Dans cet entretien, Omar Fassal, responsable du développement de l'investissement à l'international chez CDG Capital, expose à nos lecteurs les perspectives pour l'année 2016 des marchés financiers mondiaux. Le krach boursier chinois, la politique monétaire de la FED, celle de la BCE, la dépréciation des monnaies émergentes, la croissance mondiale en berne, la chute inexorable du baril de pétrole..., notre interlocuteur passe au peigne fin toutes les évolutions de la «planète finance». Détails. Finances News Hebdo : Il y a 6 mois de cela, vous nous expliquiez que l'accalmie qui a suivi le premier krach boursier chinois ne serait que passagère. Cela se confirme aujourd'hui avec un deuxième krach. Omar Fassal : Ce n'est pas un deuxième krach, mais bien le même krach qui n'a fait qu'être retardé. Il y avait une bulle sur le marché action chinois, et la correction était nécessaire pour revenir à des fondamentaux plus sains. Les autorités ont paniqué et ont reporté cette correction à travers un ensemble de mesures qui étaient acceptables. Mais, à mon sens, l'une d'entre elles ne l'était pas du tout : il s'agit de la décision d'interdire aux institutionnels chinois de vendre des actions. En clair, lorsque vous détenez plus de 5% d'une entreprise, vous n'avez pas le droit de vendre ces titres pour une période de 6 mois (de juin à début janvier). A l'approche de la fin de ce délai, les marchés ont paniqué, car ils craignaient qu'une fois cette interdiction levée, les institutionnels chinois se mettraient à liquider leurs titres sur le marché. Ils ont donc commencé à vendre à l'avance, avant la fin de l'interdiction. F.N.H. : Quelle a été la réaction des autorités chinoises ? O. F. : Elles ont appliqué la même recette qu'auparavant. Elles sont intervenues sur le marché pour acheter des actions afin de soutenir la demande et, surtout, elles ont prolongé l'interdiction de vente aux institutionnels. Les autorités chinoises espèrent que d'ici la levée de cette interdiction, il y ait une progression des fondamentaux pour qu'il n'y ait pas de krach. Concrètement, les dirigeants chinois vont mettre en place une régulation qui va permettre aux institutionnels chinois de vendre chaque mois des quantités données de titres financiers à des prix bien déterminés. Sauf que si vous faites cela, il n'y a plus de marché. Le marché, c'est avant tout d'être libre de vendre la quantité que l'on veut au prix que l'on souhaite. F.N.H. : Les fondamentaux chinois en 2016 sont-ils susceptibles de s'améliorer ? O. F. : Les fondamentaux seront un peu moins bons en 2016. L'an dernier, la croissance chinoise est passée en dessous des 7% à 6,8%, selon les premières estimations. En 2016, on devrait passer à une croissance encore un peu plus faible à 6,3%. Mais c'est tout un réajustement d'une des plus grandes économies mondiales qui est à l'oeuvre. C'est une économie qui reposait auparavant sur l'investissement, qui représentait près de 43% du PIB. Tout l'enjeu est de faire baisser cette part vers 20% du PIB, plus conforme à ce que font les grandes économies développées. Ce chemin de réorganisation sera, à mon avis, miné par plusieurs risques, dont le plus important est celui du désendettement, l'économie chinoise étant très endettée. D'ailleurs, le taux d'octroi des crédits est en baisse. Mais si ce désendettement pèse trop sur la croissance et que celle-ci passe en dessous des 6%, les autorités chinoises peuvent à nouveau paniquer et être tentées de s'endetter pour réaliser des projets d'investissement. Cela reviendrait à faire exactement le contraire de ce qui est censé être fait. F.N.H. : La Réserve fédérale américaine a remonté ses taux. A quoi faut-il s'attendre pour cette année 2016 ? O. F. : Les Etats-Unis traversent un ajustement important, qui est celui de la normalisation monétaire. La croissance en 2016 devrait être de 2,5%, ce qui est plus bas que le taux de croissance avant la crise de 2008, mais qui reste satisfaisant en comparaison à d'autres pays développés. L'output gap, c'est-à-dire la différence entre la croissance des Etats-Unis et la croissance potentielle, a été refermé. Il était de l'ordre de 3% du PIB juste après la crise, il est aujourd'hui inférieur à 1% du PIB. Dans ce contexte, la Réserve fédérale a commencé à augmenter son taux directeur. D'autant que le marché de l'emploi a repris avec 200.000 créations d'emplois mensuellement, et 280.000 emplois en décembre; ce qui est bien supérieur aux attentes. Avec le plein emploi qui se profile, il risque d'y avoir une pression sur les salaires, qui peut se transformer en inflation. Pour l'instant, ce n'est pas encore le cas, mais la FED commence son resserrement monétaire en avance pour ne pas être prise de court. En plus, Janet Yellen, patronne de la FED, avait promis de faire une première hausse des taux en 2015. Ce qui s'est produit dans les derniers instants de l'année dernière. Pour l'année en