Tout a commencé en octobre 1963 par un incident «banal» ! Des soldats de l'ALN (Armée de libération nationale algérienne) pénètrent dans le territoire marocain, à Tinjoub, Ich, Hassi Beida, puis Hassi Messaoud et Figuig. A la grande stupéfaction du Maroc et de la communauté mondiale. Si des incidents de frontières, pour reprendre la formule consacrée, avaient été relevés un mois auparavant, ils étaient mis sur le compte des revendications territoriales formulées par le Maroc et l'Algérie. La guerre des sables, comme on l'appelle est déclenchée le 2 octobre 1963, elle s'achèvera quelques semaines après l'intervention des Forces Armées Royales (FAR) qui récupèrent les territoires occupés et la médiation réussie de l'OUA (Organisation de l'Unité africaine), sanctionnée par un cessez-le-feu ! Octobre 2014 ! Cinquante-et-un an après, voici que, pas loin de Ouled Salah, le samedi 18 octobre, un ressortissant marocain subit les tirs de soldats algériens postés de l'autre côté, à quelques pas de la frontière. Gravement blessé, il a été transporté en urgence à l'hôpital Farabi d'Oujda. Provocation, irresponsabilité, geste inconscient ? Le Maroc entier s'en est ému. L'incident a fait le tour des sites et des réseaux sociaux, non sans susciter un flot de réactions, entre condamnations et bruits de bottes. Le gouvernement marocain a fait état samedi de sa «vive indignation» et de sa «très grande inquiétude» après ce «grave incident» «injustifié». «Nous estimons que cette agression s'ajoute à une suite d'agissements provocateurs dans les relations entre les deux pays. Nous avons convoqué l'ambassadeur algérien à Rabat et nous avons sommé l'Algérie de s'expliquer» poursuit Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement marocain. Le parallèle entre les deux époques est peut-être fortuit. Il n'en demeure pas moins vrai qu'une certaine similitude existe, et nous incite à la réflexion. La déclaration du porte-parole du gouvernement précise: «...cette agression s'ajoute à une suite d'agissements provocateurs dans les relations entre les deux pays...» ! Sans emphase, sans fioritures non plus, les autorités algériennes sont pointées du doigt, interpellées en tous cas. La convocation de l'ambassadeur d'Algérie à Rabat par le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération, Salaheddine Mezouar, si elle obéit à une règle diplomatique, relève tout à la fois d'une certaine tension qui régit depuis des années maintenant les rapports entre les deux pays. Autant dire, en effet, que ces rapports sont inscrits en permanence dans l'esprit malencontreux d'une crise diplomatique, d'une dégradation persistante du voisinage et, la fermeture des frontières aidant, d'une hostilité déclarée voire d'une possible escalade... Les observateurs n'ont de cesse de s'interroger sur la portée de l'incident du samedi 18 octobre. Est-il délibéré, est-il en mesure de constituer un «casus belli» du fragile équilibre qui existe tant bien que mal, plutôt mal entre les frontières ? Pourrait-il se répéter et si oui, conduirait-il les deux pays à terme vers l'affrontement ? Personne ne le souhaite, mais tout un chacun ne peut s'empêcher de redouter le pire parce que la situation est potentiellement explosive, nourrie de préjugés depuis des lustres, d'une méfiance qui n'en finit pas d'empoisonner le climat et de briser tout espoir de dialogue. Sur fond d'une rivalité d'un autre âge, les deux pays se regardent comme deux «chiens de faïence sur une commode», s'épiant l'un l'autre, déchiffrant l'un et l'autre le langage et les non-dits, soupçonnant le «mauvais coup» derrière chaque initiative...fût-elle louable. Il reste que cette atmosphère caractéristique d'une guerre froide est renforcée par la course à l'armement à laquelle -la bagatelle des pétro dollars oblige- se livre une Algérie qui préfère gaspiller une part significative des 140 milliards de dollars rapportés par le pétrole et le gaz en armements que de les consacrer au développement. On ne s'étonne pas que des critiques s'élèvent ici et là contre les agissements d'une nomenklatura militaire tout attachée à s'enrichir aux dépens du peuple algérien. Dans son projet de Loi de Finances au titre de l'année 2015, le gouvernement algérien consacre pas moins de 13 milliards de dollars aux importations d'armes, soit un chiffre multiplié par 6 en moins de six ans et pas moins, non plus, de 13 depuis vingt-cinq ans. Le SIPRI (Institut international de recherches de Stockholm) ne s'y trompe pas : avec 3% du marché international, l'Algérie est le 6ème importateur d'armes dans le monde et au niveau du continent africain -là où les populations sont soumises à une pauvreté endémique- elle totalise plus de 48% des importations en armements L'armée algérienne a finalisé récemment une série de contrats d'achats, notamment 3 corvettes lourdes furtives type C28A livrées par la Chine, mais équipées de radars sophistiqués, fabriqués en Europe. La même République populaire de Chine s'est engagée à construire en Algérie 3 navires. De son côté, l'Italie livrera un porte-hélicopères du nom de Kalâat Bel-Abbès, tout prêt à rejoindre les quais d'Alger. «L'ensemble de ces navires, précise une source algérienne, sera accompagné par une douzaine d'hélicoptères «Agusta Westland» spécialisés dans les missions en mer pour le sauvetage et la lutte anti-sous-marine. Des hélicoptères, russes cette fois, commenceront à arriver dans les bases des forces aériennes algériennes». Pour sa part, le groupe de défense allemand, Rheinmetall, s'est engagé à monter une usine dans l'Est de l'Algérie pour fabriquer des véhicules blindés pour un contrat de 28 millions d'euros. Si le pétrole et le gaz assurent plus de 97% des recettes à l'Algérie, la course tourmentée aux armements et la gabegie qui la caractérise nous incite à nous interroger : comment ces mêmes recettes en diminution progressive de 25% depuis deux ans, pourront-elles continuer à alimenter les caisses des militaires et assurer les salaires des fonctionnaires, payés jusque-là par la fiscalité sur les rentes pétrolières ? Le surarmement algérien inquiète les pays voisins, dont le Maroc, où plusieurs observateurs feignant de faire contre mauvaise fortune bon coeur, y voit comme la tentation d'un irrédentisme algérien, et dans la foulée, une volonté d'expansionnisme...