C'est fait. La Caisse de dépôt et de gestion a un nouveau Directeur général. Lors du Conseil des ministres qui s'est tenu la semaine dernière à Fès, le Souverain a nommé Abdellatif Zaghnoun à la tête du bras financier de l'Etat. Il succède ainsi à Anas Alami. Une consécration pour l'ancien patron des Impôts ? Certainement. En tout cas, depuis que sa nomination a été rendue publique, la presse est particulièrement dithyrambique à son égard. Il faut quand même reconnaître que de son passage à la Direction générale des impôts (DGI), il a laissé des empreintes indélébiles. L'un de ses principaux faits d'armes : avoir réussi à «humaniser» la DGI pour en faire une institution qui s'érige davantage en partenaire des contribuables, et particulièrement des entreprises. Il faut convenir que Zaghnoun a mené un travail pédagogique de fond afin que le Fisc ne soit plus l'épouvantail qu'il était, même si ses relations avec les contribuables sont parfois tendues. Ce travail pédagogique, qu'il a commencé dès son arrivée en 2010, a été fortement soutenu par la modernisation des services de la DGI, à travers notamment la dématérialisation de certaines procédures, comme la déclaration et le paiement de l'IS, de l'IR, de la TVA ou encore des taxes locales. Pareille démarche, il l'a également initiée alors qu'il dirigeait l'Administration des douanes et impôts indirects. Pendant pratiquement 7 ans (2004-2010), il a poursuivi le processus de modernisation de la Douane, pour en faire l'une des administrations les plus modernes et les plus performantes du Royaume. A 55 balais, le voilà donc patron de l'un des établissements publics les plus importants du Royaume. Arrive-t-il en terre inconnue ? Oui, si l'on considère qu'il est appelé à évoluer sur un registre différent, la Caisse de dépôt et de gestion étant une entreprise publique qui accompagne certes les grands chantiers économique du Maroc, mais qui est aussi appelée à faire des résultats. L'on peut aussi être moins affirmatif quand on sait qu'il a passé pratiquement toute sa carrière dans un établissement public de renommée mondiale : l'Office chérifien des phosphates où, de 1987 à 2004, ce diplômé de l'Ecole Mohammedia des ingénieurs (génie minier) a occupé plusieurs postes de responsabilité. Zaghnoun a donc l'expérience nécessaire pour l'exercice du pouvoir. Malgré ce préjugé favorable, aura-t-il cependant toutes les cartes à portée de main pour imprimer sa méthode, son style de management ? Rien n'est moins sûr. «Avec ce qui vient de se passer avec la CGI (ndlr, www.financenews.press.ma), l'Etat va rester particulièrement vigilant quant à la gestion du Groupe. Surtout que dans le cadre de l'affaire Madinat Badès, c'est le Roi qui a donné des instructions afin que des enquêtes soient menées sur les différents projets du Groupe», note un analyste de la place, non sans préciser que «la CDG étant censée être une référence morale aux yeux de l'opinion publique et des investisseurs internationaux, on ne pourra plus y faire n'importe quoi, n'importe comment. Le Conseil d'administration aura un rôle prépondérant à jouer dans cette optique». Changement de cap ? En clair, Zaghnoun pourrait se retrouver avec une marge de manoeuvre limitée. Un DG... sous surveillance pourra-t-il déployer efficacement ses choix stratégiques ? Surtout, comment vont se décliner les actions de la CDG dans les prochaines années ? Rupture par rapport à la ligne pronée par Anas Alami ou continuité ? Il y a quand même deux certitudes : primo, la Caisse restera impliquée dans les grands projets mis en oeuvre au Maroc. Aujourd'hui, elle est présente dans une cinquantaine de projets structurants et reste le premier investisseur institutionnel du Royaume. Et à l'horizon 2030, le montant des investissements directs et induits du Groupe devrait atteindre 235 milliards de dirhams, pour un total de 250.000 emplois additionnels. C'est dire que le bras financier de l'Etat est un acteur incontournable dans le processus de développement économique du Royaume. Secundo, et ça c'est une décision prise par le ministère des Finances, la CGI, filiale de la CDG par laquelle le scandale est arrivé, va opérer «un changement stratégique pour se focaliser davantage sur le service public plutôt que sur l'intérêt commercial». Ce qui, manifestement, impactera substantiellement les performances du Groupe, d'autant que, lors de la présentation des résultats annuels 2013, le management avait laissé entendre que «les activités aménagement, immobilier et tourisme sont les premiers contributeurs au résultat net part du groupe en 2013, marquant un changement de tendance dans le retour sur investissement des activités de développement territorial du Groupe, grâce notamment aux contributions de l'Agence d'urbanisation et de développement d'Anfa (AUDA) et de la CGI». En cela, il paraît légitime de se demander si le plan Oufoq 2015 sera compromis, voire s'il sera maintenu en l'état, même s'il est bien avancé. A fin 2013, on dénombrait 806 ha de zones industrielles aménagées et en cours de livraison (85% de l'objectif Oufoq 2015), 249.000 m2 de zones offshoring (83% de l'objectif), 13.500 lits hôteliers livrés et en cours de réalisation (99% de l'objectif) et 308.000 m2 d'immobilier tertiaire et locatif livrés et en cours de réalisation (81% de l'objectif). De même, Zaghoun s'inscrira-t-il dans la même logique que son prédécesseur en ce qui concerne les participations financières de la CDG ? L'on sait, en effet, que depuis quelques années, la Caisse s'oriente de plus en plus vers l'immobilier, le tourisme et la gestion des retraites, se «débarrassant», au passage, de plusieurs de ses participations financières : Atlanta, Sofac, Maroc Leasing ont fait les «frais» de ce choix stratégique. D'ailleurs, la dernière opération a eu lieu le mois dernier, avec la cession de 10% de ses participations détenues dans la compagnie d'assurance Atlanta à sa filiale CIH Bank. Aujourd'hui que le développement de la CGI est compromis, la CDG va-t-elle changer de fusil d'épaule ? Il faudra en tout cas à Zaghnoun beaucoup d'habileté pour reprendre la main et imposer sa philosophie de jeu sur un terrain où désormais tous les projecteurs sont braqués : il faudra à la fois souscrire aux requêtes de l'Etat, sans donner l'impression d'être aux ordres, répondre aux exigences de performance d'une entreprise, sans prendre trop de risques, tout cela en étant soumis au jugement de l'opinion publique. Toute une histoire.