cours, les estimations sont de l'ordre de deux à trois hausses de taux, mais probablement pas sur le premier semestre. C'est un sujet qui redeviendra d'actualité à partir du mois de juin. La question fondamentale, à mon sens, qui se posera aux Etats-Unis, est comment l'économie USA réagira en termes de stabilité financière avec des niveaux de taux plus élevés après une période très longue et historique de taux très bas. F.N.H. : La crise chinoise ne remet-elle pas en cause le calendrier de la FED ? O. F. : Il faut savoir que la politique de la FED a toujours été dictée, en très grande majorité, par des facteurs internes, à savoir l'output gap, le marché de l'emploi, les perspectives d'inflation, la stabilité du système financier américain. Si l'inflation redécolle, la FED fermera les yeux sur ce qui se passe en Chine, et sera prête à augmenter son taux directeur. F.N.H. : Parlons à présent de l'Europe. Quelles sont les perspectives en 2016 pour le Vieux continent ? O. F. : Le gros enjeu pour l'Europe est de savoir si la Banque centrale européenne (BCE) sera capable de rehausser le niveau d'inflation. L'inflation en Europe est morte, il faut l'admettre. Elle se situe à 0,2%, tandis que l'inflation sous-jacente (c'est-à-dire sans prise en compte des matières premières) est à 0,8%. Ce sont des niveaux de hausse des prix qui restent très bas par rapport au mandat de stabilité des prix confié à la BCE. Celle-ci fait ce qu'elle peut ; elle fait même plus, puisqu'en fin de compte le Quantitative easing (assouplissement quantitatif), qui était censé se terminer en septembre 2016, sera prolongé jusqu'en 2017. Mais ce n'est pas vraiment une surprise, car on savait très bien que la durée de ce programme était extensible, selon la conjoncture. La question sera de savoir si l'investissement dans la zone Euro, qui est actuellement à des niveaux extrêmement bas, repartirait. Si l'investissement reprend, le crédit reprend et l'inflation reprend. Pour l'instant, les prévisions de croissance pour la zone Euro sont de l'ordre de 1,5% en 2016. Je pense que l'on sera plutôt sur du 1,3%. C'est déjà pas mal pour une économie qui, en 2012 et en 2013 (après la crise de la dette grecque), affichait des taux de croissance négatifs. La reprise est peut-être insuffisante, mais elle est bien là. F.N.H. : On vit actuellement un déphasage entre les deux politiques monétaires américaines et européennes. Cela peut-il avoir un impact sur la stabilité financière, notamment des pays émergents ? O. F. : C'est très juste, car si l'on observe finement la conjoncture mondiale, il y a deux facteurs qui sont marquants. Le premier est celui de la faiblesse de la croissance mondiale, qui se situe autour de 3,5%, alors qu'avant la crise on faisait du 5,5%. Ce niveau de croissance semble aujourd'hui difficile à dépasser, et différents intervenants commencent à l'accepter comme la nouvelle norme. En clair, il semble impossible de revenir aux niveaux de croissance enregistrés avant. Sauf que, dans ce constat qui est très pessimiste, il ne faut pas oublier que les différents moteurs économiques du monde ne tournent pas tous à plein régime. Plusieurs économies sont en phase d'ajustement, et il faut donc attendre que ces ajustements soient achevés. Ce qui nous amène au second facteur marquant, qui est le déphasage et la désynchronisation entre les différents cycles économiques. Aux Etats-Unis, on a un resserrement de la politique monétaire, en Europe et au Japon, on a une continuité de la politique monétaire qui est déjà très laxiste. Et chez les pays émergents, je pense que l'on aura avant la fin de l'année un relâchement monétaire. F.N.H. : Pour quelles raisons ? O. F. : Les pays émergents ont tous augmenté leurs taux directeurs. Ils craignaient qu'une fois la normalisation de la politique monétaire de la FED entamée, il y aurait trop de fuites de capitaux qui pèsent sur leurs économies. Chose qui s'est réalisée sur certains mois de l'année précédente. Il y a eu des fuites de capitaux qui ont touché des maximas de l'ordre de 200 milliards de dollars par mois, des pays émergents vers les Etats-Unis. Ce sont des réserves de change qui sont très importantes. En fin de compte, les politiques monétaires des pays émergents ont été plutôt bien menées, car il n'y a pas eu de crise de la balance des paiements. Les banquiers centraux de ces pays restent néanmoins sur leur garde, parce qu'il y aura encore de nouvelles hausses des taux de la part de la Réserve fédérale américaine, qui se produiront en fin d'année. Après la deuxième ou la troisième hausse des taux directeurs américains, et une fois le risque sur la stabilité des réserves de change écarté, les banquiers centraux des pays émergents s'engageront dans un cycle d'assouplissement de leur politique monétaire afin de booster la croissance. Car à mon sens, la croissance dans les pays émergents est insuffisante aujourd'hui. F.N.H. : Les