Plus de quinze ans de va-et-vient entre le Maroc et la France pour venir tourner des films publicitaires : Jean David, réalisateur et producteur, a décidé de créer au début de 2005 Irène Productions. Mais avant de revenir sur les motivations de cette création au Maroc, alors que c'est un réalisateur à succès en Europe, il est important de revenir sur le parcours atypique de cet enfant né à Versailles, la ville du Roi Soleil. A peine trois ou quatre mois après sa naissance, ses parents partent au Canada. «Ils m'ont laissé à ma grand-mère qui vivait à la campagne. Mon grand-père, qui était un homme d'affaires parisien, nous rejoignait tous les week-ends à la campagne. Et j'ai très bien vécu avec mes grands-parents maternels». Une enfance rythmée par de grandes balades dans la forêt avec sa grand-mère qui lui récitait des poèmes. Jean David avait donné des noms aux arbres qui étaient devenus ses amis. Agé de six ans, il voit revenir sa mère en France mais pas son père qui a refait sa vie. Son père est revenu le voir en France quand Jean avait 14 ans, mais il est venu le jour où Jean David découvrait son premier flirt. «Elle s'appelait Marjolaine, je me souviens très bien de son nom !». Il n'a finalement vu son père que brièvement, le cur d'adolescent ne pensait qu'à rejoindre son premier amour. Mais l'absence du père ne l'a pas vraiment bouleversé. Jean David a été très marqué par un autre homme, son grand-père, qui était docteur en Sciences Economiques et dont il a suivi pratiquement le même cursus en optant pour des études en sciences économiques. «Mon grand-père était hongrois et ma grand-mère belge. Il était juif et n'avait pas le droit de suivre des études supérieures en Hongrie à l'époque ; alors il est parti en Allemagne pour ce faire. Il voulait émigrer aux USA, mais lors d'un court passage à Paris, il a rencontré ma grand-mère. Moi, je voulais faire comme mon grand-père». En parallèle, Jean David suivait des cours de théâtre ; il a même fait l'Institut Théâtral de la Sorbonne. Et puis un jour, le dilemme. Il se devait de faire un choix entre la sous-direction d'un petit supermarché et un rôle dans une pièce de théâtre dans la Maison de la Culture d'Amiens. Il a choisi la deuxième proposition au lieu du supermarché «Carrefour». Mais pour son grand-père ce n'était pas si grave. Car à cette époque-là, en 1968, ce qui lui semblait beaucoup plus inquiétant était l'attitude de Jean David. «J'avais 20 ans, j'étais gauchiste, alors que mon grand-père était gaulliste. Alors, dès qu'on essayait de sortir des normes, ça lui semblait très dangereux !». La vie passe. La quarantaine, Jean David reçoit un coup de fil d'un dénommé Henri, qu'il ne reconnaît pas au premier abord et qui lui explique que c'était «mon père», qu'il était de passage à Paris et qu'il voulait le voir. L'occasion pour Jean David de présenter ses enfants à leur grand-père. Un moment unique qui ne se répètera plus. En effet, quinze jours plus tard, Jean David rappelle son père qui était retourné au Canada pour apprendre la nouvelle de sa mort. «Il était venu pour me rencontrer avant de mourir ; il avait un cancer et ne m'avait rien dit. C'est absolument génial de rencontrer son père après quarante ans de vie pour mieux comprendre pourquoi on est ce que l'on est !». Sa mère est décédée il y a deux ans, le jour où il avait rendez-vous au CCM avec Noureddine Saïl pour demander les autorisations d'exercice au Maroc. Il a dû d'ailleurs reporter son rendez-vous sans pour autant être dissuadé de venir créer une société de production marocaine. Mais notre homme est loin d'être fataliste. Il ne s'est jamais apitoyé sur son sort et tire sa force d'un parcours très singulier. Il reconnaît, d'ailleurs avec beaucoup d'humour, qu'avant de devenir réalisateur-producteur, il a incarné des rôles où il s'est révélé être piètre comédien. Et puis il a rencontré une