* La réhabilitation dun plan pour redéfinir la stratégie nationale du pays savère nécessaire pour éviter les déperditions budgétaires. * Face à cette crise, les pouvoirs publics sont exhortés à poursuivre un certain nombre de réformes essentielles et à proposer des mesures innovantes, afin de sortir de la logique comptable limitée et dépassée. * H. El Malki, président du Centre Marocain de Conjoncture, décortique les enjeux des Assises sur la croissance. - Finances News Hebdo : Le CMC propose la tenue dAssises sur la croissance. Jugez-vous le moment opportun pour la tenue dun tel événement, et quelle sera sa principale valeur ajoutée pour notre économie ? - Habib El Malki : Lidée dorganiser des Assises nationales sur la croissance nest pas nouvelle, ni fortuite. Le CMC a toujours proposé dorganiser une réflexion et un débat autour de la problématique de la croissance. Mais le contexte économique a changé ces dernières années avec la crise mondiale ; ce qui implique une réflexion approfondie sur la stratégie économique que doit mener le Maroc et la politique budgétaire qui en découlerait. On constate, ces dernières années, que les « marges de pensée » se sont fortement réduites. La question des finalités est reléguée au second plan. Les politiques économiques sinscrivent plus dans la logique du pilotage à vue que dans celles des réformes. Jusquà présent, le monde a évolué dans le confort du prêt-à-penser, sans nouvelles perspectives. Paradoxalement, la situation liée à la crise na pas provoqué les ruptures attendues entraînant des changements dans la démarche, la pensée, et le modus operandi. Au contraire, nous constatons quil y a réhabilitation, au nord comme au sud, des vieilles recettes telles que le recours systématique à laustérité. Lobjectif de rationalisation de la dépense publique, louable en soi, à travers laustérité budgétaire, ne doit pas être une fin en soi, dictée par les circonstances, mais plutôt un moyen de mettre en place les jalons dune bonne gouvernance publique. Elle-même devant constituer lun des volets dune réforme de lEtat que tout le monde appelle de ses vux. Aussi, la tenue d«Assises nationales sur la croissance» aurait le mérite de définir un cadre de réflexion stratégique sur le choix de politique budgétaire et, de manière plus globale, sur les perspectives de croissance de léconomie nationale, sur une base globale et sectorielle. La réhabilitation du Plan, qui nexiste plus depuis plusieurs années, est fortement souhaitable. Son rôle serait de définir le cadre global de la stratégie économique du pays dans lequel se fondraient, de manière cohérente et convergente, les différents plans sectoriels mis en place depuis quelques années. Et cela afin déviter les effets de déperdition. Le Maroc a réussi à accumuler une riche expérience, faisant émerger un modèle de croissance fondé sur les grands travaux dinfrastructure. Il est donc opportun den parler pour faire converger les positions en vue dune plus grande mobilisation nationale. - F. N. H. : Comparativement aux autres organismes (DEPF, BAM, HCP ), le CMC table sur un taux de croissance inférieur de lordre de 2,8% pour lannée 2010. Peut-on savoir à quoi est due cette divergence de taux entre les différentes institutions ? - H. E. M. : Tout dabord, il est important de signaler que ce taux de 2,8% a été revu à la baisse par rapport à ce que prévoyait le CMC il y a quelques mois encore (3,2%). La raison est le changement opéré au niveau de certains facteurs déterminants du profil de croissance. Le premier facteur est le fléchissement de la demande étrangère, spécialement celle en provenance des principaux pays partenaires du Maroc, à savoir la France et lEspagne. La raison est la cure daustérité que vont simposer la plupart des pays de la zone Euro à partir de cette année, après la mise en place des couteux plans de relance de 2008/2009. En conséquence, le taux de croissance moyen des économies européennes ne devrait pas dépasser 0,8% ; ce qui aura immanquablement des conséquences sur les exportations marocaines. Le second facteur est le repli du secteur agricole après la production record de lannée 2009. Aujourdhui, les prévisions relatives à la récolte céréalière sont quasiment arrêtées et les chiffres officiels du ministère de lAgriculture avancent une production de lordre de 75-80 millions de quintaux. Chiffre se situant en nette baisse par rapport