* Globalement, les Marocains sont favorables au changement du statut de la femme au sein de la société marocaine. * Mais des réticences persistent quand il s'agit de la liberté de se marier ou de s'habiller. Le travail non plus n'est pas perçu comme un droit naturel. * Une lecture critique de ces résultats avec Nouzha Skalli, députée, et Ahmed Herzzeni, sociologue. Le Haut Commissariat au Plan est revenu plus en détails sur l'enquête qu'il a publiée en septembre 2006 sur la femme marocaine sous le regard de son environnement social. Pour tracer les grandes lignes des résultats de cette enquête, nombre d'associations, sociologues, députés et femmes chefs d'entreprise étaient présents. Le sociologue Ahmed Herzzeni fut le premier à prendre la parole. Il a différencié entre perception, attitude et comportement. « La perception est la connaissance et la prise en compte de ce changement ; sur un niveau plus élaboré, les attitudes sont les réactions qu'on construit vis-à-vis de ce changement ; et il y a les comportements, les actes quotidiens qui, en général, confirment l'attitude ». Cette explication faite, Ahmed Herzzeni en déduit, à partir des résultats de l'enquête que, grosso modo, qu'il s'agisse de perceptions, d'attitudes ou de comportements, globalement les Marocains sont favorables au changement. C'est un fait incontestable. Ceci dit, le résultat est contrasté selon les paramètres hommes, femmes, citadins, ruraux, aisés ou pauvres. «De ce fait, cette enquête a pu peut-être faire émerger des conclusions assez surprenantes pour certaines questions dont les réponses vont à contre-courant des préjugés», affirme-t-il. Notamment quand les ruraux font preuve d'ouverture d'esprit concernant certaines questions, ou bien quand il s'agit de prise de position sur des questions qui peuvent sembler anodines mais dont les réponses reflètent quelquefois un déficit d'information énorme. Certains exemples indiquent bien ce contraste, notamment quand il s'agit du code de la famille dont seuls les deux-tiers des interviewés disent en être informés. Eh oui, un tiers de l'échantillon n'est pas au courant de l'amendement du nouveau code de la famille. L'enquête relève ainsi un grand déficit en information, mais ceux qui en ont pris connaissance y sont majoritairement favorables. Néanmoins, Herzzeni souligne qu'il y a un bloc dont l'opinion est mitigée, notamment sur le volet concernant la suppression du tutorat pour la fille dans le mariage. Autre résultat intéressant : la différence entre les réponses des ruraux et des citadins. Cette différence est en faveur des ruraux qui sont plus favorables au code, surtout sur ce point du tutorat. Herzzeni a également soulevé une attitude plus réservée de la couche aisée, «une surprise que chacun est libre d'expliquer comme il le veut». Ce conservatisme des couches aisées est également perceptible quand il s'agit du travail de la femme. « Pour le travail de la femme, l'attitude de la couche aisée est moins compliquée puisqu'elle ne subit pas la pression économique. Chez les autres couches, quoiqu'elles y sont favorables, il s'agit plus d'une approche pragmatique dictée par la pression économique que comme un droit naturel de la femme », explique Herzzeni. Les opinions sont plutôt favorables à la présence des femmes dans l'espace public et politique. Et ce sont les ruraux qui y sont le plus favorables.« On ne peut pas constituer la-dessus une opinion idéologique. L'utilité peut expliquer cette différenciation pour les femmes qui travaillent dans les associations », souligne-t-il. Mais plus le rang augmente pour verser dans l'activité politique, plus les avis favorables diminuent, surtout dans les grandes villes. L'autre aspect de cette enquête réalisée par le HCP est l'aspect vestimentaire des femmes. Cette question a permis de dégager certains indices importants. La grande majorité est pour la liberté de la femme de s'habiller comme elle veut une fois chez elle, mais moins à l'extérieur. Cette question a suscité plus de réserves chez les citadins et les couches aisées. « Plus on monte dans l'échelle de l'instruction, plus on est réservé. Il faut chercher du côté idéologique l'interprétation de cette réticence », avance Herzzeni. Nouzha Skalli nuance La députée socialiste, prenant part à l'analyse des résultats de l'enquête du HCP, a fait une toute autre lecture, plutôt critique, des résultats de l'enquête. « Les questions liées à la femme sont très sensibles. C'est un sujet qui reste très passionnel, même après l'adoption unanime du code de la famille et cela déchaîne les passions ». Même après l'entrée en vigueur du texte, il y a une campagne contre ce code de la famille, notamment les fausses informations sur l'augmentation du taux du divorce et du célibat et les idées véhiculées autour du fait que les filles vont chercher un mari au café parce qu'elles peuvent se marier sans tuteur. Des tentatives d'affoler la société marocaine. « Dans ce contexte, la neutralité s'avère très difficile ». À commencer par le code de la famille. « Seuls ceux qui en ont été informés ont pu participer à l'enquête. Alors que le tiers, qui n'en était pas informé, constitue un important bloc ; et il aurait été intéressant de préciser si ce tiers n'était pas informé de la promulgation de ce code ou s'il n'en a jamais entendu parler. De plus, sur les informés, il fallait préciser s'ils ont été informés de la promulgation ou/et du contenu, de même que de savoir quelles en ont été les sources d'information et évaluer leurs connaissances concernant ce code pour pouvoir relever les malformations ». En ce qui concerne la perception du code, Nouzha Skalli s'est dite choquée du résultat concernant la levée de l'obligation du tutorat. «C'est en contradiction avec le vote unanime au Parlement en faveur du code de la famille. Toujours est-il que c'est une question nuancée, ce qui peut aboutir à une réponse en décalage avec la question. Demander à une personne si elle est pour ou contre le mariage d'une femme sans l'autorisation de son tuteur n'est pas comme si l'on demandait à une personne si elle est pour la levée de l'obligation du tutorat pour le mariage de la femme». Un autre point soulevé par Nouzha Skalli est le décalage entre les réponses et la réalité. En effet, si la majorité des interviewés sont prédisposés à voter pour une femme, les femmes sont sous-représentées dans les grandes instances, partis et Parlement. Nouzha Skalli s'est également demandé quel a été l'objectif de poser la question sur la liberté vestimentaire de la femme dans l'espace public. « Aurait-on posé cette question à un homme ? Et quelle apparence est visée et quelle alternative vestimentaire non-dite insinue-t-on ? » s'interroge-t-elle. Du coup, le résultat enregistré suite à cette question la met mal à l'aise puisqu'elle se demande, à la lumière des réponses, quel est l'avenir pour cette société moderne et démocratique que le Maroc est en phase de construire. Toujours est-il qu'elle estime que les résultats de cette enquête sont globalement encourageants. En guise de recommandations, Nouzha Skalli a exhorté le HCP à réaliser de plus en plus d'enquêtes pour évaluer la progression du regard porté sur le rôle de la femme dans la société, tout en soulignant que le HCP gagnerait à pousser plus loin le diagnostic.