Les conditions de détention dans les prisons marocaines ont connu une nette amélioration, ces dernières années. Un grand vide existe pourtant au niveau du rôle des institutions carcérales en tant que relais de réinsertion sociale des détenus. Les prisons servent-elles donc seulement à punir ? Voici le sentiment de Youssef Madad, membre du bureau exécutif de lObservatoire Marocain des Prisons. Finances News Hebdo : Comment lidée vous est-elle venue de créer cet observatoire ? Youssef Madad : Les membres de lObservatoire uvrent tous dans le domaine associatif et la défense des Droits de lHomme. Nous nous sommes ainsi rendu compte que la situation carcérale est tellement complexe quelle ne devait plus être réduite à un simple chapitre dans un rapport quelconque. Il sagit dune question si compliquée quelle ne saurait être abordée dans une approche globale. Nous avons donc abouti à lidée quil fallait créer une structure spécifique pour le traitement de cette question. F. N. H. : Quelles ont été les premières étapes de votre travail après la création de votre association en 1999 ? Y. M. : La première année, nous avons travaillé sur nous-mêmes pour développer nos outils de travail : questionnaires, fiches de visites, structure des rapports Nous avons ensuite entamé une série de visites dans les prisons, grâce à la coopération de lAdministration Pénitentiaire. Le travail sur le terrain était la seule manière de connaître la réalité des choses dans différentes prisons du pays. Et, effectivement, on sest rendu compte, suite à nos premières visites, que la prison dOukacha navait rien à voir avec la prison dInzegane ou de Safi, par exemple. F. N. H. : Avez-vous tracé les objectifs de votre travail ? Y. M. : Nous avons défini deux objectifs essentiels. Dabord, produire un rapport annuel ayant une vision critique sur la situation carcérale au Maroc, et ce à partir du référentiel international qui énumère les règles minimales de traitement des détenus, ainsi que du référentiel national quest la loi 23-98 relative à lorganisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires. Ce rapport a été assorti de recommandations visant lamélioration des conditions de détention. Notre deuxième objectif est de travailler comme une structure dalerte sur toutes les infractions par rapport à ces lois, afin de sensibiliser les acteurs concernés aux manquements et pour faire réparer les préjudices causés aux détenus. Notre première réussite a été de briser le tabou qui entoure le monde carcéral et dinformer lopinion publique de tout ce qui se passe dans les prisons marocaines. Nous avons produit, à ce jour, trois rapports annuels accompagnés de toutes les remarques consignées sur le terrain. Le premier rapport a dailleurs été soumis au directeur de lAdministration Pénitentiaire. Cela prouve que nous avons réussi à instaurer un dialogue avec cette Administration. Mais, nous ne nous contentons pas des rapports pour sensibiliser. Nous organisons aussi des tables rondes sur la question. Pour étayer notre mission, nous avons instauré, depuis plus dune année, une structure de traitement des plaintes émanant des détenus. Nous estimons, en effet, quil sagit dun pas essentiel pour consolider nos actions. Deux avocates réceptionnent les plaintes, les étudient et émettent des conseils sur la démarche à suivre. Nous contactons ensuite lAdministration pénitentiaire pour essayer de résoudre les problèmes qui nous ont été soumis. F. N. H. : Quels genres de problèmes peuvent avoir les détenus à lintérieur dune prison ? Y. M. : La réalité carcérale est atroce. Mais, il faut dire que les conditions de détention ont connu une nette amélioration durant ces quatre dernières années. Autrefois, la prison était un espace hermétique, cloisonné, où les responsables de ladministration avaient pleins pouvoirs et pouvaient tout se permettre sans crainte dêtre contrôlés. Les détenus souffraient notamment dun déficit atroce dhygiène. Lors de nos premières visites, nous avons été choqués de constater une absence totale dactivités. Nous lavons été aussi par le degré doisiveté qui régnait au sein de la prison. Les détenus sennuyaient à mourir. F. N. H. : Ils ne suivaient aucune formation ? Y.M. : Prenons lexemple de la prison dEl Jadida. Il y avait des ateliers qui pouvaient accueillir une dizaine de détenus alors quil y en avait plus de 800. Le pire est quils navaient droit quà une demi-heure de promenade le matin et une autre demi-heure laprès-midi. Le reste du temps, ils le passaient dans leurs cellules, entassés, car les prisons marocaines sont surpeuplées. F. N. H. : Malgré lamélioration des conditions de détention, le séjour dans une prison permet-il une réintégration facile après la liberation ? Y. M. : Non, je ne le pense pas. Personnellement, je crois quil faut dabord situer les priorités dans une prison. Il faut tout dabord alléger le quotidien carcéral du poids des tensions et de la violence, faute de quoi le climat est inadéquat pour la moindre démarche dinsertion. Voilà pourquoi nous avons lancé, au début de lannée en cours, un programme de formation pour le personnel des prisons, axé sur la politique daccompagnement. Lobjectif est de sensibiliser ce personnel à limportance dinstaurer un canal de communication horizontal avec les détenus et non pas un rapport de force. La première cible de notre programme a été le corps des gardiens qui sont en contact direct et permanent avec les détenus. Ces gardiens peuvent, en effet, gérer les conflits entre détenus au lieu dêtre obsédés, uniquement, par la sécurité. Créer un climat plus serein dans les prisons est la première étape à franchir avant dentamer toute action daccompagnement. Il y a également des éléments dordre matériel pouvant accroître les tensions à lintérieur des prisons. Avec le phénomène de surpeuplement, le manque de moyens et dinfrastructures des pénitenciers, les problèmes ne peuvent que saggraver. F. N. H. : Avez-vous, en tant quassociation, entamé des actions facilitant la réinsertion des détenus, une fois libres ? Y. M. : Nous avons été sollicités par deux détenus, condamnés, à lépoque, à la peine capitale et ayant bénéficié, après plusieurs années, dune libération conditionnelle. Il sagissait de leur trouver un emploi. Cela fait un an et demi que nous frappons à toutes les portes pour essayer de les faire embaucher; nous avons même saisi les autorités à ce sujet. Leurs demandes traînent toujours. Nous avons pourtant tout essayé, mais en vain. Aider les détenus à trouver du travail ou les réintégrer est une mission extrêmement ardue. Il nous est donc très difficile de nous engager dans cette voie. Par contre, on essaye de temps à autre dorganiser des rencontres avec des ex-détenus pour quils nous parlent de leur réinsertion et des problèmes quils ont dû surmonter pour reprendre une vie normale. Les ex-détenus reprennent confiance en eux et savent quil y a des gens attentifs à leurs problèmes. Mais, ce suivi doit se faire dans le cadre institutionnel pour garantir un travail de rigueur et un soutien permanent aux ex-détenus. Car, tant quil ny a pas dassistance post-carcérale, on ne peut pas combattre la récidive qui se situe aujourdhui à un taux de plus de 45%. Pire encore : dans deux ou trois ans, ce taux passera à plus de 60% ! Et ce sont hélas, les jeunes qui récidivent le plus.