* Les relations entre les artistes et les galeries sont toujours régies par une vieille législation qui s'accommode mal des besoins du marché. * Les jeunes artistes semblent être les principaux perdants dans un marché où la clientèle est toujours rare. * A. Saïdi, DG de la galerie «Memo Arts» à Casablanca, donne son point de vue sur l'évolution de ce marché prometteur. - Finances News Hebdo : Après une année difficile en 2009 d'après les artistes qui déplorent une baisse de la cadence des vernissages, est-ce que vous pensez que le marché des arts plastiques a pu retrouver son dynamisme en 2010 ? - Abderrahman Saïdi : Je pense que, globalement, l'année 2009 n'a pas été aussi difficile comme certains le pensent. Mon impression, à défaut de statistiques précises, est que l'année dernière a connu une cadence normale des vernissages. Le nombre des expositions et des événements culturels augmente avec de plus en plus d'intervenants sur le marché. A part les galeries, il y a des gens qui effectuent de manière discrète le négoce des tableaux. - F.N.H. : Justement, cela nous renvoie au volet juridique de ce marché. Quel jugement apportez-vous au cadre légal régissant cette activité? - A.S. : Le volet juridique reste absolument vide et creux. Il n'y a strictement rien pour organiser la relation entre l'artiste et la galerie, ou encore entre les clients et les salles de vente. C'est le droit commun des années 1913 qui est toujours appliqué. Par conséquent, ce sont les règles du mandat classique qui demeurent appliquées où l'on formalise rarement nos relations. C'est une réalité car rares sont les fois où une relation formelle unit l'artiste à la galerie qui abrite son exposition. C'est un arrangement négocié en fonction de la réputation du peintre qui peut prétendre à un pourcentage de 30%, par exemple, sur l'ensemble des ventes réalisées. Par contre, pour les jeunes artistes, la situation n'est pas du tout aisée car la plupart est obligée de frapper aux portes pour essayer d'exposer. Le nombre actuel des galeries n'est pas encore suffisant, même si beaucoup de nouvelles galeries ont vu le jour. - F.N.H. : A propos des nouvelles galeries, arrivent-elles à s'imposer ? - A.S. : Il est vrai que les artistes préfèrent les galeries connues qui ont à leur actif beaucoup d'expositions. Il est vrai aussi que les succès varient puisque certaines galeries sont encore peu connues par rapport à d'autres. Mais l'idée centrale est que l'engouement pour l'art est un fait indiscutable. Pour leur part, les artistes restent encouragés par une politique de communication très poussée. Cela n'est pas valable pour tous les artistes, malheureusement. L'autre fait important est que l'évaluation d'une uvre reste toujours subjective et dépend de l'existence d'un niveau intellectuel pour pouvoir mesurer une uvre d'art. Chez nous, l'art est perçu comme un moyen de promotion sociale. Cela sert davantage à montrer qu'on est intellectuel et aisé en même temps. Tout cela fait que ce marché restera élitiste. C'est un fait indiscutable que la sensibilité à l'art est parallèle au statut socio-économique. - F.N.H. : Qui investit le plus, à votre avis, dans le marché des arts plastiques ? - A.S. : Nous avons une particularité au Maroc : c'est que l'art a été développé grâce à des institutions privées. Ce n'est pas l'Etat qui s'est investi dans ce domaine, même si l'époque du protectorat a été marquée par l'inverse. - F.N.H. : Est-ce qu'on peut parler de galeries spécialisées au Maroc avec chacune un style artistique qu'elle représente ? - A.S. : Normalement, cela devrait être le cas. Je pense que cela se fait naturellement et que telle ou telle galerie soit plus sensible à tel ou tel type de peinture. Cela commence à se faire sentir. Il y a quelques années de cela, la plupart des galeries ont fait tout en mélangeant le figuratif, l'orientaliste, le contemporain. Il n'y avait pas de sélectivité. Je crois que les galeries s'adaptent au contexte de la peinture sans oublier qu'elles ont une activité commerciale. La population cible est déjà très réduite sinon «fermée», et il faut toujours lui proposer de nouveaux styles pour la séduire. - F.N.H. : Comment se fait, à votre avis, l'évaluation des uvres ? - A.S. : La même uvre peut connaître des fluctuations de prix assez édifiantes. Elle peut être vendue à 50.000 DH dans un endroit et à 400.000 DH dans un autre. Le marché est toujours subjectif et illogique. C'est plus risqué que de s'investir dans ce marché par rapport au marché boursier, par exemple, où il y a plus de visibilité. Il ne faut pas oublier qu'en matière d'uvres artistiques, chaque pièce est unique, d'où sa valeur inestimable. Toujours est-il que ce marché est encore nouveau et peu réglementé, contrairement au marché français où il est un peu plus transparent et peu volatil par rapport au marché marocain.