* Les grands chantiers des réformes varient du national ou régional au sectoriel. * Les réformes ne peuvent réussir sans la mise à niveau du département de tutelle et de ses filiales. * Le point avec Ahmed Ouayach, Président de la Comader. Finances News Hebdo : Quelles sont vos attentes de ces premières Assises de lagriculture et de le 3ème édition du SIAM ? Ahmed Ouayach : Les attentes sont très grandes. La population du monde agricole est très diversifiée et chaque catégorie a ses propres problèmes et ses propres revendications. Il y a les petits et les grands agriculteurs, il y a les exportateurs, il y a les industriels, les distributeurs Le Plan Emergence tant attendu devrait apporter des solutions et proposer les grandes réformes quil faut présenter dans les délais les plus courts. Le Maroc na pas de temps à perdre pour commencer les grands chantiers que ce soit à léchelle nationale, régionale ou sectorielle. Ce plan doit prendre en considération ce qui se passe autour du pays. Le Maroc fait partie dune région et il a choisi la voie de la libéralisation. Pour lagriculture, il faut intégrer la mondialisation avec prudence en évitant les dégâts collatéraux. Il y a une concurrence à linternational très acharnée. Les produits marocains, pour quils soient compétitifs, doivent avoir les moyens et être bien soutenus. F.N.H. : Quelles sont les types de réformes envisagés ? A.O. : Les réformes concernent le volet institutionnel, juridique, social et économique. Tous les programmes de réformes ne peuvent réussir si les outils de cette réforme ne sont pas adéquats. Je vise surtout les organes de ladministration de tutelle et les ressources humaines. Du côté des professionnels, il faut un encadrement à la hauteur à travers des associations et des fédérations. Le plan émergence de lAgriculture va être chiffré avec un échéancier précis. Il est question de dresser un échéancier avec des objectifs à atteindre. F.N.H. : Mais est-ce quon peut réussir des réformes sans prendre en considération le monde rural ? A.O. : Cest vrai ! Lagriculture ne peut se développer sans le développement du monde rural et ce dans un cadre cohérent. LEtat a déjà entamé plusieurs programmes comme la généralisation de leau potable, lélectricité ou le désenclavement de certaines zones au travers dinfrastructures routières. Il est question aussi de construire davantage décoles, de centres de soins ou détablissements administratifs. Le classement défavorable du Maroc en matière dIDH est dû en grande partie aux défaillances sociales du monde rural. Il faut aussi développer des activités et des métiers qui ne sont pas forcément liées au monde rural comme le tourisme de niche, lartisanat, ou autre. Au Maroc, il existe 1,5 million dexploitations agricoles qui assurent la survie pour pratiquement 50% de la population. On regrette que les industries agroalimentaires ou agro-industrielles soient développées surtout hors des périmètres agricoles. Les investissements dans lagriculture sont devenus aléatoires à cause du manque de visibilité et de la vulnérabilité du secteur. Il y a aussi cette pression sur le foncier qui fait que les promoteurs se ruent vers les terres agricoles dont la valeur a flambé. Les propositions du plan émergence doivent être réalistes. Il faut quon séloigne de la démagogie. Par ailleurs, il ne faut pas refaire les erreurs du passé. Chaque décision doit prendre lavis des agriculteurs. La conversion des cultures doit se faire en concertation avec les exploitants. F.N.H. : Par ordre de priorité, quelles sont les grands axes des réformes envisagées ? A.O. : En urgence, il faut résoudre le problème de lendettement des agriculteurs. Une bonne partie de ces gens, surtout les petits exploitants, sont au bord de lasphyxie. La maîtrise des ressources hydriques est aussi un autre défi à relever. Pour la filière céréalière qui a un grand impact sur lensemble du secteur, il faut trouver des solutions ou des alternatives durgence. Cette filière, qui emploie 80% de la population des agriculteurs, a besoin dun plan de restructuration. Et comme je lai dit, le programme des réformes a besoin doutils performants pour lexécuter. La réforme du département de tutelle et de sa filiale est une nécessité. Lautre axe de réforme concerne les circuits de distribution et de commercialisation. La volarisation des produits agricoles dorigine animale ou végétale est à revoir. Les abattoirs ont besoin dun plan dorganisation et de restructuration. La Fédération nationale des viandes rouges a été créée récemment. Les marchés de gros ont besoin dune mise à niveau. Il y a un décalage flagrant entre les prix des produits agricoles à la production et ceux payés par les consommateurs au profit des intermédiaires. Lautre axe des réformes a trait à la question du foncier. Cest un domaine qui est encore régi par des lois datant de 1919 ou 1913 et qui savèrent actuellement dépassées. Lhomme doit être aussi au cur de ces réformes. Il faut laisser la place aux jeunes et installer un encadrement adéquat. Il est inadmissible que les terres collectives dans le Gharb et le Haouz soient gérées dune façon archaïque. Toutefois, il faut aussi lutter contre lémiettement des terres. LEtat doit renforcer la généralisation de limmatriculation dans la Conservation foncière. F.N.H. : Lagriculture marocaine peut-elle concilier sa compétitivité à lexport et son aptitude à assurer la sécurité alimentaire du pays ? A.O. : Cest faisable. Il y a des terres et des régions dont les productions ne peuvent être destinées quau marché intérieur. En revanche, il y a des terres qui présentent des atouts pour ce qui est des cultures dexport comme le Souss-Mass-Draâ qui représente 70% du potentiel des produits agricoles exportables. Au niveau des marchés, il y a aussi un dilemme : 50% des agrumes sont destinés à la Russie. Il y a une fragilité au niveau de la production et aussi de la commercialisation. La sécurité alimentaire est une question de souveraineté car la flambée de certains produits à linternational, comme le blé, les oléagineux, doit nous pousser à revoir notre politique agricole et établir une adéquation entre les agriculteurs, les industriels et les besoins de la population.