monnaies des pays émergents se sont également beaucoup dépréciées. Comment l'expliquez-vous ? O. F. : C'est un peu les deux faces d'un même miroir. Lorsque les flux de capitaux quittent ces pays, cela se traduit mécaniquement par une baisse des monnaies. Cette dévaluation, soit vous l'acceptez, soit vous êtes obligé de défendre la parité de votre monnaie grâce aux réserves de change en les mettant en péril. Car, ces réserves ne sont pas là uniquement pour défendre une parité fixe, mais surtout pour couvrir des besoins d'importation sur des produits de première nécessité, tels que les produits énergétiques, pharmaceutiques et les produits agricoles. Il faut donc savoir accepter une baisse de sa monnaie pour préserver ses réserves de change. Il y a des monnaies émergentes qui ont perdu jusqu'à 40% de leur valeur depuis la crise de 2008. C'est un facteur qui pèse sur la stabilité financière de ces pays, mais qui, à mon sens, pour l'instant, a été assez bien géré, surtout sur la dernière année. F.N.H. : Quelles sont vos prévisions sur le pétrole ? O. F. : Par rapport au prix du baril, il ne faut pas oublier que nous sommes réellement dans une guerre des prix. C'est quelque chose qui n'était pas évident au départ. Lorsque le baril a commencé à baisser en 2014, il y avait deux écoles : d'une part, ceux qui pensaient que le prix du baril baissait à cause de la surcapacité du marché, et d'autre part, ceux qui pensaient que c'était une baisse passagère destinée à punir la Russie suite à l'invasion ukrainienne. A ce moment, j'avais expliqué que la baisse serait durable, et que c'était une véritable guerre des prix. Cela s'est confirmé par la suite lorsque Ali Al Naïmi, l'ancien ministre saoudien du Pétrole, a expliqué que son pays n'allait plus couper dans sa production et perdre des parts de marché. La guerre des prix a officiellement été lancée à ce moment. Beaucoup d'intervenants s'attendaient à ce que le prix du baril rebondisse à fin 2015. Mais en fait, cela n'a pas été le cas, car on a sous-estimé la capacité d'innovation des producteurs d'huile de schistes américains. Ces producteurs avaient des coûts de production entre 30 et 40 dollars, ce qui, dans le contexte actuel, allait forcément les rendre peu compétitifs. Or, ils ont pu améliorer leur technique de production, et sur les nouveaux forages, on retrouve des coûts de production qui ont baissé, et qui sont de l'ordre de 30 dollars, ce qui leur permet de tenir tête aux Saoudiens. Les effets, côté Arabie Saoudite, commencent à se faire ressentir : on passe du monde des excédents budgétaires à celui des déficits qu'il faut financer, les prix de l'électricité augmentent, les prix de l'essence ont grimpé de 50%, les subventions sociales dans le Budget 2016 diminuent, etc. On commence même à parler de la privatisation du géant pétrolier saoudien Aramco. Si l'on suppose que l'OPEP n'arrive pas à trouver un accord pour baisser la production et qu'elle continue à produire 97 millions de barils de pétrole par jour, et qu'en face la demande progresse petit à petit, cela signifie que l'excédent sera consommé progressivement. Nos prévisions disent qu'à la fin de l'année 2016, l'excédent passera de 1,5 million de barils à 200.000 barils. On peut donc commencer à envisager une remontée des prix fin 2016 début 2017. Ce scénario se base sur une continuité de la production de l'OPEP. Si l'OPEP décide du jour au lendemain d'agir, à ce moment là, il faudra réajuster. Investissements : Les recommandations de Omar Fassal Nous recommandons comme toujours d'avoir un portefeuille diversifié, pour tirer parti de toutes les évolutions des différentes classes d'actifs. C'est un moment très intéressant pour faire ce genre d'exercice, car dans le contexte actuel où tout le monde voit des risques partout, personne ne voit d'opportunités nulle part. Je reste convaincu que même dans la pire des crises, il y a toujours des opportunités. Il faut seulement être capable de les apercevoir et être suffisamment patient pour qu'elles se réalisent. Nous conseillons de sous-pondérer les marchés obligataires, puisqu'aux Etats-Unis on commence à avoir une hausse des taux d'intérêt, ce qui signifie que le prix de la valorisation des obligations va baisser. En Europe, les taux d'intérêt sont déjà très bas et ne vont donc pas produire une amélioration de la valorisation des obligations. Nous recommandons plutôt les marchés actions, et certaines classes d'actifs des marchés actions, notamment les petites et moyennes capitalisations. En effet, la croissance étant faible, il faut savoir la chercher là où elle est. Ces petites et moyennes capitalisations sont plus intéressantes que les grandes capitalisations pour deux raisons. D'une part, elles bénéficient d'un effet de base, et d'autre part, ce sont des entreprises qui sont très concentrées sur le marché domestique et moins soumises aux aléas du commerce mondial, qui est en berne.