Il n'existe pas un unique régime de change qui convienne à tous les pays et en toutes circonstances. Chaque pays peut en toute liberté choisir le régime le mieux adapté à ses besoins; lequel doit être cependant soutenu par une politique économique cohére Quel régime de change adopter ? Existe-t-il un régime de change optimal ? Ce sont, entre autres, les questions soulevées par M. Philippe Ithurbide, responsable de la Recherche Economique au sein du Groupe Société Générale, lors du séminaire organisé la semaine dernière par la SGMB en son siège, en intervenant sur "Le choix du régime de change en économie semi-réglementée : le cas du dirham marocain et de l'ancrage à l'euro". Autant le choix du régime de change est crucial pour une économie réglementée et/ou émergente, autant la tendance sur laquelle s'érige actuellement l'économie mondiale, avec notamment la mobilité des capitaux, rend difficile ce choix. Faut-il opter pour un régime de change flottant, dirigé ou fixe ? Pour M. Ithurbide, le régime de change doit non seulement s'inscrire dans une perspective et une stratégie à long terme, mais également "protéger" des crises en permettant, soit de garantir une certaine crédibilité, soit aux ajustements nécessaires de se faire "au bon endroit" : change, activité économique et emploi... Par conséquent, une gestion rigoureuse du cours de change est nécessaire, en référence aux crises financières récentes qui ont frappé les pays émergents et qui auront engendré des coûts astronomiques non seulement pour lesdits pays, mais aussi pour l'économie mondiale. Aussi, selon M. Ithurbide, en matière de choix de régime, les conséquences sont circonscrites autour de deux approches : pour la première (cibles réelles), le taux de change doit s'adapter passivement aux autres éléments de la politique économique, tandis que les variations de cours de change nominal ont des effets réels durables; pour la seconde approche (cibles nominales), la politique économique est contrainte par la politique de change et le cours de change est un instrument de la politique anti-inflationniste. Choix du régime de change Qu'il soit fixe ou flexible, un régime de change doit être soutenu par l'ensemble de la politique économique, notamment de la politique prudentielle; laquelle reste aussi importante que le contrôle du système bancaire. Le choix du régime est pourtant un dilemme bien présent au niveau des pays émergents. Mais le consensus qui semble se dégager est "qu'il n'existe pas de régime de change unique convenant à tous les pays et en toutes circonstances". Ce choix est aujourd'hui fortement motivé par la forte mobilité des capitaux et, selon M. Ithurbide, il n'existe pas de régime optimal et aucun pays ne satisfait à toutes les conditions de réussite de tel ou tel régime. Cependant, sur ce point, les conclusions du Fonds Monétaire International (FMI) sont très claires. Un pays est enclin à adopter une forme quelconque de parité fixe lorsqu'il intervient peu sur les marchés financiers internationaux; s'il commerce beaucoup avec le pays émetteur de la monnaie d'ancrage envisagée; s'il subit des chocs économiques semblables à ceux que doit affronter le pays émetteur de la monnaie d'ancrage envisagée; s'il est disposé à troquer son autonomie en matière de politique monétaire contre la crédibilité dont jouit son partenaire sur ce front; si son économie et son système financier sont déjà liés étroitement à la monnaie de son partenaire; s'il est attiré par la stabilité offerte par la parité fixe en raison de son inflation élevée; s'il met en oeuvre une politique budgétaire flexible et viable; si ses marchés du travail sont flexibles et ses réserves internationales élevées. Toutefois, en raison de la mobilité des capitaux et des montants en circulation, les parités fixes deviennent de plus en plus vulnérables; raison pour laquelle le nombre de pays ayant adopté la fixité des changes a diminué. Degré de flexibilité des régimes de change Aucun régime de change n'est parfait. Chaque régime présente en soi des inconvénients. A côté de l'union monétaire ou de la dollarisation pure et simple, on a les régimes de change fixes (caisse d'émission, changes fixes mais ajustables) qui engagent les