à la production de 2009. Le troisième et dernier facteur dimportance est limpact des intempéries qui ont frappé le pays durant lhiver dernier sur lévolution du PIB. Daprès une étude du CMC visant à évaluer les coûts de ces inondations sur lhomme, la nature et lactivité économique, celles-ci devraient occasionner une perte estimée à 0,7% du PIB. La simulation a pris en considération la détérioration dimportantes infrastructures de production, et la perte de production et de valeur ajoutée dans les secteurs affectés. De manière plus générale, la tenue dAssises de la croissance évoquées précédemment serait loccasion, pour lensemble des institutions spécialisées dans lanalyse de la conjoncture nationale, de débattre sur les modèles de prévision de la croissance. - F. N. H. : Les mesures durgence adoptées par plusieurs économies, y compris le Maroc, au lendemain de léclatement de la crise financière internationale, ont permis de les sauver du pire. Mais ces mesures se sont traduites par une détérioration des déficits budgétaires et une pression sur la dette. Quelle est la politique budgétaire qui sera plus adaptée à lannée 2011, tout en tenant compte de la soutenabilité du déficit budgétaire ? - H. E. M. : Face à la crise mondiale qui sévit depuis 2 ans, les économies occidentales ont adopté dans un premier temps, courant 2009, des politiques de relance dinspiration keynésienne afin de doper la consommation en berne. Devant lampleur des déficits engendrés par cette politique, ces même pays ont, dans un second temps, à partir du début de 2010, adopté des politiques daustérité afin de circonscrire les déficits publics. La juxtaposition, dans un laps de temps très court, de deux politiques budgétaires aux logiques et aux effets contraires, démontre labsence de vision à long terme des dirigeants, et surtout le retour en force du marché et des agences de notation pour lequel déficit et risque souverain vont de pair. La crise grecque le montre bien. Le Maroc, de son côté, a maintenu le cap fixé par la Loi de Finances 2010, c'est-à-dire un certain volontarisme budgétaire destiné à soutenir la croissance. Léconomie marocaine, économie émergente, présente dimportants gisements de croissance ; cest la raison pour laquelle le projet de budget pour 2011 devra tenir compte de ces opportunités qui soffrent au Maroc, mais également des contraintes qui simposent. Dans ces conditions, nous pensons que le projet de budget pour cette année doit être dans la continuité de celui de lannée précédente. Le Maroc peut assumer un déficit «soutenable» allant jusquà 4/5% du PIB à la condition que le niveau dinvestissement public soit maintenu, et que des réformes profondes au plan de la fiscalité et de la compensation soient entreprises. Nous y reviendrons. - F. N. H. : Au cas où les pouvoirs publics adopteraient une politique daustérité pour atténuer ce déficit, quel pourrait être limpact sur lannée 2011 ? - H. E. M. : Comme nous lavons évoqué, que signifie un déficit dune moyenne de 4% pour une économie telle que le Maroc où la pauvreté a tendance à augmenter ces dernières années, et où les besoins dans des domaines sociaux cruciaux (éducation, santé, etc.) ne cessent daugmenter ? De ce fait, le maintien du volontarisme budgétaire est le choix le plus pertinent, dautant plus que le Maroc est devenu éligible sur les marchés financiers internationaux. Un emprunt international destiné à financer la poursuite des grands projets dinfrastructure avec un contrôle sévère, contribuerait à faire de 2011 un budget de croissance. Mais dans le même temps, lEtat devra trouver des pistes afin daméliorer le contrôle sur lutilisation des deniers publics, et trouver des pistes afin daugmenter les recettes publiques à travers un certain nombre de réformes. Mais en tout état de cause, un budget daustérité ne pourra avoir quun impact défavorable sur léconomie marocaine et la croissance dans un contexte de sortie de crise déjà difficile. - F. N. H. : A loccasion de lélaboration de chaque Loi de Finances, on entend toujours parler des mêmes requêtes, à savoir la baisse des impôts phares (IS, TVA, IGR). Ne pensez-vous pas quil est temps de réfléchir à dautres mesures plus innovantes ? - H. E. M. : Cette année, le contexte économique national étant marqué par la crise, limpact de celle-ci sur le budget de lEtat sen ressentira de manière certaine. Nous assistons en effet