Les fluctuations des prix des produits agricoles amènent les entreprises à mettre en place les meilleures pratiques dans les domaines du négoce des matières premières agricoles et de la gestion du risque associé. C'est le cas de Lesieur Cristal, géant de l'agroalimentaire au Maroc, qui a développé au cours des années une véritable expertise en matière d'approvisionnement intégré en matières premières, notamment en ce qui concerne l'approvisionnement en huile de soja, élément essentiel dans la production d'huile de table. Le témoignage de Samir Oudghiri, DG de Lesieur Cristal, apporte un éclairage concret sur le sujet. Lors de son intervention à la conférence internationale sur les matières premières, organisée conjointement par Finances News Hebdo et Day by Day, Samir Oudghiri, Directeur Général de Lesieur Cristal, a apporté un témoignage capital sur les enjeux de la gestion des risques de couverture pour une société dont l'activité dépend étroitement de l'évolution des cours des matières premières agricoles. Dans le cas de Lesieur Cristal dont le raffinage des huiles végétales brutes constitue l'une des principales activités, la matière première utilisée pour la production de ses huiles de table est l'huile de soja. De manière générale, 91% de l'huile de table produite au Maroc est issue du soja, ce qui représente près de 420.000 tonnes métriques. «Cela est dû aux habitudes de consommation des Marocains», précise Samir Oudghiri. L'huile de tournesol, pour sa part, représente 9% de la production nationale pour un volume de 42.000 tonnes. Quant à l'huile de colza et l'huile de palme, elles ne comptent que pour une part infime de la production marocaine. Selon S. Oudghiri, «l'huile de palme, bien que plébiscitée dans le monde, rencontre peu de succès au Maroc en raison de son goût particulier qui ne sied pas aux habitudes de consommation des Marocains». L'huile de soja : forte volatilité des cours La difficulté, quand on est un opérateur comme Lesieur Cristal qui intervient sur le CBOT (Chicago Board of Trade), première bourse dans le monde au niveau des matières premières agricoles, est de limiter l'exposition de l'activité à la volatilité des cours. Les cours de l'huile de soja ont connu au cours des 10 dernières années des signes de fortes volatilités. Ce qui oblige les importateurs à se couvrir contre les risques. Entre 2005 et 2007, les cours de l'huile de soja ont enregistré une forte hausse sur fond d'accélération de la croissance mondiale, la montée en puissance de la Chine, et une demande accrue pour cette huile. Ce cycle haussier, qui a atteint un pic proche de 1.500 dollars la tonne, a été brutalement interrompu par la crise américaine, puis mondiale de 2008, qui a pesé sur l'ensemble des matières premières. La baisse s'est poursuivie jusqu'à 700 dollars la tonne, avant qu'une reprise à la hausse n'intervienne en 2009, à cause du plan chinois de restockage stratégique de matières premières agricoles, dont le complexe soja. Suite à cet évènement, le cours a atteint près de 1.400 dollars la tonne. Depuis 2012, le cours de l'huile de soja est entré dans un long cycle baissier, en réaction à une production mondiale très abondante et une demande en net recul. La concurrence des autres huiles, notamment celle de palme, dont la demande est en forte progression, explique cette tendance baissière. Aujourd'hui, le prix de la tonne d'huile de soja se négocie autour de 720 dollars alors, qu'il était encore de 930 dollars la tonne en avril 2014. Une gestion complexe du risque Dans ces conditions, comment Lesieur Cristal gère le risque des matières premières? «C'est un processus complexe qui implique plusieurs marchés, plusieurs produits financiers, plusieurs matières premières et avec des corrélations pas toujours évidentes», explique S. Oudghiri dans son témoignage à propos du processus d'achat de la société. «Seul le coût du fret est relativement maîtrisable», déclare-t-il. En effet, pour s'approvisionner en matières premières, Lesieur Cristal lance simultanément cinq opérations financières. Trois sur le marché dit du physique, et deux concernent les marchés du papier pour négocier des couvertures. Concernant le marché physique, la société va naturellement payer une sorte de prime ou d'assurance sur la marchandise et le fret. Elle va également négocier des contrats futurs sur cette matière première, tout en achetant sa dotation en Dollar pour payer à la livraison. Parallèlement, la société va devoir jongler avec les outils réglementaires à sa disposition pour limiter la volatilité des prix. En gros, il s'agit de figer les prix dans un marché pourtant volatil. Concernant la matière première, ce sont des contrats futures et des options qui sont achetées, en plus de produits de gré à gré. Les devises, quant à elles, sont couvertes par les produits classiques d'options fermes et de contrats à terme. Une gymnastique quotidienne qui a une incidence automatique sur le résultat d'exploitation de Lesieur Cristal, d'où l'aménagement d'une salle des marchés spécialisée en approvisionnement et négoce. Samir Oudghiri a d'ailleurs déclaré que l'amont agricole national est une priorité pour la société, car en plus de soutenir les exploitations locales, cela permet à la société de réduire la volatilité des prix à l'approvisionnement. Un projet que couve le DG de Lesieur Cristal depuis des années déjà et qui consiste à relancer la production nationale de tournesol qui, rappelons-le, est passée d'un pic de 180.000 tonnes en 1990 à des plus bas de 10.000 tonnes aujourd'hui. «Nous ambitionnons, dans le cadre du Plan Maroc Vert, d'atteindre une production de tournesol de 180.000 tonnes à horizon 2020, et une production de 80.000 tonnes pour le colza. Cela devrait permettre de couvrir 20% de la consommation locale, et de faire des économies sur la balance commerciale de l'ordre de 8 milliards de dirhams», conclut S. Oudghiri.