A seulement 22 ans, Saad Tiouly a un CV musical impressionnant. Outre les nombreux regroupements de la musique gnaoua au Maroc auxquels il a participé, il a déjà joué en jam-sessions aux côtés de grands noms internationaux tels que les bassistes Marcus Miler ou encore Nik West. Rencontre avec un maâlem en pleine ascension. Tombé dans la marmite gnaoua C'est à son domicile dans la médina de Casablanca que nous retrouvons Saad Tiouly. Passés les dédales de la vieille ville, nous entrons dans une bâtisse étroite au premier étage duquel se trouve la chambre-atelier de l'artiste, décorée de tapis et tissus africains. Autour d'un verre de thé et de gâteaux sucrés, Tiouly nous explique son parcours, son univers, sa passion. Etre maâlem ne signifie pas seulement maîtriser la pratique de l'instrument, c'est aussi incarner certaines valeurs comme le respect et le partage, transmises de maître en disciple. La musique gnaoua, il est tombé dedans lorsqu'il était tout petit. Né à Casablanca, Saad Tiouly a toujours vécu dans le quartier Mouha Ou Saïd de la médina, repaire des maâlem gnaouis au sein de la ville blanche. C'est ici qu'il a appris l'art de jouer du guembri, auprès des grands maîtres casaouis, en particulier Said Benthami mais aussi Sidi Mohammed Oughssal, Rachid Hamzaoui et Hassan Boussou. «Lorsqu'il était petit, Saad tentait toujours d'assister aux veillées musicales des gnaouas du quartier mais son père y était fermement opposé», nous confie Ismail Elmbarki, son agent. Aujourd'hui, il l'encourage et le soutient dans la pratique de son art. Formé à la «madrasa bedaouiya», Saad Tiouly explore un répertoire gnaoui de style marsaoui, propre aux villes portuaires (en arabe, marsa = port) comme Essaouira. «Mais Casa détient son propre style marsaoui, avec ses gammes et ses rythmes reconnaissables», nous explique l'artiste. L'artisan du son Dans sa chambre-atelier, une dizaine d'instruments habitent le lieu et crée une atmosphère puissante. On y retrouve les instruments principaux de la musique gnaoua comme divers guembris (l'instrument à trois cordes réservé au maâlem), des qraqeb (sorte de castagnettes en métal) et un tbel (tambours), également un outar, un banjo et un grand xylophone en bois. Mais la particularité essentielle de cet artiste en plein essor, outre son talent précoce, est sa grande inventivité dans la fabrication d'instruments. Saad revisite le guembri traditionnel sous plusieurs formes afin d'expérimenter de nouvelles sonorités. Il a notamment produit un « guembri-bongo » – qu'il a nommé « gunibra » – en ajoutant un manche aux deux tambours cubains pour une tonalité originale d'inspirations ouest-africaine et amazigh. Une autre de ses créations consiste en un guembri à double manches permettant de jouer un large panel de gammes sur un même instrument. Des têtes de violon en bout de manches, une guitare tronquée à la moitié de sa caisse de résonance, des cordes en tripes de mouton ou en lignes de pêche, des guembris à double peaux (une partie mouton, une partie chèvre), Saad Tiouly n'en finit pas d'exprimer son ingéniosité face à l'instrument qu'il modèle à l'infini dans le but de lui faire sortir les sons les plus expérimentaux. Fusion sur fusion Artiste et artisan, Saad est un maâlem accompli. Ces instruments hybrides font sa signature et lui permettent de repousser les limites de la fusion. Car ce qui le passionne, c'est mixer les univers pour obtenir une esthétique singulière. Les musiques soufi, nubienne, tarab arabe, blues, jazz, reggae, funk sont déjà passées entre les cordes de son guembri. Au-dessus des instruments, trône une affiche de son concert avec le groupe britannique Blue Lab Beats en mars dernier au café du cinéma Renaissance à Rabat. A la suite d'une résidence artistique organisée par le British Council, la collaboration avec le groupe de jazz britannique s'est conclue par un concert dans la capitale avec un public des plus réceptifs à cette fusion jazz, dub et gnaoua. Saad Tiouly poursuit ses collaborations dans la durée pour construire un projet musical d'envergure. Il prépare notamment un album avec le groupe égyptien Almena, avec qui il a déjà joué l'an passé au festival international d'été d'Alexandrie. Tout comme Saad, Almena développe sa musique – égyptienne – tout en y intégrant des influences jazz, reggae, hiphop et blues. Être toujours à la recherche de nouvelles sonorités, voilà le but de Saad Tiouly, étoile montante de la musique gnaoua, qu'il espère faire connaître et reconnaître. A ce sujet, un album gnaoua marsa est en cours d'enregistrement et plusieurs concerts sont programmés, notamment samedi 24 novembre à D'Art Louane à Rabat et le vendredi 30 novembre à la Fabrique culturelle des anciens abattoirs de Casablanca.