autorités à cantonner les fluctuations du taux de change sur un intervalle déterminé afin que le taux de change soit un ancrage nominal significatif pour les attentes du secteur privé concernant notamment le comportement du taux de change et la politique monétaire d'accompagnement à édicter. La caisse d'émission (currency board) constitue le régime d'arrimage du taux de change le plus rigide. En effet, avec le currency board, la parité est fixe avec une autre devise (par exemple l'euro pour la zone CFA) et il y a obligation de conversion à la parité fixée. D'autre part, toute création de monnaie doit avoir une contrepartie dans les réserves de change, alors que les taux d'intérêt sont librement déterminés par l'offre et la demande sur les marchés de capitaux. Parallèlement, le rôle de la Banque Mondiale est considérablement amoindri et la politique économique n'a qu'un seul objectif : stabiliser la parité. Pour que le currency board réussisse, il faut cependant un niveau élevé de réserves et extrêmement liquides, une entière dollarisation (ou euro-isation dans le cas de currency board contre euro) de l'économie, mais aussi l'acceptation d'une perte totale de souveraineté. Aujourd'hui, les avis divergent quant à l'adoption d'un tel régime qui présente tant des avantages que des inconvénients. Au niveau des avantages, on citera, entre autres, la stabilisation de la devise, une rigueur monétaire obligée, une totale convertibilité de la devise, une plus grande transparence vis-à-vis des acteurs économiques et financiers, ainsi que le strict contrôle de l'inflation pour garantir la crédibilité du régime de change et sa pérennité. En revanche, du fait que la politique monétaire est entièrement subordonnée à la politique de change, ce régime ne permet pas d'ajuster le taux de change réel en agissant sur le taux de change nominal. Ainsi, la politique d'ajustement économique se fait via d'autres canaux, notamment les prix, l'activité économique, l'emploi... Ce régime reste également sous la menace d'une envolée des taux d'intérêt qui va impacter sur l'économie et présente une grande vulnérabilité en cas de crise dans le pays ou la zone concernée. De plus, la banque centrale devient une entité quasiment inutile dans un environnement global o elle a tendance à être plus présente et plus indépendante. Le currency board présente de fait des différences majeures par rapport à la dollarisation/euro-isation. La première a trait notamment à la disparition du seigneuriage; lequel correspond au bénéfice tiré par l'Etat entre le coût de production des pièces et billets et leur pouvoir d'achat. La seconde grande différence et, de loin, la plus importante est qu'une " dollarisation est a priori irréversible, alors que le problème de la pérennité d'un curency board reste entier". Ce caractère permanent de la dollarisation/euro-isation lui confère des avantages de taille, comme la stabilité des taux d'intérêt et des rendements obligataires, "ou encore l'absence de pressions sur la devise qui, lorsqu'elles se manifestent, se traduisent par des diminutions de dépôts bancaires ou des pertes de réserves de change". Quant au régime de changes fixe mais ajustable (peg) comme l'étalon-or, il reste proche du régime de zone cible avec néanmoins des réalignements fréquents. Il a, entre autres, pour avantage de stabiliser la devise mais reste soumis à des dévaluations fréquentes. Il existe aussi une autre catégorie de régime dit régime de changes intermédiaires ou hybrides. C'est le cas notamment des zones - cibles qui ont pour objectif de limiter les fluctuations à l'intérieur d'une marge de variation et des parités glissantes o les autorités déterminent un sentier de cours de change (exemple : dépréciation de x% par rapport à une devise ou un panier de devises). Enfin, on retrouve les régimes de changes flottants. A ce niveau, il faut distinguer le flottement géré, pour lequel les autorités interviennent pour influencer l'évolution du cours de change ou pour corriger certaines évolutions jugées excessives : si les interventions sur le marché des changes permettent de contrecarrer des tendances néfastes, il n'en demeure pas moins vrai que les coûts des interventions des banques