* Une enquête nationale sur la mendicité est en cours d'élaboration par le ministère du Développement social dont les résultats seront publiés fin juin-début juillet 2007. * La stratégie de lutte contre le phénomène se poursuit progressivement et la réflexion est déjà lancée pour généraliser l'expérience à cinq autres villes, après Rabat et Casablanca. Le ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité fait haro sur la mendicité, un chantier lancé depuis 2005 qui commence à donner ses premiers fruits. Abderrahim Harrouchi ne s'arrête pas en si bon chemin puisque son ministère a achevé la phase de collecte des données de l'enquête nationale sur la mendicité, la première jamais faite sur ce sujet. Les équipes se penchent sur l'analyse dont les résultats seront communiqués fin juin-début juillet 2007. Certes, une étude a été faite sur le phénomène, réalisée par la Ligue Marocaine pour la Protection de l'Enfance, en collaboration avec l'Entraide Nationale et l'appui du ministère de la Santé. Mais le chiffre avancé de 500.000 mendiants avait suscité beaucoup de remous. Un chiffre contesté puisqu'il s'agissait d'une extrapolation et que l'enquête a été réalisée au niveau d'une zone précise sans pour autant avancer que le phénomène est de la même ampleur partout au Maroc. «L'enquête en cours est basée sur un travail scientifique qui permettra d'identifier les caractéristiques et mesurer l'ampleur du phénomène, les zones noires, les répartitions selon l'âge et le sexe, la catégorisation sociale, les facteurs poussant à la mendicité. Les résultats permettront d'étudier les moyens et ressources humaines à mettre en place», nous confie Lahcen El Omrani, Conseiller d'Abderrahim Harrouchi, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité. Cela dit, la stratégie de lutte contre la mendicité est mise en place actuellement au niveau des Wilayas de Casablanca et de Rabat. «Elle a démarré le 15 janvier 2007 au niveau de Rabat et le 2 mars de la même année au niveau de Casablanca. Dans la métropole économique, deux points noirs ont été identifiés. Il s'agit notamment de Derb Soltane-El Fida et de Casa-Anfa», explique El Omrani. Une sorte d'expérience-pilote car, rappelons-le, il n'existait aucune stratégie institutionnelle de ce genre pour lutter contre la mendicité. Et en l'absence de données, le ministère avance prudemment en s'associant à plusieurs partenaires, notamment le ministère de la Justice, celui de l'Intérieur, celui des Habous et affaires islamiques, l'Entraide Nationale ainsi que les associations civiles. Trois piliers fondamentaux La stratégie repose sur trois principaux volets. D'abord à travers une approche sociale intégrée. «Il s'agit de comprendre les facteurs qui poussent à mendier et proposer une forme d'intégration. Il ne s'agit aucunement d'une approche sécuritaire», insiste Lahcen El Omrani. Théoriquement, il existe trois formes d'aide que les assistants proposent aux concernés. La première est l'intégration familiale, quand le concerné a une famille qu'il a quittée pour un quelconque différend. Il y a également l'intégration institutionnelle, notamment dans des centres d'accueil, quand le mendiant est dans une extrême détresse et qu'il n'a pas de famille. «La troisième proposition est une intégration économique, notamment quand le facteur de mendicité est dicté par l'absence d'emploi. Les assistantes sociales du ministère, avec l'aide des associations, proposent au concerné de créer une activité génératrice de revenus. Il est assisté pour monter son projet et aidé pour décrocher une subvention ou un don», explique El Omrani. Le deuxième volet de la stratégie de lutte contre la mendicité est l'aspect juridique. Les textes de loi sont clairs, la mendicité est interdite par la loi. Mais le recours au juridique ne se fait que lorsque la première approche a échoué et que les assistantes sociales font face à un récidiviste. Et puis, il y a le volet communication, car dans la mendicité, il y a l'offre et la demande. Sous cet aspect-là, il s'agit de sensibiliser les citoyens à ce phénomène. Il s'agit pour nous de faire comprendre aux citoyens la nuance entre l'aumône et la Sadaka. «Et dans ce sens, nous avons travaillé en partenariat avec le ministère des Habous et des Affaires islamiques pour que cette nuance soit expliquée par les prêches dans les moquées», poursuit El Omrani qui insiste sur le rôle important que jouent également les partenaires du ministère. «Nous essayons également d'attirer l'attention des citoyens qui donnent l'aumône par solidarité sur le fait que 60 à 70 % des mendiants pratiquent une mendicité professionnelle. Dans ce sens, le ministère avait élaboré un spot radio en juillet 2006 et nous sommes en phase de préparer un spot télé pour toucher le plus grand nombre. De même que nous avons tissé des liens avec la presse puisqu'elle sensibilise mais aussi parce qu'elle est le garant de la bonne mise en uvre de la stratégie et qu'elle avertit des dérapages», précise-t-il. Une stratégie qui s'inscrit Dans la durée Il est à noter qu'il ne s'agit pas d'une simple campagne mais d'une stratégie qui s'inscrit dans la durée. Sa mise en uvre est de ce fait progressive, d'abord parce que le ministère est en train de construire un modèle de lutte contre un problème complexe, constituant un précédent pour le Maroc. Mais aussi à cause des ressources humaines et moyens logistiques à mobiliser. «Pour vous donner un exemple, rien qu'au niveau de Casablanca, on a dû attendre un an et demi pour la mise à niveau du Centre Tit Mellil. De même que pour mettre en place huit unités mobiles, il nous a fallu 2 millions de DH rien que pour les véhicules. Sur chaque unité, la présence d'une assistante sociale est obligatoire pour les ramassages. De même qu'il faut assurer la sécurité des gens du terrain puisque des fois, les mendiants peuvent user de violence. C'est tout un processus de formation et l'on a même eu recours aux assistantes sociales de l'Entraide Nationale le temps que toute la machine soit en place», souligne Lahcen El Omrani. D'ailleurs, la réflexion est déjà lancée concernant cinq nouvelles zones d'intervention, à savoir dans les villes de Tanger, Meknès, Fès, Marrakech et Agadir ; villes qui devront à leur tour accueillir des unités mobiles qui vont intervenir sur les points noirs qui seront identifiés. Une nouvelle étape donc vers une généralisation territoriale de la stratégie de lutte contre un phénomène recrudescent. Concernant la mendicité infantile, le ministère a pu d'ores et déjà identifier quelques facteurs qualitatifs. En premier lieu figure l'exploitation par autrui. Dans ce sens, on peut se référer à quelques faits divers de location d'enfants à des mendiants et même des cas d'enlèvement d'enfants, plutôt rares, pour les exploiter à cet effet. Le deuxième facteur est l'éclatement du noyau familial qui pousse les enfants vers la rue, souvent des fugueurs, qui mendient pour subvenir à leurs propres besoins ; un troisième facteur est constitué par les parents qui poussent leur enfants à mendier pour aider, sinon assurer les besoins de toute une famille. Et dans ce cas, les enfants font souvent l'objet de maltraitance s'ils ne ramènent pas une somme d'argent importante. Pour conclure qu'il y a encore du pain sur la planche !