Un pan de la Bastille est détruit, le mur de Berlin a cédé, une nouvelle «Moudawana» est enfin née ! L'enthousiasme est à son comble ! Les femmes s'en réjouissent et chantent victoire. Enfin, on leur rendra un peu de leur dignité ! Enfin, elles pourront faire entendre leur voix ! Enfin, elles seront traitées comme une entité à part ! Enfin... Enfin... Mais... chimère ! Le soufflé retombe sans vraiment tarder : l'égalité entre les deux sexes n'est que leurre et utopie. Le désenchantement est le lot de ces créatures qui n'ont que le droit de se taire et de subir le machisme des lois, qui resserrent, encore plus, l'étau autour de ces êtres que la société fragilise pour en faire des dominées et des moins que rien. J'ai un goût amer à chaque nouvelle preuve que la prétendue moudawana n'est que confirmation de la suprématie masculine ! J'ai mal pour la pauvre femme de mon pays et, surtout, celle dont on étouffe la voix, celle dont une affaire de divorce fait la proie, l'ennemie et le souffre-douleur d'une horde de tortionnaires qui s'acharnent contre elle ! N'est-elle pas la rebelle et l'insoumise à la volonté masculine ? Il n'y a qu'à aller faire un tour là où se décide le sort des femmes et des enfants pour se rendre à cette cruelle évidence : nous sommes dans un Maroc à plusieurs vitesses, à plusieurs facettes et à plusieurs discours. J'ai un goût amer quand, même dominées et maltraitées par leurs conjoints, grand nombre de femmes marocaines rejettent l'idée du divorce et acceptent de vivre dans l'humiliation afin de sauver la face et préserver leur statut de femme mariée et donc ... « respectable». Briser les chaînes d'un lien empoisonné qui ne fait qu'étouffer les deux parties, reste un pas géant pour certaines. Malheureusement, qui plus est, au vingt-et-unième siècle, une femme divorcée constitue la brebis galeuse, celle qui ramène l'opprobre dans la famille. Bien sûr puisqu'elle est la seule responsable de cet échec ! Or, oublie-t-on que dans un mariage, il faut être deux pour réussir ? Pourtant, la société continue à lui coller de rabaissantes étiquettes : pour les hommes, c'est une capture facile, et pour les femmes, une rivale redoutable... On oublie ou feint d'oublier que le divorce, choisi ou subi fait d'elle un être psychologiquement affaibli, qui a besoin d'être soutenu par son entourage pour pouvoir remonter la pente. La femme divorcée doit faire preuve d'une force surhumaine pour affronter l'injustice d'une société qui devient exclusionniste et la marginalise. Cependant, force est de reconnaître qu'elle est une combattante qui prend son destin en main pour mener à bien sa mission, surtout quand élever des enfants se conjugue au singulier. Son crime ? C'est une femme qui a le mérite de respecter le lien du mariage pour sa sacralité et non pour jouer la comédie. En toute âme et conscience, elle refuse de vivre sous le même toit avec un «étranger», rien que pour singer le prototype de la bonne femme, de l'épouse docile, soumise, et privilégier d'une tutelle masculine qui ne lui apporte que déni et avilissement. J'ai un goût amer quand une Jeune femme, vivant seule, est taxée de «vieille fille» ! L'amertume est à son paroxysme quand on la regarde avec compassion parce que - dit-on - "la pauvre" n'a pas trouvé chaussure à son pied ! Être célibataire n'est pas une tare. Si c'est un destin pour certaines, c'est bien un choix individuel et volontaire pour bien d'autres qui l'assument, s'épanouissent et se prennent en charge. Pourquoi se permettre et se donner alors le droit de taxer de «vieilles filles» -quand ce ne sont pas d'autres qualificatifs vexants et outrageants- celles qui se sont résolues à mener la vie qu'elles ont choisie en attendant d'être bien accompagnées ? Ces Jeunes femmes ne sont ni des exclues de la société, ni des laissées-pour-compte, ni des victimes, ni des coupables, ni des femmes «faciles» ! De quelle grande petitesse d'esprit on fait preuve quand on s'octroie, facilement, le droit de les juger sans chercher à comprendre ! L'homme et la société tissent une toile confisquant toutes les libertés de la femme, dans une espèce de prison à ciel ouvert, avec le consentement de tous. J'ai un goût amer quand la fille d'Ève est humiliée, violentée, harcelée, violée et que le bourreau – par un paradoxe inouï - devient victime. Et l'amertume est à son paroxysme quand on voit qu'il y a encore des femmes, au vingt-et-unième siècle, qui se font maltraiter et continuent à protéger leurs oppresseurs, ou qui acceptent et se soumettent à "la loi" de la polygamie, au motif fallacieux qu'il faut bénéficier de la tutelle de l'homme. Ne dit-on pas chez nous que ce dernier reste le rempart et "la couverture" de la femme ? Mais que dire ? Nous sommes dans une société où «le sexe faible» est vraiment vulnérable et où le sexe fort édicte sa loi. Pourtant, il faut bien convenir que l'ennemie de la femme est la femme elle-même ! Qu'attendre d'un homme auquel, enfant déjà, sa mère lui apprenait à surveiller sa soeur, aînée fût-elle, à commander et à rudoyer sa femme s'il le faut afin qu'il ait le dernier mot ? La société crée ainsi de monstrueux aliénés qui vénèrent la femme-mère et, en contrepartie, rabaissent l'épouse, des hommes qui adulent la maîtresse et traitent de tous les