* La levée des réserves du Maroc sur certains aspects de légalité homme/femme nest pas un fait nouveau, avait estimé le Conseil Scientifique Supérieur dans un communiqué. Ahmed Toufiq, le ministre des Habous et des Affaires Islamiques a, lui aussi, relevé que ladoption par le Maroc de la Convention des Nations-Unies intervient après la grande réforme juridique achevée avec ladoption du nouveau Code de la famille. * Point de vue de Aziz Chahir, enseignant-chercheur à la Faculté de Droit de Casablanca. * Finances News Hebdo : Est-ce que les réformes juridiques engagées par le Maroc depuis plusieurs années ne sont pas synonymes d'une levée de réserves «pratiques» sur le contenu des conventions internationales relatives au sujet ? * Aziz Chahir : Je crois que les réformes juridiques engagées par le Maroc depuis l'avènement du nouveau règne s'inspirent notamment du droit international et tentent de s'aligner sur les législations des pays démocratiques. Mais il serait exagéré de conclure que le Royaume est parvenu à mettre en pratique les conventions internationales relatives aux Droits de l'Homme en particulier. Il faudrait rappeler à cet égard, que le nouveau Code de la famille, adopté en 2003, s'inspire de la charia, et partant, reconnaît aux oulémas une certaine suprématie du droit divin sur le droit positif. Dans ce code, faut-il le rappeler, le législateur reconnaît toujours la tutelle du père lors du mariage, la suprématie des hommes sur les femmes lors de l'héritage et la polygamie. En outre, les tribunaux peinent à se conformer aux articles du nouveau Code de la famille. Des juges de famille continuent ainsi de refuser à la femme le droit de demander le divorce et nombre d'entre eux n'hésitent pas à autoriser la polygamie sans consulter la première femme. Sur un autre registre, les Adouls continuent d'appliquer à la lettre les préceptes religieux qui régissent le mariage et l'héritage, notamment. Sans compter le fait que la société marocaine est en grande partie imprégnée par une culture patriarcale qui empêche, parfois, les magistrats dont la majorité sont des hommes, de mettre en application les nouvelles dispositions du nouveau Code de la famille relatives aux droits de la femme. En témoigne, par exemple, le comportement d'une bonne partie des juges, notamment en milieu rural, d'autoriser le mariage des filles en dessous de l'âge légal de 18 ans. Alors que les associations féministes, en particulier, sen sont prises récemment à la fatwa surréaliste de cheikh Maghraoui, qui avait autorisé le mariage de la fille à 9 ans, nombre d'entre elles n'ont pas relevé le fait que des juges de famille autorisent toujours le mariage de filles dont l'âge ne dépasse pas parfois 14 ou 15 ans. * F.N.H. : Est-ce que vous pensez que le sujet de la femme continuera d'alimenter les débats politiques entre «islamistes» et «laïcs» chez nous. Comme cétait le cas lors des sorties publiques des deux camps pour exprimer leur avis sur le plan de l'intégration de la femme? * A. C. : Je crois que la question de la femme, et plus précisément ses droits, continuera certainement de nourrir les débats politiques et d'attiser même des tensions entre deux idéologies concurrentes : le «fiqhisme» et le positivisme. C'est là même l'une des problématiques centrales inhérentes aux rapports ambivalents entre tradition et modernité. Pour ce qui concerne les droits de la femme en particulier, les oulémas prônent la suprématie de la charia sur la jurisprudence, c'est-à-dire la prééminence du droit divin, à savoir le Coran et les Hadiths, sur le droit positif représenté par le nouveau Code de la famille. Le rapport entre le religieux et le politique s'avère être ainsi l'un des défis majeurs que doivent relever les sociétés arabo-musulmanes qui aspirent à la démocratie. Au Maroc, la monarchie semble jouer un rôle d'arbitre qui lui permet de trancher des questions délicates opposant différents protagonistes. C'est là où la monarchie excelle dans son rôle de médiation qui permet au Souverain d'influer sur le cours des décisions, tout en donnant l'impression qu'il n'est pas impliqué dans le jeu politique. Les manifestations en faveur ou contre le plan de l'intégration de la femme avaient ainsi permis au monarque de jouer sur les deux registres : tradition et modernité. En présentant son texte de réforme de la Moudawana en 2003, dans le cadre de la loi islamique, ou charia, le Roi aurait donc réussi à satisfaire les revendications des associations féministes, notamment. Mais d'un autre côté, il n'est pas parvenu pour autant à rassurer les oulémas inquiétés, eux, que la jurisprudence parvienne un jour à évacuer le droit divin. Vue sous cet angle, la levée des réserves, sur la CEDEF en particulier, marque une certaine dépolitisation de l'institution des oulémas acculés plus que jamais à cautionner les décisions politiques du chef de l'Etat. La monarchie du droit divin saurait ainsi renforcer son autorité sur le champ religieux. * F.N.H. : Quels sont, à votre avis, les avantages que pourrait tirer le Maroc de cette ratification complète de la convention des Nations-Unies sur les Droits de l'homme? * A. C. : Il va sans dire que la ratification complète de la Convention des Nations-Unies sur les Droits de l'Homme pourrait avoir un impact positif sur l'image du Royaume sur le plan international. Le Maroc rejoint ainsi le giron des pays qui reconnaissent la primauté du droit international même s'il peine à se conformer rigoureusement aux principes des Droits de l'Homme, en particulier. La diplomatie marocaine pourrait en effet jouer la carte des Droits de l'Homme pour renforcer sa coopération avec ses partenaires étrangers. Cependant, il serait utile de rappeler qu'au Maroc la loi n'est pas systématiquement appliquée et que les Droits de l'Homme ne sont pas toujours respectés. En témoigne notamment le dernier rapport de Amnesty International qui fait état de plusieurs dérapages des autorités publiques. * F.N.H. : Enfin, le Code de la famille tel qu'il a été adopté, pourra-t-il subir quelques amendements suite à cette levée de réserves ? * A. C. : D'un point de vue juridique, le Code de la famille tel qu'il a été adopté devrait être révisé, en particulier les articles sur le mariage avec des étrangers, la tutelle légale accordée au père, l'héritage et la polygamie. C'est là même une conséquence directe de la décision royale du 10 décembre dernier de lever les réserves relatives à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (CEDEF). Après son entrée en vigueur en 2001, le Maroc avait refusé de mettre en application les clauses contraires à la législation nationale ou à la loi islamique. Maintenant, c'est le chef de l'Etat qui décide d'intervenir pour lever les réserves arguant de leur «caducité juridique». C'est donc en législateur que le souverain est intervenu et non en tant que Commandeur des croyants. La distinction est de taille vu que ce statut lui interdit de passer outre la charia. Ce faisant, il a su évacuer les oulémas de la sphère publique puisque c'est au Parlement maintenant de prendre en charge toute révision du Code de la famille. Vu sous cet angle, le Conseil supérieur des oulémas ne se trouve pas en position d'émettre un avis sur une question politique qui relève de jure du rôle du législateur. Mais les oulémas savent très bien que le Souverain ne saurait remettre leur parole en question en décidant, à lui seul, des amendements du Code de la famille. Le monarque aurait donc tout intérêt à préserver la crédibilité des oulémas avec lesquels il a déjà annoncé l'élaboration d'un «pacte solennel». Maintenant, c'est aux associations des droits humains et notamment féministes, de batailler pour faire passer les amendements qu'ils jugent à même d'endiguer la discrimination de la femme. Mais c'est sans compter sur, notamment, les résistances de certains courants islamistes qui ne seraient pas disposés à voir la jurisprudence prendre le dessus sur la charia.