à une détérioration des déficits budgétaires, depuis quelque mois déjà. Sagissant des causes, vous avez mentionné limpact des plans de soutien à certains secteurs, mais il faut également mentionner la baisse des recettes fiscales, et cela malgré lélargissement de lassiette fiscale, et surtout le poids insoutenable de la Caisse de compensation sur le budget de lEtat. Dans ces conditions, lEtat ne dispose que de peu de portes de sorties «comptables» dans la mesure où le nombre dentreprises à privatiser est restreint et où une hausse de limposition semble exclue. Alors que faire dans ces conditions ? Nous pensons, au CMC, que les pouvoirs publics, devant cette « crise » du budget, ont une opportunité afin dentamer ou de poursuivre un certain nombre de réformes essentielles et proposer des mesures innovantes afin de sortir de la logique comptable, limitée et dépassée. - F. N. H. : Quels types de réformes, daprès-vous ? - H. E. M. : La première direction est la poursuite de la réforme fiscale. Celle-ci devra être globale, juste et équitable. Les objectifs fondamentaux doivent être lamélioration du pouvoir dachat de la classe moyenne, la baisse de la pression fiscale sur les PME/PMI et les TPE, principaux vecteurs de croissance de léconomie, et le soutien à de nouveaux gisements de croissance. Pour ce faire, léquité fiscale par la contribution de tous les acteurs économiques à leffort collectif, devra se traduire dans la réalité par un certain nombre de mesures-phares. A titre dexemple, la disparition de certaines niches dans certains secteurs dont le seul objectif était clientéliste- pourrait être envisagée. Ensuite, lajout dune tranche dimposition supplémentaire pour les hauts revenus couplée avec une baisse conséquente de limposition pour les revenus intermédiaires, est souhaitable. Au plan de lIS, la progressivité en fonction du chiffre daffaires des entreprises devrait être prise en considération. Aussi, un réaménagement et une harmonisation de la TVA sont souhaitables. Enfin, il faudrait penser à créer des incitations à la réorientation de linvestissement afin de promouvoir une croissance verte, notamment. La seconde direction est la réforme de la Caisse de compensation en attente depuis 3 ans. Il y a clairement un manque de volonté et de vision politique nécessaire afin de mener à bien un chantier aussi sensible. Mais si réforme il y a, celle-ci devra veiller à créer des filets sociaux afin de protéger les plus vulnérables de linévitable augmentation des prix. A ce titre, il serait intéressant de méditer les exemples émanant de certains pays sud-américains, brésilien notamment, où des systèmes daides directes conditionnées à lintention des segments de population les plus vulnérables, ont été mises en place avec succès. Enfin, il est essentiel de préserver le niveau dinvestissement public en direction, notamment, de léducation et la recherche. En conclusion, le prochain budget de lEtat ne doit pas être un budget daustérité ou de crise, mais au contraire un budget de croissance qui prenne en considération la situation sociale du pays, plus que sensible. - F. N. H. : Vu la situation contraignante qui sévit sur le plan international, est-ce que lon peut qualifier 2011 dannée de sortie de crise ? - H. E. M. : En dépit des facteurs dincertitude qui continuent de peser sur lenvironnement économique à léchelon international, les perspectives de croissance de léconomie nationale en 2011 sannoncent relativement favorables. Le taux de croissance projeté pour lexercice à venir devrait se situer autour de 4,5%, enregistrant ainsi un gain de 1,7 point par rapport à 2010. Cette configuration prévisionnelle table sur une reprise des activités de lindustrie, du bâtiment et travaux publics ainsi que des activités de services à la faveur dun raffermissement sensible de la demande, tant sur le plan interne quexterne. Elle table également sur un redressement appréciable des activités agricoles avec une hausse de la valeur ajoutée globale du secteur atteignant 3,5% par rapport à lexercice précédent. Cette perspective devrait, par ailleurs, saccompagner dune amélioration significative du cadre macroéconomique, sous le double front du chômage et de linflation. Les pronostics établis à ce sujet par le CMC prévoient une relative accalmie de linflation avec un taux moyen prévisionnel de 2,3% et un repli de près dun demi-point du taux de chômage.