thérapie, mais humanothérapie», raconte pour l'anecdote Boushra Benyezza. Son choix d'être psychothérapeute n'est pas dû au hasard, elle a été traumatisée par le fait qu'un de ces cousins ait été atteint d'une pathologie mentale, alors qu'elle était encore étudiante. «Je sais que quelque part à travers les personnes que j'aide j'ai l'impression que je l'aide lui», confie Boushra. Pour elle on ne choisit pas la voie de la psychiatrie par hasard. «On a tous quelque chose à régler avec la psychiatrie, ce n'est pas soi, c'est les autres», déclare-t-elle. «Pour moi, c'était panser la blessure de l'autre que je n'ai pas pu, puisque j'étais trop jeune et qu'on ne me prenait pas au sérieux», regrette encore notre interlocutrice. Dorénavant, Boushra Benyezza va plus loin en organisant le premier Ciné-Psy d'Afrique, dans un pays arabo-musulman. Son but est de pouvoir créer cet événement mais avec les pays africains pour partager le savoir-faire, les expertises et les différentes approches qui changent d'une culture à une autre. «Je veux qu'on partage des regards différents», conclut l'art-thérapeute.