* Un grand vide juridique sur la typologie des bénéficiaires du logement social permet aux spéculateurs de faire tout un commerce. * Les projets sociaux dans les villes touristiques sont les plus ciblés. Quelle loi permet aux promoteurs de cibler les acheteurs potentiels de logements sociaux pour être sûr à 100 % que ce sont les populations ciblées qui en bénéficient ? Aucune. Un promoteur immobilier ayant requis l'anonymat explique qu'un promoteur immobilier n'a pas le droit de ne pas vendre à un client qui se présente à lui pour acquérir un logement, même si c'est un projet social. Il ne peut ni n'a le droit de lui demander des justificatifs. Et puis, «même avec les avantages fiscaux concédés par l'Etat pour ces projets à vocation sociale, nous, promoteurs, engageons de gros investissements et sommes tenus par des délais de remboursement auprès des banques. On est toujours sur d'autres projets, et si un bénéficiaire n'arrive pas à avoir rapidement un crédit on ne va pas l'attendre éternellement», souligne-t-il. Il ajoute : «Chacun fait ce que lui dicte sa conscience, et quand on s'engage dans le logement social, nous savons à l'avance que ces projets sont à vocation plus humaine qu'économique». Un juriste affirme dans ce sens qu'il n'existe pas de loi qui donne au promoteur le droit ou la possibilité de décider que l'acheteur potentiel entre dans la catégorie des bénéficiaires auxquels un projet de logement social ou économique est destiné. «Il existe un vide juridique dans ce sens, mais pas uniquement, même concernant le blanchiment d'argent. Une personne qui détient des fonds peut acheter autant de logements qu'elle veut sans qu'aucune partie ne puisse lui demander la provenance de son argent», assure-t-il. Pour revenir au logement social et pour que ces projets puissent profiter à la population cible, il préconise, non pas un projet de loi, car cela prendrait trop de temps a être débattu par le Parlement. Il suffit d'une simple circulaire du ministère de tutelle où d'une note interne exigeant que chaque personne voulant acheter un logement social présente un justificatif de salaire et une attestation pouvant qu'elle ne détient pas un logement principal. «Cette circulaire nécessitera la mise en place d'une typologie de bénéficiaires à laquelle les promoteurs et lotisseurs immobiliers devraient se conformer. À ma connaissance, le logement social est basé sur une volonté gouvernementale de permettre aux couches les plus défavorisées d'accéder au logement. L'idéal serait de commencer par poser une justification juridique pour le projet immobilier social, établissant clairement les bases et les définitions de ce genre de projet pour s'assurer que ces projets profiteront aux populations cibles et éviter tout dérapage », conclut-il. Et des dépassements, il y en a ! Avec la flambée du prix de l'immobilier, le logement social est une bonne opportunité pour les spéculateurs. Les prix sont très bas et la valeur du bien immobilier monte en un rien de temps. Ils acquièrent les logements sociaux en profitant du vide juridique pour les revendre aussitôt avec une bonne marge de bénéfice. À Casablanca, les cas sont légion ! Notamment dans les zones prisées comme Sidi Maârouf par exemple. Un appartement acquis à 200.000 DH dans un complexe immobilier a été revendu six mois plus tard à 240.000 DH. Le supplément a été payé au noir. Mais les spéculateurs ne sont pas les seuls à tirer profit des efforts de l'Etat, puisque les projets de logements sociaux dans des villes touristiques comme El Jadida, Essaouira, Agadir et Marrakech attirent de simples particuliers en quête d'une résidence secondaire ou désirant louer ces appartements acquis en toute légalité. Le cas de Marrakech est le plus flagrant. Ville touristique très prisée et surtout sururbanisée, elle est devenue la destination préférée des touristes nationaux, notamment Casablancais et R'batis. Beaucoup d'entre eux achètent des appartements dans le logement social qu'ils transforment en résidence secondaire. Pire, un phénomène vient accompagner le lancement de la Villa économique et celui de la ville de Tamensourt. En effet, ce dernier projet ayant fait l'objet de très hautes instructions pour que les logements ne soient livrés qu'aux habitants de Marrakech, les gens habitant hors de la ville ocre ont trouvé l'astuce pour détourner ces instructions. Ils renouvellent leur carte d'identité nationale avec comme lieu de résidence la ville de Marrakech. Une opération qui peut se faire en peu de temps en obtenant une nouvelle attestation de résidence. Même les habitants originaires de la ville empêchent les plus nécessiteux d'accéder à un logement décent. C'est le cas de N, une Marrakchie travaillant dans une agence de voyages avec un salaire de 6.000 DH. Elle a acheté un appartement à 240.000 DH dans le projet social Assâda. Elle n'a eu aucune peine à obtenir son appartement puisqu'aucun justificatif ne lui a été demandé. Avec 1.000 DH de traite mensuelle, cette acquisition n'est que bénéf pour elle. Habitant avec sa famille, elle projette de meubler son appartement et de le louer aux touristes de passage à Marrakech. Le loyer, elle l'investira dans un autre logement, pour elle cette fois-ci. Certes, tous les logements sociaux ne sont pas détournés de leur premier objet qui est de permettre aux personnes à faible revenu d'accéder à la propriété, mais des pratiques parasitaires se sont greffées à ces projets. Des pratiques faciles à contrecarrer si un cadre juridique est défini dans le programme du logement social, justement pour qu'il demeure social !