centrales sont parfois exorbitants. D'autre part, il y a le flottement pur qui est un cas limite qui n'existe pas dans la réalité. Le Dirham et l'Euro Le Dirham est passé par plusieurs phases depuis 1970, date à laquelle il était caractérisé par une forte instabilité du fait même de l'instabilité du FF. Le lien a ensuite été rompu avec le FF en 1973, alors qu'a été retenu le principe du flottement géré et la gestion de stabilité de la parité effective contre un panier de devises. Après une appréciation de plus de 15% du cours effectif entre 1970 et 1980, le Dirham s'est déprécié effectivement de 85% du fait de l'envolée du dollar US. Au mois d'avril 2001, un réaménagement du panier de cotation a été opéré en vue de renforcer l'ancrage du Dirham à l'Euro et de réduire la sensibilité du Dirham à la parité EUR/USD. Cette démarche a conduit à une dévaluation de 5%, laquelle est à mettre en parallèle avec la dépréciation continue de l'euro en 1999 et 2000 (autour de 10% contre Dirham), mais également à un ancrage davantage en ligne avec le commerce extérieur du Maroc (80% des échanges avec la zone Euro). Actuellement, le panier n'est pas officiellement connu, mais "l'on considère que la dévaluation serait "résorbée si la parité EUR/USD atteignait 0,82. Actuellement (et depuis 1993), il existe une convertibilité pour les opérations courantes. De fait, les étrangers et les non-résidents au Maroc ont la totale liberté d'investir au Maroc et de rapatrier le produit de leur investissement et le capital lui-même. Par ailleurs, certaines entreprises ont la possibilité d'investir à l'étranger après accord de l'Office des Changes. Et après la libéralisation avec l'ouverture d'un marché inter-bancaire, la question est de savoir quand est-ce que la convertibilité du Dirham sera totale, quand bien même elle n'est pas une urgence absolue. Cela permettrait en tout cas aux résidents marocains d'exporter des capitaux, ce qui sous-tend cependant de solides réserves de change. En tout état de cause, le Maroc gagnerait avec un régime de change plus souple, d'autant que les investissements étrangers actuels sont des investissements directs, donc de long terme. Une chose est sûre : quel que soit le régime de change, abstraction faite du flottement libre des taux, des mesures d'accompagnement sont nécessaires, déclinées en des interventions et une régulation officielles pour bien orienter le marché des changes... D. W. Encadré : La caisse d'émission Une caisse d'émission s'engage à financer ses engagements monétaires à un taux de change fixe, ce qui suppose qu'elle détienne des réserves de change au moins égales à 100 % de ses engagements. De plus, elle ne peut échanger ses engagements monétaires qu'à ces seules conditions; autrement dit, une caisse d'émission à l'état pur ne peut pas consentir de crédit. Dans ce contexte, les autorités monétaires n'ont aucune influence, même sur les taux d'intérêt à court terme : l'arbitrage du marché suppose un lien étroit entre les taux d'intérêt et ceux de la monnaie d'ancrage. Le succès d'une caisse d'émission repose sur la présence d'éléments clés, outre les conditions habituellement jugées souhaitables pour un régime de parité fixe, à savoir : un système bancaire solide (parce que les autorités monétaires ne peuvent pas prêter aux banques en difficulté) et une politique budgétaire prudente (puisqu'il est interdit à la banque centrale de prêter à l'tat). Ce dispositif a l'avantage de renforcer la crédibilité de la politique économique, en raison du coût politique élevé assorti à la modification du taux de change. La caisse d'émission comporte toutefois des désavantages, comme l'impossibilité pour la banque centrale d'intervenir afin d'atténuer la volatilité des taux d'intérêt à très court terme et l'absence d'un prêteur en dernier ressort. La caisse d'émission se différencie principalement de la dollarisation pure et simple par le fait que, en régime de caisse d'émission, le pays conserve sa monnaie nationale et donc, le seigneuriage, tandis que sous le régime de la dollarisation, le seigneuriage est transféré au pays émetteur de la monnaie d'ancrage à moins d'une entente spéciale, ce qui donne lieu à une plus grande perte de souveraineté.