productrice qui fondait une production avec le réalisateur Claude Faraldo. «Bof, Anatomie d'un livreur», en 1969. Jean David s'attache au travail de l'écriture du scénario, au collage des affiches dans les rues. «J'ai appris comment on fait un long métrage». Par la suite, il a assisté plusieurs réalisateurs-cinéastes, notamment aux côtés de Marguerite Duras et William Klein. Du cinéma militant, il fait la découverte du cinéma d'auteur avec «Le dernier tango à Paris», du cinéaste italien Bernardo Bertolucci. Entre deux films, Jean David faisait des spots publicitaires comme assistant de production, ainsi que plusieurs courts métrages. Son travail en tant que réalisateur débutera ainsi dans le secteur publicitaire. «Je devenais réalisateur en France, en Espagne, en Belgique, en Italie et au Maroc où je me rendais trois à quatre fois par an. Jusqu'au jour où j'ai décidé qu'au Maroc, ça valait le coup d'ouvrir une structure efficace au lieu de faire comme d'autres réalisateurs européens qui viennent ici travailler, prendre des sous et mettre les voiles en se plaignant des conditions de travail ici. Je ne trouvais pas cette attitude juste et cela n'entrait pas dans ma vision des choses». Après 15 ans de va-et-vient, il crée en 2005 Irène Productions, dont l'actionnaire majoritaire est marocain, avec un troisième associé. Ce n'est pas pour autant que Jean David a choisi de venir s'installer au Maroc, puisqu'il a son monde à Paris, sa bibliothèque, sa femme, ses deux enfants, deux petits-enfants, ses amis, ses chats, ses tableaux et la vie politique et associative de la Cité. Il passe néanmoins de longs séjours au Maroc où il a développé des liens avec le pays et les gens du pays. Quant à son travail, il insiste sur le fait qu'il est producteur, vendeur d'intelligences et non fournisseur de cinéma. «On ne trouve pas au Maroc un fournisseur de cinéma qui ne soit pas producteur en même temps. Comme les sociétés de production sont vraiment en compétition au Maroc, elles essayent d'être moins chères que les autres. La situation est malsaine. Cela dit, il existe trois à quatre sociétés de production seulement qui ne font pas ce mélange des genres sur 40 ou 50 sociétés de production existantes». Mais il reste optimiste, puisqu'il insiste sur le fait qu'au Maroc il existe une volonté politique de développer le cinéma et d'assainir l'économie du cinéma. Notamment le CCM. Militant en France au sein de certaines associations, au Maroc il s'est particulièrement intéressé à tout ce qui est sauvegarde du patrimoine architectural de Casablanca. «Casablanca est un musée de l'architecture du 20ème siècle, il n'y a pas une autre ville au monde qui soit aussi riche qu'elle». D'ailleurs, il a intégré l'Association Casa Mémoire. «Et comme on ne peut pas tout faire aussi, j'ai quelques relations avec des associations pour enfants handicapés». Au Maroc, il a pu découvrir la littérature marocaine, notamment Driss Chraïbi et Co. «On ne connaît pas votre littérature en France, et pourtant ce sont des textes riches qu'il est intéressant de lire pour un producteur et en faire des projets de films». L'injustice le révolte et il redoute de perdre la mémoire. «Je ne veux pas être dans la situation où le choix de survie m'oblige à trahir un être cher. Ça doit être terrifiant !». Et quand tout va mal, son échappatoire reste les longues balades au bord de la mer ou dans les campagnes marocaines. Et pourtant, sa vie, il ne la changerait pas d'une virgule. «Éventuellement, elle aurait pu être pire, donc je préfère garder celle-là qui est très bien. On a ce qu'on a. J'ai ce que j'ai, et si c'était à refaire, je ne suis pas sûr de rencontrer la même femme, je n'aurais pas les mêmes enfants et les mêmes petits-enfants et il est hors de question de changer ça. Je les aime ! Il y a tellement de gens malheureux que finalement je me dis que j'ai de la chance !».