* Mission fondamentale de Bank Al-Maghrib : la stabilité des prix. * La politique monétaire doit être bien transmise par les établissements bancaires. Abdellatif Jouahri se plait bien au jeu des questions-réponses. Il l'a prouvé mardi dernier en conviant la presse nationale au siège de la Banque centrale. Et les rencontres avec le gouverneur de Bank Al-Maghrib ont ceci de bien qu'elles permettent de discuter de l'évolution et des perspectives de l'environnement économique et financier sans langue de bois. L'homme est franc. Il assume pleinement ce qu'il dit, au risque de heurter certaines sensibilités. Rien que pour cela, on fera l'impasse sur la demi-heure de retard qu'il a eue lors de cette rencontre (sic !). Cette franchise et la transparence qu'il cultive depuis qu'il est arrivé à la tête de l'établissement justifient sans aucun doute ce tête-à-tête avec la presse. Comme le dit l'adage, charité bien ordonnée commence par soi-même : la Banque centrale ne peut exiger la transparence aux établissements bancaires si elle-même cultive l'opacité. C'est donc sous cet angle qu'il faut appréhender la démarche de Jouahri, pour qui «ce n'est pas un exercice de style», mais plutôt une approche visant à communiquer clairement et donner des informations fiables que la presse se doit de relayer objectivement. Aussi, le gouverneur de BAM a-t-il commencé par, comme il l'a dit, «planter le décor». Ce décor, c'est un environnement économique caractérisé par la maîtrise des équilibres macroéconomiques, l'argument favori du ministre des Finances et de la Privatisation, Fathallah Oualalou. Aujourd'hui, malgré l'environnement économique international pour le moins défavorable, le Maroc peut se targuer, entre autres, d'avoir maintenu son taux d'inflation autour de 2% et de dégager des avoirs extérieurs nets qui représentent 11 mois d'importation, s'élèvant à 165,3 Mds de DH contre 144,4 Mds de DH à fin 2004, soit une hausse de 20,8 milliards. De même, précise Jouahri, «l'investissement public s'est accéléré, avec notamment le rôle particulièrement important que joue le Fonds Hassan II en la matière». Parallèlement, les réformes structurelles se sont poursuivies et d'importants efforts ont été fournis en terme de bonne gouvernance. Toutes ces actions sont soutenues par l'amélioration de l'environnement de l'investissement, mais également par la mise en place de l'Initiative nationale du développement humain, un projet de société fondateur qui doit permettre «à la classe moyenne d'être le socle de ce pays». En clair, il s'agit de lutter contre la pauvreté et la précarité. Et la mise en place de l'assurance maladie obligatoire, le développement du micro-crédit et toute la réflexion menée autour de la réforme des fonds de pension s'inscrivent dans l'esprit de l'INDH. Actions de Bank Al-Maghrib Dans un contexte pareil, que fait Bank Al-Maghrib ? Il faut dire que depuis le 20 février dernier, la nouvelle loi bancaire, ainsi que les nouveaux statuts de la Banque centrale ont été publiés. Cela signifie concrètement que BAM s'est mise au même niveau que les standards internationaux. Cela signifie aussi que l'indépendance dont elle jouit désormais lui permettra de mener sa mission fondamentale en toute sérénité, à savoir la stabilité des prix et la lutte contre l'inflation. Une indépendance qui se ressent d'ores et déjà au niveau du Conseil de la banque au sein duquel ne siègent plus de représentants publics, hormis le directeur du Trésor. Sa présence se justifie d'ailleurs uniquement par le souci de maintenir le dialogue et la concertation, d'autant plus qu'il ne dispose pas d'un droit de vote en ce qui concerne notamment la conduite de la politique monétaire. Dans ce sens, une nouvelle approche est née en ce qui concerne justement la politique monétaire. Elle est du ressort du Conseil de la banque qui la définit, fixe les objectifs et explique ses choix. Pour réussir ce tour de force, relève Jouahri, «la Banque centrale doit être bien évidemment, crédible». C'est dire que cette indépendance est légitimée par la crédibilité de BAM. En cela, bien avant la réforme de ses statuts, tout un travail préparatoire a été initié par BAM, à travers, entre autres, la mise en place de la Direction du Réseau et des relations avec les entreprises. Il s'agit, comme l'explique le gouverneur de BAM, «d'approfondir l'ouverture envers les opérateurs, les parlementaires, la presse ». Tout autant, dans le cadre de ses nouvelles prérogatives, BAM a vu ses compétences élargies en termes d'agrément et de réglementation, tout comme elle a vu ses missions élargies, à travers notamment l'organisation, la régulation et le contrôle de l'ensemble des systèmes de paiement. L'entrée en vigueur de Bâle II lui confère également davantage de prérogatives en terme de contrôle. C'est pour toutes ces raisons que la Banque centrale avait défini un plan stratégique (2004-2006) articulé autour de la modernisation de l'organisation et du fonctionnement de la banque; l'introduction et le développement de la prévention et la maîtrise des risques; et la recherche de l'optimisation et de la qualité dans la gestion et le fonctionnement de la banque. A noter par ailleurs que des simulations sont d'ores et déjà entamées en vue de l'introduction des normes IFRS. Transmission de la politique monétaire «L'essentiel n'est pas de définir une politique monétaire, il faut surtout qu'elle soit transmise et bien faite», dixit Jouahri. Le ton est tranchant. Et il s'adresse aux banques, lesquelles ne font pas bénéficier de la décrue des taux à l'ensemble des opérateurs, particulièrement aux PME éternellement confrontées au problème du financement. En fait, la politique de baisse des taux d'intérêt menée ces dernières années par l'Institut d'émission a profité davantage aux grandes entreprises qu'aux PME, dont une frange importante continue à supporter des taux d'intérêt relativement élevés. Ce qui semble être légitime pour les banques, du moment que les PME ne sont guère transparentes, encore moins crédibles. En cela, une réflexion globale sur les PME sera menée en juin prochain pour trouver une solution définitive à cette problématique de financement. Jouahri a, à ce titre, laissé entendre qu'il sera procédé à la restructuration de l'ensemble du système de garantie. De même, les PME devront uvrer pour une meilleure transparence financière, à travers notamment un rating interne qui permettra aux banques de disposer d'éléments objectifs afin de mieux apprécier le risque crédit. A l'évidence, toutes les réformes entreprises jusqu'à présent ont permis l'émergence d'un système bancaire sain et solide. Au point que Jouahri n'hésite pas à soutenir qu'il reste «le plus en avance dans la région». Une belle conclusion certes, mais qui doit surtout être source de vigilance, sinon de motivation supplémentaire. Et le gouverneur de BAM ne s'y trompe pas lorsqu'il dit que «le Maroc fait face à des défis qu'il peut relever, mais il faut favoriser la concertation, imposer la rigueur, et surtout ne pas hésiter à se remettre en cause».