noms toute femme brandissant sa féminité ? Voyez-vous, les lois ne changent pas les comportements ou les mentalités ; l'éducation, par contre, construit les bons fondements. Aussi, les femmes doivent-elles se départir de cette soumission que la tradition leur a imposée et inculquée. Leur destin leur sera acquis pour peu qu'elles veuillent bien se détacher des boulets qu'elles traînent et briser les fers qui les empêchent d'avancer. C'est à elles de prendre conscience du rôle et de la place qu'elles occupent, de plus en plus, sur l'échiquier national, politique, économique, social et culturel. D'ailleurs, le combat de la femme n'est pas celui de la femme seule ; il est celui de tout homme libre qui se respecte, il n'est pas seulement féminin et la solidarité n'a pas de sexe. C'est un combat de l'homme aussi ; une société libre et démocratique, c'est aussi des femmes libres et des hommes libérés de leurs préjugés et de leurs scories. La lutte féministe est un enjeu qui implique l'émancipation de la société, tout entière, dans laquelle les hommes sont partie prenante. Mais, ne faudrait-il pas commencer par séparer le religieux du politique de manière à ce qu'on puisse considérer la femme en tant que citoyenne à part entière ? Rendons-nous à l'évidence ! Elle est le pivot absolu autour duquel tout se noue et s'organise. Comment imaginer qu'elle puisse bien éduquer sa progéniture et former des femmes et des hommes de demain si son être est bafoué ? Le progrès de l'humanité se mesure au degré de la liberté des femmes. Or, et malheureusement, nous vivons dans une société schizophrène où cet être est tenu de subir un déferlement quotidien de propos misogynes, tenus – et ce n'est pas la moindre contradiction - par des, soi-disant, intellectuels ! En contrepartie, et heureusement d'ailleurs, il y a ceux qui ne ménagent pas leurs efforts pour la soutenir et combattent pour elle, des hommes qui refusent les assignations de genre et rejettent la tutelle d'idées archaïques. C'est dire que le changement ne se fera que par les femmes elles-mêmes. Mais tant qu'il y a celles qui se laissent faire, l'homme se plaira et se complaira toujours dans son rôle de dominant, de despote et de détenteur de tous les pouvoirs. Fort heureusement , le parcours de certaines femmes pour l'émancipation, pour l'affranchissement du joug du patriarcat, de la tradition, de la culture de hiérarchisation des sexes, pour l'égalité des droits, pour la scolarisation, pour la participation à la vie politique, pour l'accès à la parole, mais aussi pour dénoncer les violences et les abus, constitue de plus en plus un combat d'avant-garde, appelé à perpétuer une lutte sans répit pour la défense de leurs droits, face à la force de la tradition et aux archaïsmes où s'entremêlent privilèges sexistes et commandements religieux. Je ne veux en aucun cas faire dans le lamento; grand nombre d'hommes diront peut-être que le problème n'est plus d'actualité, sauf que l'exception ne fait pas la règle, malheureusement. Le problème persiste et renaît de ses cendres, il est au coeur du débat politique. La femme est toujours dénigrée, même si l'on s'échine à masquer sa triste réalité. Abstraction faite du double discours politique, on vacille entre «tradition, religion et modernité». On cherche à faire d'elle un être «assujetti» et on met des freins à son épanouissement. On peut alors parler de deux Maroc très différents. Même si les mentalités semblent avoir bien évolué suite aux réformes du Code de la famille, et même si dans les grandes villes la femme a investi divers espaces, autrefois monopolisés par l'homme, elle reste défavorisée et coupée du monde dans d'autres contrées où on marie toujours des jeunes filles de onze ans, puisque et même des années après l'entrée en vigueur de la nouvelle moudawana, la pratique ne suit pas la loi. Je trouve aberrant qu'aujourd'hui encore, les femmes marocaines, appuyées par une poignée de féministes, se voient encore dans l'obligation de défendre l'image et les droits de la femme marocaine comme il y a encore cinq décennies, de combattre les stéréotypes, les oeuvres rétrogrades d'obscurantistes et la lecture purement masculine et machiste de la Parole divine dont elle est exclusivement et pernicieusement victime. Que de préjudices portés à cet être qui constitue, paradoxalement, la colonne vertébrale de la société ! Cela dit, le changement ne viendra que par la femme elle-même, tant les hommes ont intérêt à voir perdurer un système qui leur est profitable. Dur, dur d'être femme au Maroc où tout lui interdit d'exister et de vivre dignement, où les regards masculins et prédateurs la pourchassent partout, où sa liberté lui est confisquée. Mesdames, soyons fières de ce que nous sommes ! Nous n'avons plus à prouver ni à justifier le bien-fondé de notre existence. Il est vrai que nous vivons une double journée, que nous menons notre vie sur deux axes parallèles ; mais nous nous acquittons de notre rôle à la perfection quand cela relève de notre propre choix. Toutes les femmes, qu'elles soient aux commandes ou aux fourneaux, participent à l'évolution de la société, autrement dit l'expérience marocaine, le processus d'intégration de la femme au développement, mené tambour battant, n'était qu'une perte de temps.