Les tarifs du poulet au Maroc ont connu une hausse conséquente ces dernières semaines. Alors que le prix du kilo variait entre 13 et 14 dirhams, il a atteint 22 dirhams ce qui a suscité la colère des amoureux de la viande blanche. Une campagne de boycott (khellih i9a9i) a même été lancée sur les réseaux sociaux. Pour connaître le pourquoi du comment, Hespress Fr s'est entretenu avec Saïd Janah, secrétaire général de l'Association Marocaines des éleveurs de volailles (AMEV), qui nous a confié dans un premier temps que le secteur de l'élevage des volailles traverse une crise depuis 3 ans déjà. Si cette crise n'a pas été ressentie par les consommateurs, puisque le prix de la vente du poulet était convenable pour leur pouvoir d'achat, les professionnels du secteur, eux, vendaient leur production à perte. « Alors que le coût de la production d'un poulet est en moyenne de 11dhs, aujourd'hui, nous le vendons à 7 dhs, soit une vente à perte. Et les éleveurs qui vendent à ce prix, risquent la faillite si cela continue. Nous avons au Maroc près de 8.000 éleveurs, si 7.500 arrêtent leur activité, il y aura non seulement un monopole du marché, mais l'offre sera également faible. Et de ce fait le prix va augmenter », explique notre interlocuteur. Mais pourquoi donc vendre à perte ? Pour Saïd Janah, le problème qu'ont rencontré les éleveurs c'est que l'offre était énorme. La production nationale de la viande blanche au Maroc était entre 8 et 10 millions de poussins par semaine. Donc il y avait un surplus dans la production dans un marché libéral régi par l'offre et la demande. « Moi en temps qu'éleveur, et face à la hausse de l'offre, je commence à chercher pour vendre mon produit, et je me retrouve obligé de baisser le prix pour vendre. Donc on se retrouve dans une concurrence énorme pour pouvoir vendre notre produit. Et du coup, le prix final de vente nous conduit directement vers la perte»? explique-t-il. Cette problématique devait être traitée par les responsables du secteur afin de créer un équilibre entre l'offre et la demande de manière à ce que l'éleveur ne perde pas autant, estime notre interlocuteur, mais aussi pour que le citoyen ne soit pas touché dans son pouvoir d'achat. L'ensemble de ces problématiques ont ainsi conduit un grand nombre d'éleveurs à suspendre leur activité. D'autres ont fait faillite, tandis que d'autres trébuchent encore ne sachant pas quoi faire ni vers où ils se dirigent, confie-t-il. Mise à part l'offre qui était énorme pendant ces trois dernières années, le secrétaire général de l'AMEV évoque la crise sanitaire du Covid-19 qui a renforcé encore plus cette crise, notamment par le fait que les activités qui lui permettaient de commercialiser un grand nombre de ces produits sont en arrêt (mariages, funérailles, réunions …), et du coup la consommation a fortement diminué. S'agissant de la hausse des prix du poulet observée ces dernières semaines, elle est le résultat des répercussions de l'Aid Al Adha. Une fête qui connaît de manière générale une baisse de production puisque les employés se rendent chez eux pour fêter l'Aid avec leur famille, souligne notre interlocuteur. Avec la crise sanitaire, plusieurs employés du secteur ne voulaient plus travailler et les éleveurs ont dû les libérer ce qui a donné suite à une crise dans l'élevage des volailles, explique Janah, au point où tous les poussins qui sont arrivés sur le marché sont restés positionnés au niveau des grandes sociétés qui ont beaucoup d'employés et des contrats à assurer. Tout cela a fait que l'offre a baissé et le prix a augmenté. « Aujourd'hui, le consommateur peut constater que le prix se dirige vers la baisse contrairement à la semaine dernière. Il a baissé d'environ 3 dhs. Et je pense que les prochaines semaines connaîtront une autre baisse des prix. Les citoyens doivent savoir que le prix actuel de la volaille, ne correspond pas au prix de vente de tous les éleveurs. Il s'agit d'un nombre restreint d'éleveurs. Et partant, les autres éleveurs impactés le seront encore plus si une campagne de boycott est lancée. Ce qui va menacer la source de revenu d'un grand nombre de familles opérant dans le secteur », dit-il. Pour les éleveurs, l'idéal est donc de vendre avec des prix équilibrés entre l'offre et la demande, pour qu'il n'y ait pas de perte pour eux ni un impact sur le pouvoir d'achat du citoyen. « C'est notre but. Et je pense que le prix de la volaille reviendra à la normale les semaines à venir. La hausse est intervenue dans une semaine de pic qui a coïncidé avec l'Aid Al adha. Les répercussions de cette fête n'apparaissent qu'aujourd'hui, puisque les poussins qui sont arrivés sur le marché la semaine de l'Aid n'ont été prêts que la semaine passée. Mais la quantité était faible, ce qui fait que le prix a un peu augmenté . Ce qu'il faut prendre en considération, c'est qu'une grande partie des familles opérant dans le secteur ne travaillait pas, et ceux qui sont restés en activité sont limités donc il est nécessaire pour les citoyens de faire montre d'un certain patriotisme pour traverser cette période », dit-il. Face à cette situation, Hespress Fr a interrogé le secrétaire générale de l'AMEV sur la manière dont le ministère de tutelle peut remédier à cette crise. Selon lui, il faut qu'il y ait une représentativité réelle du secteur. « Nous demandons au ministère qu'il y ait une représentativité réelle du secteur. Pour la tutelle, il y a déjà une fédération qui représente le secteur. Mais cette fédération, malheureusement, est composée de sociétés de poussins, sociétés de fourrage, sociétés de producteurs d'œufs et des associations qui regroupent ces sociétés ainsi qu'une association des éleveurs. Nous en tant qu'éleveurs, nous ne reconnaissons pas cette association pour la simple et unique raison que la représentativité au sein de cette fédération doit être réelle, en regroupant les vrais éleveurs qui opèrent sur le terrain et non des fonctionnaires. D'ailleurs, le président de l'association des éleveurs n'est pas un professionnel. Comment un représentant du secteur qui ne vit pas les mêmes problèmes que nous pourra défendre nos intérêts et parler de nos problèmes ? », s'interroge-t-il. Ainsi, les éleveurs de volailles estiment « qu'il faut qu'il y ait un vrai partenariat entre ces composantes, ainsi que l'ouverture d'un dialogue sérieux en présence du gouvernement pour créer un vrai équilibre entre l'offre et la demande ». Chose qui est déjà arrivée par le passé quand le gouvernement était intervenu et à limité la production de volailles, rappelle Saïd Janah. « Ce qui peut être fait pour sauver le secteur, selon moi, c'est de diminuer la production à 30%, pour que ces 30% n'impactent pas le pouvoir d'achat du citoyen. Et donc moi en tant qu'éleveur je vais vendre la volaille à 11dhs et je vais gagner 50 centimes. Et en tant qu'investisseur je trouve que ce gain est raisonnable. Et de ce fait, le citoyen l'aura à 14 dhs le kilo ce qui est raisonnable aussi. On demande donc à la tutelle d'ouvrir un vrai dialogue avec les professionnels du secteur », conclut notre interlocuteur.