Les peines alternatives à celles privatives de liberté. On en parle depuis quelque temps. On a applaudi leur introduction dans l'avant-projet de code pénal du Royaume. On a même annoncé leur entrée en vigueur imminente...mais toujours rien. Ce rien qui entraîne son lot de problèmes liés à la politique carcérale et pénale dans le pays. Ce volet a été l'une des questions soulevées par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son rapport de 2017, rendu public en fin de semaine. L'institution conduite par Nizar Baraka souligne clairement que la lutte contre la criminalité et la récidive demeure « fortement tributaire de la politique carcérale et pénale en vigueur ». Autrement dit, il est temps de réformer et de changer. Le CSCE reconnaît bien que des efforts ont été déployés pour l'amélioration des conditions de détention, avec notamment la construction de nouvelles prisons pour soulager le surpeuplement de certains centres, ou encore les mesures prises pour l'humanisation du milieu carcéral. Toutefois, au-delà de l'amélioration des conditions de détention, qui représente incontestablement un moyen essentiel pour éviter que la prison ne soit le terreau des violences de demain, « il importe de se pencher sur la politique du tout-carcéral de notre pays ». Selon les chiffres officiels, à fin 2017, la population carcérale était de près de 83.102 personnes détenus, contre 78.716 à fin 2016. Parmi ces détenus, 40,6% sont en détention provisoire. Et là, il importe de souligner que le nombre de détenus, en augmentation quasi constante ces dernières années (5,6% en 2016 et 2017, 6,2% entre 2015 et 2016), pose aussi bien la problématique de surpopulation que celle du coût du système carcéral pour la société, mais surtout et encore celle de l'efficacité des peines privatives de liberté. Dans ses recommandations, le CSCE préconise d'un côté l'accélération de la réforme sur la procédure et la durée de la détention provisoire et, de l'autre, l'introduction des peines alternatives dans le code pénal en tant que moyen de lutte contre la récidive et d'allégement de la pression sur les centres de détention. Prenant généralement la forme de travaux d'intérêt général au service d'une collectivité publique ou d'une structure civique, ces peines de substitution contribuent à l'insertion professionnelle des jeunes détenus, en leur évitant la stigmatisation liée au passage par le milieu carcéral, et permettent une responsabilisation de la personne vis-à-vis du préjudice causé à la société. L'avant-projet de code pénal introduit, dès l'article 35-1, les peines alternatives, qui sont réservées aux coupables de délits punis d'une peine privative de liberté dont la durée ne dépasse pas deux ans. Les peines alternatives sont: – Le travail d'intérêt général, – L'amende journalière, – La limitation de certains droits, – L'imposition de mesures médicales ou de surveillance ou de qualification. L'avant-projet précise, dans son article 35-3, que les peines alternatives ne peuvent être appliquées si le coupable est accusé de: – Détournement de fonds, de corruption ou d'abus de pouvoir. – Commerce de drogues et de psychotropes. – Trafic d'organes. – Exploitation sexuelle de mineurs. Les travaux d'intérêt général: se font au profit d'une personne morale ou d'une association (art. 35-7) et ne sont pas rémunérés. Leur durée varie entre 40 et 600 heures, et est délimitée en fonction de la durée d'emprisonnement à laquelle le coupable a été initialement condamné. Chaque jour d'emprisonnement se verra substitué par deux heures de travaux d'intérêt général sans dépasser 600 heures de travail d'intérêt général au maximum. En d'autres termes, si l'on se base sur une moyenne de 44 heures de travail par semaine, 13 semaines et demi ou encore trois mois de travail (environ) d'intérêt général remplaceront jusqu'à deux années d'emprisonnement. L'amende journalière: allant de 100 à 2.000 dirhams, elle ne peut être appliquée lorsque le coupable est mineur. L'article 35-11 précise que « le tribunal prend en considération les moyens financiers du coupable, ainsi que la gravité du crime ». Il faudra débourser 73.000 DH et 1.460.000 Dh pour échapper à deux années de prison. Par ailleurs, s'agissant de la détention provisoire, qui a toujours été une problématique dans la politique pénale, la situation n'est pas meilleure, au contraire avec un taux vacillant entre 40 et 43% de la population carcérale. Ainsi, à la fin janvier 2018, le nombre des personnes détenues dans ce cadre a atteint 33.168, soit 40,19% du total de la population carcérale (82.512). Dans ce sens, le projet de réforme du code pénal comprend des amendements visant essentiellement la rationalisation du recours à la détention provisoire. Cette dernière sera considérée comme une mesure exceptionnelle à laquelle recours est fait en cas d'impossibilité d'appliquer une peine alternative ou lorsque l'accusé en liberté présente un danger pour le déroulement de la justice. Déjà en octobre 2013, le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) avait organisé le colloque international pour lequel il avait choisi le thème de « Peines alternatives au Maroc, une urgence, une nécessité ». 2018, l'urgence est là, la nécessité aussi. A quand l'application ?